Mohamed Abdel Azim          Articles publiés                                                          Retour                      

 

   

 

     
     

 Newropeans Magazine

     
     

 

     
     

 Dossier sur la guerre des Six jours (1967)

     
     

 

Home arrow Transcontinental arrow  - La guerre des Six jours (4) Johnson ne doit pas lire ce rapport

La guerre des Six jours (4) Johnson ne doit pas lire ce rapport  PDF Print E-mail
Written by Mohamed Abdel Azim   
Friday, 08 June 2007

 

Image Durant les mois qui précèdent la guerre des Six jours, il y a eu une inondation en matière de production d’informations à divers usages. Nous avons tenté de comprendre les raisons des vrais-faux rapports soviétiques et leur lien direct ou indirect dans le déclenchement des hostilités. Nous nous posons aussi une deuxième question sur les raisons pour lesquelles certains rapports ne devaient pas être lus par le Président américain. Un dossier en 5 volets proposé par Mohamed Abdel Azim*



Quatrième volet :  Johnson ne doit pas lire ce rapport

 

Durant les mois qui précèdent la guerre des Six jours, il y a eu une inondation en matière de production d’informations à divers usages. L’interprétation de ces différentes informations dépend de la source et de la visée de celles-ci. Il y a bien évidemment Nasser face au gouvernement Eshkol mais surtout le Kremlin face à la Maison Blanche. Il est important de tenir compte de la source ou de qui produit quoi en matière d’information et à quelle fin.

Parmi les questions que la période pré-guerre impose se trouve celle relative au rôle déterminant des informations disponibles auprès des différents acteurs de cette époque. Parmi la quantité considérable d’informations, de rapports et des sources productrices, il y a eu un important réseau invisible qui a influencé d’autres réseaux, des réseaux qui sont influencés et qui influencent à leur tour etc.

Il est difficile de voir clair dans ce réseau invisible de communication, mais ici on s’intéresse à des informations et à des rapports qui se situent à deux niveaux. En premier lieu, on trouve  des informations produites par Moscou et qui deviennent omniprésentes au Caire. Elles sont véhiculées par le Kremlin via le régime syrien en direction de Nasser à vocation de le pousser vers la voie de l’affrontement avec Israël. Le deuxième niveau est celui des vraies et solides informations d’Intelligence américaine disponibles auprès des bureaux locaux de la CIA au Caire et à Tel-Aviv. Elles sont acheminées vers Washington afin d’aider l’administration Johnson à prendre les décisions adéquates concernant la situation qui se complique du jour en jour entre Egyptiens et Israéliens. Certains de ces rapports ne sont pas présentés au Président Johnson. Pourquoi y a-t-il eu une telle situation de manipulation de la réalité côté soviétique ? Pour quelles raisons y a-t-il eu rétention de l’information côté américain ?


Les rapports du Kremlin et de la Maison-Blanche

En ce qui concerne les rapports de Moscou, comme nous l’avons vu, (dans la guerre des Six jours : Des questions sans réponses), les rapports du côté soviétiques fournis à Nasser par la Syrie notifient la présence (fictive) de troupes israéliennes le long de la frontière avec la Syrie. En réalité, il n’y a aucune augmentation en nombre de troupes israéliennes sur ce front. Les accrochages sont habituels et de façon permanente entre l’armée syrienne et israélienne depuis un an. Le paradoxe est dans la réticence de Moscou envers le plan d’attaque de Nasser qui devait avoir lieu à la fin du mois de mai. Il y a eu donc une volonté délibérée de la part des Soviétiques d’inciter Nasser à provoquer le conflit, tout en restant officiellement à l’écart.
Reste toujours la question concernant les vraies raisons derrière cette attitude de la part du Kremlin. Ce dernier, lorsque le ministre égyptien de la Défense Badran se trouve à Moscou, à quelques jours du déclenchement des hostilités, ne cautionne pas le plan d’attaque de Nasser prévue pour la fin du mois de mai 1967, explique Pogos Akopov[1]. Nasser retarde alors la date de lancement de son opération de l’aube (Fajr en arabe).

