Les pradoxes de la sixième guerre                                                                           Mohamed Abdel Azim     Journaliste                                         

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Washington entre un nouveau et un Grand Moyen-Orient

Dans cette région, les Etats-Unis font la pluie plutôt que le beau temps. Les Européens ne cessent d’ouvrir les parapluies pour éviter que l’inondation se transforme en un déluge qui gagne la terre épargnée. Dans le monde arabe, cette guerre est vécue comme une tentative supplémentaire d’inonder les Arabes. La résistance de Hezbollah à Tsahal est alors considérée, par les populations arabes, comme une fierté car elle sauve l’honneur et rétablit la confiance perdue. Il y a alors une analogie avec la difficulté des Etats-Unis en Irak. Nous assistons ainsi à la évaporation des rêves américains d’un nouveau Moyen-Orient. Suite à la guerre en Irak, en 2003, l’administration Bush rêvait d’un Grand Moyen-Orient, basé sur un processus démocratique ambitieux. Ce projet ne verra pas le jour. Faute d’avoir réalisé son projet, Washington rêve de nouveau de mettre en place un processus aboutissant à un nouveau Moyen-Orient. Ces deux orientations montrent l’hésitation de l’administration Bush dans sa vision de l’avenir politique de la région. La particularité de la situation actuelle au Moyen-Orient soulève le problème de l’écart entre les scénarios “prédissinés” à Washington et les imprévisibles scénarios régionaux avec peut-être l’Iran comme nouvelle puissance nucléaire. Les orientations des États-Unis, montrent à quel point Washington suit des calculs basés sur des évaluations approximatives donnant lieu à  des scénarios et des résultats non prévisibles.

La question est donc de quel Moyen-Orient s’agit-il ? Y a-t-il un scénario de Yalta bis dessiné unilatéralement par les seuls américains ? Il est évident que cette guerre qui affaiblit déjà les régimes arabes aura des conséquences régionales néfastes. Les régimes arabes et notamment celui de Moubarak, sont dès à présent considérés, par les populations, comme dépossédés de leurs décisions et ne peuvent pas agir lorsqu’un État arabe se trouve en crise. Les efforts des ministres des Affaires étrangères de la Ligue Arabe, réunis à Beyrouth début août, en vue d’un cessez-le-feu ont échoué. Considérés comme faibles et pro-américains, les régimes arabes perdent de leur crédibilité et de leur légitimité aux yeux de leurs populations. Ces dernières les accusent de corruption et de trahison à la cause palestinienne. Cette situation fait surgir un vide et pousse des groupes, comme le Hamas et le Hezbollah, à jouer un rôle sur la scène régionale et ainsi se substituer à ces régimes. Un axe chiite, passant par Damas, Beyrouth, les territoires occupés et Bagdad, est en phase de constitution. Cet axe qui rallie les sentiments anti-américaines et qui a des ramifications fortes en Iran et en Syrie, commence a avoir des échos dans des grandes capitales arabes comme le Caire, Amman ou Ryad.      

En Egypte, ces cinq semaines de guerre ont sérieusement entamée la crédibilité des Etats-Unis en tant qu’intermédiaire au Moyen-Orient. La gestion de la crise au Liban par l'administration Bush bat de l’aile, même si Washington continue à être considéré comme un acteur majeur dans la région. 34 jours d'offensive israélienne contre la milice chiite libanaise du Hezbollah, n’a pas donné les résultats escomptés qui permettraient aux États-Unis de parler d’un nouveau Moyen-Orient. Il y aura peut-être un Moyen-Orient mais défavorable à Washington. Le Etats-Unis sont de plus en plus isolés de leurs alliés arabes mais aussi européens. Cette guerre risque de déséquilibrer les rapports de forces entre les Américains et les Russes dans la région.

Même si le porte-parole du département d'Etat Sean McCormack écarte l'idée d'une perte d'influence de Washington au Moyen-Orient, l'administration du président George W. Bush, déjà sérieusement affaiblie par sa gestion de la crise en Irak, se retrouve dos au mur en soutenant trop strictement Israël durant   l'offensive. Les Etats-Unis ont ainsi donné le sentiment de pencher fortement en faveur d'Israël et de n'être guère préoccupés par les victimes arabes ou musulmanes. C’est le sentiment présent dans le monde arabe et particulièrement en Egypte. La théorie du complot américano-israélo-occidental trouve des adeptes et on pense, au Caire comme ailleurs, qu’après l’Afghanistan, l’Iraq et maintenant le Liban, la prochaine étape sera la Syrie qui sera suivie par l’Iran. Pour les adeptes de cette vision, Washington, au lieu de combattre le vrai terrorisme, poursuit son grand projet impérialiste pour s’approprier les ressources régionales en pétrole. 

Ainsi, l'influence de l'administration Bush au Moyen-Orient est déjà sérieusement entamée en raison de son incapacité à juguler les violences interconfessionnelles meurtrières en Irak, plus de trois ans après la chute de Saddam Hussein. Mais son refus de soutenir les appels internationaux à un cessez-le-feu immédiat au Liban et à un retrait rapide d'Israël ont suscité la colère non seulement de l'opinion publique arabe mais aussi d'alliés clés au Moyen-Orient comme c’est le cas au Caire à Aman ou à Ryad. Le problème devient double. Pour les Etats-Unis, il y a d’une part, une opinion publique arabe très anti-américaine et d’autre part des gouvernements hésitant à se montrer coopératifs à l'égard de Washington.

