Les pradoxes de la sixième guerre                                                                           Mohamed Abdel Azim     Journaliste                                         

Page d'accueil

  Les paradoxes de la 6ème guerre     Les profits de Hezbollah       Wshington et le Moyen-Orient    
  La dissuasion est érodée     La Russie sur la scène régionale    
 

 

       
           
   

Les profits de Hezbollah

La capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah montre une fois de plus que le parti chiite libanais est un acteur incontournable du Moyen-Orient, obligeant l'Etat hébreu à se battre sur plusieurs fronts[1]. Allié de Damas et de Téhéran, mais “bête noire” d'Israël et des Etats-Unis, qui l'ont inscrit sur la liste des mouvements terroristes, critiqué à l'intérieur même du Liban par la majorité parlementaire pour son refus de désarmer, le Hezbollah agit avec un sens aigu de la "realpolitik". Comme il l'a montré une fois de plus, en capturant les deux soldats israéliens, il décide lui-même le plus souvent du moment opportun pour lancer ses actions militaires anti-israéliennes ou respecter le cessez-le-feu. La capture des deux soldats a été précédée par les tirs de dizaines de roquettes de type katioucha et d'obus de mortier à partir du Liban sur la Haute Galilée dans le nord d'Israël. Le moment choisi pour l'opération du Hezbollah ne semble rien devoir au hasard, bien au contraire, obligeant l'Etat hébreu à des choix difficiles. Cette opération intervient alors qu'Israël est déjà empêtré dans une offensive majeure contre la bande de Gaza à la recherche d'un caporal capturé le 25 juin 2006, par un commando palestinien qui veut l'échanger contre des détenus palestiniens.

Dans le monde arabe, le chef de Hezbollah Hassan Nasrallah est devenu le nouveau héros des Arabes[2]. « Que Dieu te donne la victoire », est la phrase que le monde arabe répète depuis que le défi est lancé par Nassrallah contre l’armée israélienne. En effet, le fait que la puissance militaire israélienne soit défiée, lors d’une guerre directe, par la guérilla du Hezbollah est une nouveauté. Après un mois de guerre, la puissance militaire du Tsahal est défiée par un ennemi numériquement et technologiquement beaucoup plus faible, mais qui a contraint plus d'un million d'Israéliens à se terrer ou à fuir. Les objectifs que se sont fixées les autorités militaires et gouvernementales israéliennes -la fin des tirs de roquettes à courte et longue portée du Hezbollah, la libération de deux soldats enlevés le 12 juillet- ne sont pas atteints quatre semaines après le début des combats. Ni la chasse israélienne, qui a effectué plus de 8.000 sorties depuis le déclenchement des hostilités, ni l'artillerie qui a déversé plus de 100.000 obus sur le Liban, ni l'offensive terrestre dans plusieurs secteurs qui mobilise près de 20.000 hommes, ne sont parvenues à réduire les bombardements de roquettes. Et, encore moins à mettre le Hezbollah en déroute.

Le Hezbollah compte sur des gains à remporter de son défi au Tsahal. Plus le conflit dure, plus les gains psychologiques sont assurés pour les milices chiites. Hezbollah compte aussi sur le doute en Israël relatif aux capacités de Tsahal au Liban sud. C’est le cas en Israël, après un mois de combat où la population israélienne commence à douter d’une défaite du Hezbollah[3]. Des villes israéliennes comme Haïfa, Tibériade, Safed, à plusieurs dizaines de kilomètres de la frontière, se sont trouvées à la portée des Katiouchas. Leurs rues sont désertes et leur activité économique considérablement ralentie, sans parler des missiles à plus longue portée de fabrication iranienne qui peuvent toujours atteindre des villes plus éloignées de la frontière, y compris dans le secteur central de Tel-Aviv.

La Syrie, alors maître du jeu au Liban, conforte le Hezbollah dans son rôle
face à Israël. En fin stratège, cheikh Nasrallah tisse des liens privilégiés avec Damas, et consolide sa stature après l'échec d'une autre importante opération militaire israélienne, "Raisins de la colère", en avril 1996. Il devient alors un "symbole de la résistance", et sa réputation se diffuse dans le monde arabe. La stature de Hassan Nasrallah croît encore avec la mort en 1997 de son fils aîné Hadi sur le front libano-israélien. Son parcours est couronné avec le déploiement en force de ses hommes le long de la frontière libano-israélienne lors du retrait israélien en mai 2000, et ce après 22 ans d'occupation du Liban sud[4].