Côté américain, des rapports d’Intelligence sont disponibles à Washington. Ces rapports donnent une idée claire de la situation et apportent des informations sur les intentions de Nasser. Ils notifient que le président égyptien se montre en position d’attaque, mais semble mener des opérations à usage interne en direction des populations arabes. Il s’agissait donc d’une épreuve de force de la part des Egyptiens et ne parlent pas d’une vraie détermination égyptienne à mener des attaques. Les rapports militaires montrent aussi que les armées arabes  se trouvent en position défavorable et que la supériorité qualitative se trouve du côté israélien - (voir le document suivant).
Parmi les rapports de la CIA, certains sont inquiétants, hautement sensibles voire brûlants car ils parlent des aspects cachés et des secrets  dont seul un nombre limité de personnes à cette époque détient l’information[2]. Ces informations, destinées à la Maison Blanche et au Président américain, sont tout simplement filtrées sans que le Président Johnson ne soit avisé de leur existence. La décision américaine, pour cette guerre, est alors biaisée.

Nous avons tenté de comprendre les raisons des vrais-faux rapports soviétiques et leur lien direct ou indirect dans le déclenchement des hostilités. Nous nous posons aussi une deuxième question sur les raisons pour lesquelles certains rapports ne devaient pas être lus par le Président américain.


L’ambivalence de Washington

La guerre des Six jours a lieu durant les années Lyndon Baines Johnson, et dès 1967, la question du nucléaire israélien entre dans une phase de long sommeil sur le plan international qui durera près de 20 ans. Le réacteur de Dimona se trouve en première ligne parmi les facteurs qui poussent le Caire à planifier une attaque limitée. Mis à part Nasser, qui savait que Dimona produisait des armes nucléaires ?

L’ambivalence américaine se dessine et l’ambiguïté israélienne est sur le point de devenir une politique officielle. Il faut attendre 1986, pour que Mordechaï Vanunu réveille le monstre de son sommeil sur les pages du Sunday Times[3]. Construit par la société française Saint-Gobain Nouvelles Technologies, la centrale nucléaire israélienne est opérationnelle en 1960. L’administration Kennedy essaie, sans succès, de contenir le programme nucléaire israélien. Suite à l’assassinat de Kennedy en novembre 1963, l’administration Johnson ne prend pas le dossier avec autant d’importance que ne le faisait Kennedy et Johnson montre une attitude plus compréhensive.

En 1966, « il n’y a aucune évidence que la centrale est dédiée à la fabrication de la bombe nucléaire », souligne un mémorandum écrit par Joseph F. Carroll, le directeur de la DIA (Defense Intelligence Agency), dans son rapport présenté au secrétaire d’État à la Défense McNamara[4]. Un an après cette note et à quelques jours du déclenchement des hostilités en 1967, le secrétaire d’État Dean Rusk rapporte au Président Johnson ainsi qu’au secrétaire d’État à la Défense Robert McNamara, qu’« il n’y a pas d’armes nucléaires dans la région. » C’est lors d’une réunion consacrée à la crise entre Israéliens et Égyptiens que Dean Rusk rapporte ces conclusions au nom du directeur de la CIA Helms, aux membres du NSC (National Security Council) (page 3, paragraphe 4)[5].


Le Président ne doit pas lire ce rapport

La région vit au rythme de la crise et la Maison-Blanche tente d’y voir clair. Richard Helms est formel[6]. C’est la conclusion qu’il donne au secrétaire d’État Dean Rusk. Mais le directeur de la CIA sait que certains rapports de son agence sont inquiétants. En effet, Helms est au courant que certains ont des soupçons au sujet du programme nucléaire israélien. Il sait aussi que Nasser est déterminé et se prépare pour attaquer le site. Mais le directeur de la CIA préfère ne pas soulever les inquiétudes du Conseil.
Ces rapports sont si brûlants que l’on préfère ni les toucher, ni oser les présenter comme tels. Parmi eux, on trouve l’un des documents les plus frappants. Ce document est une note de commentaire portant sur un rapport sensible, écrit par Harold Hal Saunders, membre du NSC (National Security Council) et chargé des affaires du Moyen-Orient.

