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 Dossier sur la guerre des Six jours (1967)

     
       

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Reportage de la semaine - La guerre des Six jours (5): une guerre inévitable

 

Reportage de la semaine - La guerre des Six jours (5): une guerre inévitable PDF Print E-mail
Written by Mohamed Abdel Azim   
Saturday, 09 June 2007

 

Image Le troisième conflit israélo-arabe a lieu suite à la décision de Nasser d’interdire le Golfe d’Aqaba aux navires israéliens et de bloquer le détroit de Tiran. Ce golfe est le seul point d’accès pour Israël à la mer Rouge. Mais à lui seul, cela ne peut pas expliquer le déclenchement de la guerre. Un dossier en 5 volets proposé par Mohamed Abdel Azim*
 

Cinquième volet: Une guerre inévitable
Le troisième conflit israélo-arabe a lieu suite à la décision de Nasser d’interdire le Golfe d’Aqaba aux navires israéliens et de bloquer le détroit de Tiran. Ce golfe est le seul point d’accès pour Israël à la mer Rouge. Mais à lui seul, cela ne peut pas expliquer le déclenchement de la guerre. Les vraies raisons sont de deux ordres. D’abord sur le plan symbolique, et puis l’importance du Golfe d’Aqaba du point de vue de la proximité géographique du site du réacteur nucléaire israélien au sud du désert de Néguev.

La première guerre israélo-arabe a lieu en 1948, suite à la création de l’Etat hébreu. En 1956, Nasser nationalise le canal de Suez. Cette nationalisation provoque la colère de Paris et de Londres qui incitent Israël à attaquer l’Egypte.
En octobre 1956, la deuxième guerre a lieu et l’armée Israélienne occupe le Sinaï et la zone du canal en quelques jours. Cette crise de Suez provoque la fin de l’influence historique de deux puissances coloniales : française et britannique, dans la région. En effet Moscou, qui fait face à la révolte hongroise, menace Paris et Londres d’utiliser les armes atomiques et oblige Washington à faire pression sur Israël afin de se retirer du Sinaï. La crise de Suez se termine par une défaite militaire égyptienne, mais par des gains politiques incontestables.

La période d’avant guerre en 1967, est celle de la vente des sous-marins soviétiques à l’Egypte. Achetés un an plutôt, ces sous-marins provoquent déjà, en avril 1966, les inquiétudes israéliennes mais surtout américaines. A Washington, on prend au sérieux l’achat de ces sous-marins soviétiques par le Caire et on considère ce fait comme une menace pour la stabilité de la région[1]. Selon le rapport intitulé National Intelligence Estimate daté du 28 avril 1966, ces sous-marins sont capables de lancer des missiles de moyenne portée (page 2 du rapport)[2]. Ils peuvent donc être utilisés pour lancer des missiles contre le site de Dimona. Ces sous-marins peuvent aussi empêcher tout accès au Golfe d’Aqaba[3].

En mai 1967, toutes les données disponibles à Washington vont dans le sens d’une supériorité militaire de l’armée israélienne. Selon le rapport du sous-secrétaire d’État Katzenbach, présenté au Président Johnson le 1er mai 1967, Israël dispose d’une écrasante supériorité militaire et est capable de faire face à tous les scénarios possibles durant les cinq années à venir[4]. Le Caire est alors déterminé à frapper le réacteur. Nasser envoie ses avions de reconnaissances à plusieurs reprises survoler le site du réacteur.
Les événements s’accélèrent et Shams Badran, ministre égyptien de la Guerre arrive à Moscou le 20 mai 1967, en tant qu’envoyé personnel du président Nasser. Il rencontre Alexeï Kossyguine, le président du Conseil des ministres de l’URSS. Badran demande à Kossyguine le soutien et l’accord de Moscou pour porter une frappe préventive, un coup de semonce, contre Israël. La réponse d’Alexeï Kossyguine est claire : si l’Egypte frappait la première, elle serait considérée comme  agresseur. Moscou ne peut pas soutenir un agresseur.
Les circonstances et les causes de ces événements, supposent que le renseignement israélien avait certainement réussi à savoir que l’URSS ne s’engagerait pas aux côtés de l’Egypte si cette dernière déclenchait une guerre. Israël passe donc à la réalisation de son plan d’attaque. Le plan d’attaque n’est pas une réaction spontanée aux actions égyptiennes, mais plutôt un plan longuement réfléchi, largement étudié qui attendait le bon moment pour être exécuté.
En Israël on sait jusqu’où Nasser peut aller. Selon les opposants de cette guerre, côté israélien, Nasser ne fait que de répondre aux attentes des populations arabes. Ces opposants, y compris le Premier ministre Eshkol, considèrent aussi que les agitations égyptiennes : masser les troupes au Sinaï, les manœuvres militaires ou encore les décisions de départ des casques bleus, ne sont que des agitations dans un petit verre d’eau.