Le roi Abdallah II de Jordanie, l’un des dirigeants les plus modérés de la région, a semblé exprimer de l'exaspération concernant l'attitude américaine après que la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a décrit le conflit au Liban comme les « vagissements d'un nouveau Moyen-Orient », où les radicaux comme le Hezbollah n'auraient plus d'influence. « Je m'inquiète pour l'avenir du Proche-Orient », déclare le roi Abdallah II dans un entretien à la BBC. « Je vois tous les nuages noirs au-dessus de nos têtes », ajoute le roi. Le président égyptien Housni Moubarak est déjà écarté de l’échiquier et le rôle de l’Egypte est de plus en plus limité dans la région. Cette crise ne fait que diminuer davantage le rôle du Caire dans la gestion des crises majeures dans la région. Le fait que même des amis de longue date comme Abdallah prennent leur distance avec Washington est le signe de la franche perte d'influence des Etats-Unis au Moyen-Orient. La qualification des Saoudiens des attaques du Hezbollah d’aventurisme a provoqué le désaveu de la famille saoudienne par l’opinion publique arabe et notamment lorsque le conflit dépasse la première semaine. Nasrallah demande alors dans son deuxième discours télévisé aux dirigeants arabes d’être « des hommes au moins un seul jour ou de se taire. » 

La confiance que l’Egypte a dans les Etats-Unis en tant qu'intermédiaire honnête a atteint son niveau le plus bas après l’invasion de l’Irak et la chute de Saddam Hussein. Cette confiance est probablement devenue déficitaire depuis cette guerre, en raison de la perception que les Etats-Unis soutiennent ce que fait Israël de manière inconditionnelle. Leur influence n'a jamais été aussi faible. Il n'y a pas de doute, actuellement, après cette guerre, Washington ne se fait aucun ami dans la région à l'exception d'Israël.

Cette guerre qui a affaibli l’image de la puissante armée israélienne, elle a aussi affaibli la légitimité de plus d’un régime arabe modéré dans la région. C’est le cas en Egypte, comme d’ailleurs en Jordanie ou encore en Arabie Saoudite. Les populations arabes interprètent la modération en une soumission à un projet américain dans la région. Au Liban comme dans le monde arabe, Nassrallah est, depuis le début de cette guerre, considéré comme un héros qui tient tête aux Israéliens. Les liens sont de plus en plus tissés entre les chiites libanais, irakiens et iraniens qui ont depuis gagné la sympathie des populations arabes sunnites. Au niveau, régional, l’Iran prend une place prépondérante et montre sa capacité à troubler la sécurité israélienne à travers le mouvement chiite au Liban. C’est déjà ce scénario qui se joue par les chiites irakiens avec Moqtada Al-Sadre, contre les troupes américaines et britanniques à Bagdad et à Bassora. C’est la même tactique utilisée par les Talibans contre les troupes américaines en Afghanistan[1]. 

Téhéran conforte alors son statut comme acteur majeur dans la stabilité régionale et la gestion des crises. Enfin, sur le plan arabe et international, les régimes arabes modérés qui se trouvent isolés de leurs populations sont affaiblis. Depuis, ils sont accusés, par ces populations, comme étant des régimes silencieux, dépendants et soumis à la volonté des puissances régionales et internationales. Ces régimes modérés, déjà accusés de suivisme à la politique de Washington depuis le guerre en Irak, perdent le peu de soutien qui restait de la part de l’opinion publique des pays arabes. C’est ce qui affecte directement Washington. Les Etats-Unis perdent ainsi peu à peu l’influence dans cette région. Moscou voit ces changements comme propices à un nouveau départ de leur influence dans la région et espère ainsi retrouver sa place perdue depuis longtemps dans la gestion des crises régionales.

« Nous devons faire en sorte que les choses se passent mieux la prochaine fois car il se peut qu'il y ait une prochaine fois », déclare le Premier ministre Ehud Olmert à la Knesset le 14 août 2006. D’ici là, un scénario de changement en profondeur est en phase de se mettre en place dans le Moyen-Orient. Le rapport de force avec les groupes armés est en phase d’inversement. La résolution 1701, de l’ONU, est la première résolution qui appelle à un cessez-le-feu entre un État et un groupe de combattants. Cette résolution est vécue, dans les pays arabes, comme une victoire du Hezbollah. Les portes de la région s’ouvrent bien grandes aux scénarios de pertes de toutes sortes. Les accusations du président Bush contre le Syrie et l’Iran n’apaiseront pas les fissures[2]. Une nouvelle ère de turbulences s’annonce et le premier à en subir les conséquences est l’Etat hébreu, puis les dirigeants arabes modérés et par conséquent Washington. Les gagnants sont donc les acteurs de l’ombre comme le Hezbollah, des acteurs régionaux comme l’Iran et en arrière plan, les Russes.


[1] Fisnik Abrashi, “NATO says Taliban use Hezbollah tactics”, Associated Press, 15 août 2006.

[2] Jim Rutenberg, “Bush Defends U.S. Handling of Lebanese Conflict, Asserting That Hezbollah Is the Loser”, New York Times, 15 août 2006.