Dans cette note, Harold Hal Saunders commente un rapport présenté par Bromely Smith, le secrétaire exécutif du Conseil de sécurité nationale au sujet du programme des missiles égyptiens et des armes nucléaires israéliennes. La note est tellement forte dans sa teneur que son auteur oublie d’y apposer une date. Comme si ce document devait être sans date de naissance ou devait avoir une jeunesse éternelle. Elle a probablement été écrite durant la période de la crise ou vers la fin du printemps 1967.

Le rapport souligne les inquiétudes à propos des armes nucléaires israéliennes. Ce rapport, joint à cette note, est introuvable. Cependant, la teneur et la tonalité de cette note de couverture indiquent l’ambiance environnante et la sensibilité du dossier des armes nucléaires israéliennes. Il comporte certainement des informations sur les plans et les intentions de Nasser ou encore celles du Kremlin et les vraies motivations soviétiques.

  • « Je ne pense pas que nous devrions envoyer ceci au Président », peut-on lire dans cette note de couverture signée par Harold Hal Saunders. Ce dernier est l’un des membres du NSC le mieux placé et chargé des affaires du Moyen-Orient[7]. Saunders, qui refuse un rapport rédigé par le directeur de la CIA Richard Helms, qualifie ce rapport de hautement sensible que le Président ne doit pas lire[8]. « Le Président (Johnson), n’a vu que des rapports écrits par Richard (Dick) Helms[9] ces six dernières semaines, que ni Gene Rostow[10], ni Wally Barbour[11], n’ont jamais vus et c’est ce qui pose le problème de la sensibilité de la chose. Mais, souligne la note, nous devons agir de la sorte et même au prix de certains rapports comme celui-ci.(…) Toutefois, je ne crois pas que la contribution de ceci aiderait le Président à mieux comprendre, mais au contraire cela provoquerait une confusion concernant les rapports clairs présentés par Helms[12]. »
     
    • I dont think we should send this to the President. The President has seen several eyes only reports from Dick Helms on this subject over the past six weeks that neither Gene Rostow nor Wally Barbour has seen. This is one of the problems in trying to keep discussion of this issue sensible, but the subject is so sensitive and so much is at stake that we have ton operate this way even at the cost of some cable like this that aren’t rellay to the point. Anyway, I don’t think this would contribute anything to the President’s understanding and would just confuse the already clear reports from Helms.
Le Président était donc informé par les rapports du directeur de la CIA, Richard Helms. Ce dernier ne peut pas ignorer les rapports de ses services d’Intelligence disponibles depuis 1966 sur les intentions de Nasser et sur les possibles issues à cette crise. Plusieurs messages et correspondances entre Damas et le Caire sont interceptés par le bureau de la CIA au Caire. C’est aussi le cas pour des communications, des rapports et des messages interceptés par les agents de la CIA en direction de Moscou. La relation étroite entre les Israéliens et le fameux chef de la Division du contre espionnage de la CIA (JJA), James Jesus Angleton, joue aussi un rôle important dans la circulation des messages interceptés[13].

Ces rapports indiquent qu’Israël pourrait être seulement à quelques semaines d’assembler sa première bombe nucléaire et que le Caire songe à entreprendre une action d’offensive imminente contre le site. Mais ces rapports ne sont pas lus par le Président. C’est peut-être pour ces raisons que la Maison-Blanche montre une lenteur inhabituelle dans sa prise de position. L’administration Johnson, n’apporte aucune initiative et laisse la main libre à Tel-Aviv de prendre la décision d’attaquer le premier. Même lorsque le ministre israélien des Affaires étrangères Abba Eban rencontre le Président Johnson le 26 mai 1967[14], Johnson semble loin d’avoir une vision réelle de ce qui pourrait se produire dans la région. Le président américain demande la patience et explique que :

  • (…) “Time would not work against Israel, it would not lose by waiting for the Secretary General's report and Security Council consideration. During this period there would not be any deterioration in the Israeli military position. We know it is costly economically, but it is less costly than it would be if Israel acted precipitously and if the onus for initiation of hostilities rested on Israel rather than on Nasser”.