Dimona, provoque la guerre

Dès 1966, les données stratégiques changent et Israël fait savoir à Washington ses craintes face à la modernisation de l’armée égyptienne qui possède 60 nouveaux missiles stratégiques vers mai/juin (p. 2, point 5)[5]. Du côté du Caire, le sujet du réacteur de Dimona pousse les décideurs à percevoir cette menace de manière deux fois plus importante que par le passé.

Nasser presse Moscou et lui demande d’intervenir auprès de Washington. C’est alors que la question des armes nucléaires au Moyen-Orient prend une place prépondérante dans les discussions entre le Kremlin et la Maison-Blanche et se discute au plus haut niveau entre le département d’État et l’ambassadeur de l’URSS à Washington[6]. Un mois avant la guerre, un rapport, daté du 8 mai 1967, rédigé par Christian Rostow le conseiller du Président Johnson, montre que le dossier de Dimona pose une sérieuse inquiétude dans les relations entre Washington et le monde arabe[7].
Car, dix jours avant la guerre, Israël possède déjà deux bombes nucléaires[8]. Tel-Aviv ne voit plus la menace égyptienne telle qu’il la percevait avant que l’État hébreu ne possède effectivement la bombe atomique. Il faut défendre Dimona. Dès le 19 mai, les Israéliens commencent à se préparer à la guerre. Tel-Aviv commande 20000 masques à gaz pour ses militaires[9].
Le 22 mai 1967, le Président Johnson écrit au raïs lui demandant d’éviter une guerre dans la région. Washington propose alors l’envoi du vice-Président américain pour une tournée dans les capitales arabes afin de trouver une possible issue à la crise[10]. Le mois de mai 1967 est celui où des avions égyptiens de reconnaissance survolent le site de Dimona. La guerre devient inévitable.
À la mi-mai 1967, on est plutôt du côté du mauvais calcul et de la mauvaise estimation de la part des Égyptiens. Les Égyptiens n’ont pas agi en réponse à un comportement israélien, mais en raison d’une pression interne en Égypte. Il y a alors un facteur purement psychologique.

En mai 1967, les décideurs égyptiens font un mauvais calcul du coût d’une action militaire. Ils se basent alors sur un mauvaises interprétations et une sous-estimation des coûts d’une action militaire contre Israël. Ils surestiment les probabilités de gagner la guerre. L’action égyptienne est dictée par un besoin politique en réponse à des pressions internes en Égypte et dans le monde arabe.
Au départ, la pression américaine fonctionne et empêche les Israéliens de mener une action préventive contre les Égyptiens le 28 mai 1967. En 1967, les Égyptiens pensent, avec leurs estimations, que les pressions américaines sur Israël vont dissuader l’État hébreu d’agir militairement et de façon massive contre les provocations égyptiennes. Le Caire a émis ses hypothèses et a compté sur la pression de Washington. L’armée égyptienne entame des actions de survol dans le désert israélien à la mi-mai 1967 et le survol des installations nucléaires israéliennes de Dimona rend la guerre inévitable[11].