En dehors du Liban, Nasrallah affiche un appui sans limite à l'Intifada palestinienne et ne reconnaît pas l'existence de l'Etat d'Israël. Se réclamant de la lignée du prophète Mahomet, que sont les Seyyed, Hassan Nasrallah a étudié la théologie dans la ville sainte chiite de Najaf, en Irak. Il est marié et père de cinq enfants. Sous sa direction, le Hezbollah s'est intégré à la vie politique libanaise et est représenté au Parlement. Fort de l'appui du président libanais Emile Lahoud, cheikh Nasrallah refuse toujours que ses combattants cèdent la place à l'armée régulière dont le déploiement dans la région est réclamé avec insistance par l'ONU, les Etats-Unis et l'Union européenne. Loin d'être affaibli après le retrait forcé des troupes syriennes en avril 2005, il impose à ses interlocuteurs de la majorité parlementaire anti-syrienne le maintien des armes de sa formation au grand dam de l'Occident et d'Israël.

« Si le Hezbollah n’était pas défait, le résultat serait calamiteux car le Hezbollah en profiterait pour se réarmer, ce qui veut dire que la guerre sera  repoussée de quelques années au plus, et alors ce ne sera pas seulement le nord d'Israël qui se trouvera sous la menace des roquettes mais tout le pays », s'est alarmé à la radio le député du Likoud, Sylvan Shalom, ancien ministre des Affaires étrangères. « S'il accepte un cessez-le-feu, le gouvernement devra démissionner car il aura donné une victoire sans précédent au Hezbollah et à tous ceux qui réclament la destruction d'Israël », a renchéri le député Yuval Steinitz du même parti. En plus de son défi aux généraux israéliens, Nasrallah a pu provoquer la fissure au sein de la classe politique et le doute de la population sur les capacités du Tsahal. 

 



[1] Membre actif du gouvernement libanais aux côtés de la majorité anti-syrienne, le Hezbollah était sorti gagnant aux élections législatives libanaises en mai-juin 2005, lui assurant la représentation de l'importante communauté chiite.

[2] Hassan Nasrallah est un brillant orateur, manie  l'humour avec aisance. Agé de 46 ans, il s'est imposé au fil des ans comme un habile chef de guerre et négociateur incontournable sur la scène politique libanais. Après avoir milité au sein du mouvement chiite Amal, il est depuis 1992 à la tête du Hezbollah (Parti de Dieu), une formation politico-militaire, fer de lance depuis le milieu des années 1980 de la résistance anti-israélienne. Il a accédé à ce poste après la mort de cheikh Abbas Moussaoui, tué dans un raid israélien ciblé. Cheikh Nasrallah reçoit son baptême du feu un an plus tard, lorsque la Résistance islamique, bras armé du Hezbollah, équipée et financée par Téhéran -et seul mouvement à n'avoir pas désarmé à la fin de la guerre du Liban (1975-1990)- résiste à une opération israélienne d'envergure, "Justice rendue" en juillet 1993.

[3] Selon deux sondages publiés le 11 août 2006, les Israéliens croient de moins en moins à une victoire sur le Hezbollah et sont de plus en plus critiques vis-à-vis de la conduite de la guerre au Liban. 43% des Israéliens estiment qu'il n'y aurait ni vainqueur ni vaincu si les combats s'arrêtaient à ce stade et 30% croient qu'Israël n'aurait pas gagné. Seuls 20% estiment que l'Etat hébreu l'aurait emporté, selon cette enquête. 48% des personnes interrogées se disent satisfaites de la conduite de la guerre par le Premier ministre contre 40% de mécontents. Des représentants de l'opposition de droite ont mis en garde le gouvernement contre une acceptation d'un cessez-le-feu imposé par l'ONU.

[4] Selon le Jane's Defence Weekly, du 10 août 2006, le Hezbollah disposerait d'une centaine de missiles Zelsal-1 (tremblement de terre) d'une portée estimée à 150 km, assez puissant pour atteindre la capitale israélienne. Les combattants du Hezbollah, présents en force à la frontière libano-israélienne, sont difficilement repérables. Cette "armée de l'ombre" se cache dans les talus, au fond des vallons ou dans les monts boisés. Elle déplace en cas de besoin les rampes de lancement de roquettes montées sur des camions, après avoir été cachées dans des garages aux abords des villages du sud Liban.