    Le 3 juin, à deux jours de la guerre, le Président Johnson envoie une lettre au Premier ministre israélien Levi Eshkol lui demandant de ne pas déclencher une guerre[15].Il est trop tard. Le général Dayan est aux commandes de l’armée en tant que ministre de la Défense ; la révolte des généraux a lieu et l’opération d’attaque est déjà programmée pour le 5 juin au matin.

    Le scénario va changer car il faut défendre le site de Dimona. Ce scénario passe par un seul plan : une attaque préventive clouant au sol toute possibilité de force aérienne égyptienne. Existait-t-il une issue pour éviter cette guerre ? Nous allons vivre les dernières tentatives visant à freiner la course vers l’affrontement. Ce sera notre dernier article, consacré à la dernière ligne droite vers cette guerre de Six jours qui dure depuis 40 ans : La guerre des Six jours : une guerre inévitable.


    Mohamed Abdel Azim*
    Lyon (France) 


    La guerre des Six jours
    >> Premier volet: 
    Des questions sans réponses (05/06) 
    >> Deuxième volet: 
    Le plan d’attaque de Nasser est retardé (06/06)
    >> Troisième volet: Les sources de tension (07/06)



    Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.

    Notes:
    [1] Un ancien diplomate soviétique.
    [2] Tom Mangold, Cold Warrior: James Jesus An­gleton: The CIA's Master Spy Hunter (New York: Simon and Schuster, 1989), 49, 362
    [3] Mordechaï Vanunu est arrêté par le Mossad le 30 septembre 1986, à Rome. Une semaine avant que  The Sunday Times, le 5 octobre, publie sa “bombe” médiatique avec comme titre Revealed : The secrets of Israel’s Nuclear Arsenal.
    [4] Memorandum from the Director of the Defense Intelligence Agency (Carroll) to Secretary of Defense McNamara. FRUS, 1964-1968, Volume XVIII May 4, 1966.

    [5] Memorandum for the Record, Record of National Security Council Meeting, May 24 1967, Discussion of Middle East Crisis. Source : Lyndon B. Johnson Presidential Library.
    [6] Richard Helms, A Look Over My Shoulder; “An Interview with Richard Helms,” Studies in Intelligence 25, no. 3, fin 1981.
    [7] Memorandum from Harold Hal Saunders to Bromely Smith. The White House, Washington, File 113, BKS. Source : Lyndon B. Johnson Presidential Library.
    [8] Memorendum from Harold Hal Saunders to Bromely Smith. The White House, Washington, File 113, BKS. Source : Lyndon B. Johnson Presidential Library. Harold Hal Saunders.
    [9] Richard Dick Helms est directeur de la CIA entre 1966 et 1973.
    [10] Eugene Victor Rostow, connu comme Gene Rostow (1913-2002), sous-secrétaire d’État de l’administration Johnson entre 1966 et 1969.
    [11] Wally (Walworth) Barbour, l’ambassadeur américain à Tel-Aviv à cette date.
    [12] Ibid. Voir aussi : Avner Cohen, Israel and the Bomb, 1998, (pp. 297-303).
    [13] Tom Mangold, Cold Warrior: James Jesus Angleton :The  Cia's Master Spy Hunter, Simon&Schuster, 1992.
    [14] Memorandum of Conversation, U.S. President Lyndon Johnson and Israel Ambassador Abba Eban, May 26, 1967.
    [15] 1967 Israeli-Arab 6 Day war, June 3, 1967: President Lyndon Johnson's Letter to Israeli Prime Minister Levi Eshkol, June 3, 1967.
    Envoyez vos commentaires: comment@newropeans-magazine.org  
    * * * * * 
< Prev   Next >
     
      La guerre des Six jours (1) : des questions sans réponses      
      La guerre des Six jours (2) : le plan d'attaque de Nasser est retardé      
      La guerre des Six jours (3) : les sources de tension      
      La guerre des Six jours (4) : le Président Johnson ne doit pas lire ce rapport      
      La guerre des Six jours (5) : la guerre est inévitable      
             
     

Lire tous les articles dans