L’exacte raison du déclenchement de la guerre réside dans le domaine de la symbolique : Israël ne peut pas laisser Nasser bloquer le golfe d’Aqaba. En effet, même si ce dernier n’est pas en mesure de mener une attaque et s’il se trouve dans une position militaire défavorable, cette fermeture lui donnerait une deuxième victoire politique qui s’ajourerait à celle remportée lors de la nationalisation du canal de Suez en 1956. En plus, dans tout les cas de figure, Nasser donne l’impression que tôt ou tard il mènera une attaque, certainement limitée, contre les installations nucléaires israéliennes dans le désert de Néguev. Dimona devient alors la principale raison qui pousse le général Dayan, qui a donné le feu vert à la fabrication de la première bombe atomique israélienne quelques semaines auparavant, à déclencher cette guerre préventive. Nommé, par le Premier ministre Levi Eshkol, le 1er juin 1967, au poste du ministre de la Défense, le général Dayan donne le feu vert au déclenchement de la guerre. Quelques jours plus tard, il entre à Jérusalem et célèbre la victoire emportée en six jours. Son armée occupe dès à présent, le Sinaï, la bande de Gaza, la Cisjordanie, le Golan.….
A la suite de cette guerre, un accord de paix entre Arabes et Israéliens se dessine déjà en 1968. Mais Nasser refuse de signer cet accord car ce plan aurait eu la couleur d’une capitulation. Nasser proclame souvent « ce qui a été pris par la force ne se restituera que par la force. » Le raïs refuse car l’accord prévoit le retrait israélien du Sinaï et du Golan, mais stipule l’abandon de Jérusalem[12]. Il faut attendre 6 ans pour que les Egyptiens déclenchent à leur tour la guerre de 1973. Ils regagnent la confiance perdue et surmontent l’humiliation subie en 1967. Les accords de paix entre l’Égypte et Israël sont signés en 1979.

Côté israélien, un deuxième 1967 peut-être déclenché à tout moment et contre n’importe quel voisin. Le 6 juin 2007, le ministre israélien de la Défense, Amir Peretz, déclare qu’Israël, afin de maintenir sa capacité de dissuasion, se prépare à tous les scénarios, y compris une guerre contre la Syrie.

La guerre de 1967 est vécue comme un traumatisme généralisé pour les populations Arabes. Cette Naqssah (défaite en arabe), qui vient s’ajouter à la Naqbah, (la catastrophe en arabe) de la première guerre de 1948, est surtout un traumatisme indélébile pour les Palestiniens. Pour eux comme pour tout le monde arabe, il y a eu un choc durant six jours qui dure encore depuis 40 ans.

Cette guerre est, malgré les gains israéliens, considérée comme une victoire empoisonnée pour Israël. Elle constitue un tournant majeur dans l'histoire du Moyen-Orient. Cette victoire écrasante, qui dépasse largement ce qu’on pouvait attendre à Tel-Aviv, place l’Etat hébreu sur une orbite tellement haute que les Arabes n’arrivent à la surpasser qu’en 1973.

A peine un mois après cette guerre Nasser entreprend une série de harcèlements par de tirs contre les positions de l’armée israélienne sur la rive orientale du canal. Un an après la guerre des Six jours, le raïs déclenche une autre guerre :  la guerre d’usure.
Le Kremlin s’engage alors à moderniser et à entraîner les militaires égyptiens. Un nouvel arsenal made in Moscou commence à perturber la balance militaire entre le Caire et Tel-Aviv. La guerre d’usure se poursuit et donne lieu à des tensions dans les relations israélo-soviétiques. Cette tension s’aggrave lorsqu’en juillet 1970, quatre avions de combats pilotés par des pilotes soviétiques sont abattus à environ 30km à l’ouest du canal, par l’armée israélienne. Pour éviter une riposte soviétique et un éventuel manque de soutien de Washington, les Israéliens acceptent, en août 1970, un cessez-le-feu et l’application de la résolution 242.

La guerre d’usure touche ainsi à sa fin. L’Egypte se montre toujours déterminé à mener une autre guerre contre Israël.

La mort de Nasser, suite à une crise cardiaque, porte un autre Président à la tête de l’Égypte. Le nouveau raïs s’appelle Mohamed Anouar El-Sadate. À son tour, le nouvel homme fort du Caire se montre loin d’être dissuadé et commence la mise en place un plan d’attaque. Dès 1971, il va entreprendre plusieurs tentatives d’attaques et élabore d’abord en 1971, puis en 1972 des plans d’attaques limités sans les exécuter.

En février 1971, le nouveau Président déclare devant son Parlement : « si Israël retirait ses forces du Sinaï, je serais disposé à réouvrir le canal de Suez. Pour que mes forces traversent vers l’Est du canal de Suez, je suis prêt à faire une déclaration solennelle d’un cessez-le-feu. Je suis aussi prêt à constituer des relations diplomatiques avec les États-Unis et signer un accord de paix avec Israël. » Ces tentatives n’aboutissent pas et Sadate se voit confronté à la position d’un statu quo. Il réalise alors qu’il doit défier la dissuasion afin d’aboutir à la paix. Pour le raïs, il faut lancer une action forte. Mettre à mal la dissuasion israélienne, tel est le pari que Sadate s’est fixé et qu’il va réussir en octobre 1973.

Il brise ainsi le mythe de la supériorité militaire israélienne et place le monde entier durant trois jours dans un état de fièvre diplomatique intense jamais égalée entre Washington et Moscou. Les deux superpuissances se trouvent alors au bord d’un premier affrontement avec une menace réelle qui arrive au niveau des alertes nucléaires. Mais ça,….. c’est une autre Grande Histoire.

ImageDans cette région, les guerres ont changé de nature et se sont transformées. La sixième guerre oppose Israël à un groupe de combattants armés du Hezbollah libanais. Cette guerre s’avère un échec selon la conclusion de la Commission Winograde en mai 2007. Les guerres ont montré que le chemin d’affrontement risque de durer encore plusieurs décennies voire plus, tant que la question palestinienne reste sans une vraie solution. Cette question reste en suspens car deux dilemmes existent : les réfugiés palestiniens et le statut de la ville de Jérusalem. Ce qui se passe dans les camps palestiniens au Liban (Nahr el Barid) n’est que le début d’une autre forme de guerre. Cette guerre met les Arabes et les Israéliens face à un choix : se mettre ensemble pour combattre le terrorisme qui se nourrit de la non résolution de la question palestinienne. 


Mohamed Abdel Azim*
Lyon (France) 


Lire tout le dossier:
>> La guerre des Six jours
des questions sans réponses (05/06) 

Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006. 


Notes:
1] National Intelligence Estimate, N° 290, NIE 36. 1-66, Washington, May 19, 1966. Source : Central Intelligence Agency, Job 79-R01012A, ODDI Registry of NIE and SNIE Files. Secret; Controlled Dissem. By Director of Central Intelligence Richard M. Helms, and concurred in by the U.S. Intelligence Board on May 19.
[2] Report by the Anti-Submarine Warfare Panel of the President's Science Advisory Committee. Foreign Relations, 1964-1968, Volume X, National Security Policy.
[3] Discussion of Middle East Crisis, 24 mai 1967, Memorandum for the Record. Record of National Security Council Meeting on May 24 1967. Source : Johnson Library, National Security File, (page 3, paragraphe 2).
[4] Memorandum From the Under Secretary of State (Katzenbach) to President Johnson. The Arab-Israel Arms Race and Status of U.S. Arms Control Efforts. FRUS, 1964-1968, Volume XVIII.
[5] Telegram From the Embassy in Israel to the Department of State. Tel Aviv, May 24, 1966.
[6] Memorandum of Conversation. Subject : Nuclear Weapons in the Near East. Participants. Source : National Archives and Records Administration.
[7] Memorandum From the President's Special Assistant (Rostow) to President Johnson N. 416 Israeli Aid Package. FRUS, 1964-1968, Volume XVIII. Arab-Israeli Dispute.
[8] William E. Burrows, Robert Windrem, Critical Mass, The Dangerous Race for Superweapons in A Fragmenting World, New York, Simon and Schuster, 1994 (p. 282-283).
[9] Memorandum From the Deputy Assistant Secretary of Defense for International Security Affairs (Hoopes) to Secretary of Defense McNamara. Washington, May 22, 1967. Source : Washington National Records Center.
[10] Telegram From the Department of State to the Embassy in the United Arab Republic. N. 34. Washington, May 22, 1967, 8:49 p.m. Foreign Relations, 1964-1968, Volume XIX, Arab-Israeli Crisis and War, 1967.
[11] Harold Hough & Pete Sawyer, “Israeli nuclear infrastructure”, Janes Intelligence Review, novembre 1994.
[12] Elli Lieberman, “Deterrence theory, success or failure in Arab-Israeli Wars”, McNair Paper, Chicago, N. 45, octobre 1995.
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