Les pradoxes de la sixième guerre                                                                           Mohamed Abdel Azim     Journaliste                                         

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L’Iran et La Russie sur la scène régionale

 Le fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah au Liban pourrait cacher une autre campagne militaire en préparation : celle que veulent mener les Etats-Unis contre l'Iran s'il rejette l'ultimatum des Nations unies sur l'arrêt de son programme nucléaire, fixé au 31 août 2006. « Israël avait conçu un plan pour attaquer le Hezbollah et l'avait partagé avec des fonctionnaires de l'administration Bush bien avant les enlèvements du 12 juillet dernier ». En s'appuyant sur des sources proches des milieux militaires et du renseignement, le journaliste Seymour Hersh, du magazine The New Yorker,  considère que l'enlèvement à la frontière israélo-libanaise de deux soldats de Tsahal par le Hezbollah, n'aurait été qu'un prétexte pour déclencher l’offensive[1]. Une semaine auparavant le quotidien britannique The Guardian écrivait, de son côté,  que l’offensive israélienne au Liban sud était préméditée[2]. 

Seul pays à ne pas reconnaître l’existence d’Israël, l’Iran est accusé par les Israéliens de développer un programme nucléaire clandestin. Cette guerre desserre l’étau international et allège les pressions internationales sur le programme nucléaire iranien. Elle montre aussi à quel niveau Téhéran peut, de loin, affecter la stabilité et toucher la sécurité de l’Etat hébreu à travers la milice chiite de Hezbollah. Le Liban est redevenu le champ de bataille de rivalités régionales, quinze ans après avoir tourné la page de la guerre civile. Cette fois-ci la formation chiite soutenue par l'Iran et la Syrie affronte directement l'armée israélienne. Le retrait israélien du Liban sud en mai 2000 et le retrait syrien en avril 2005, semblaient porteurs d'espoir pour les Libanais qui croyaient après la guerre du Liban (1975-90) qu'une nouvelle ère s'ouvrait, débarrassée de toute influence étrangère.

Mais c'était ignorer les difficultés de ce petit pays -où toutes les communautés religieuses du Moyen-Orient sont représentées- à vivre loin des secousses affectant la région : guerre en Irak, conflit israélo-palestinien, controverse sur le nucléaire iranien, isolement international de la Syrie etc, sans oublier le nouveau Moyen-Orient promis par Washington, et dont le Liban devait être la vitrine. De fait, il a suffi que le Hezbollah chiite libanais décide de rompre, le 12 juillet, le statu quo qui prévalait depuis six ans à la frontière libano-israélienne, en capturant deux soldats israéliens, pour mettre le feu aux poudres. En plus des chiites irakiens, dont le jeune Moqtada Al-Sadr en est le symbole, le soutien de l'Iran à des mouvements comme le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien fait partie de l'objectif stratégique de Téhéran pour devenir la puissance régionale dominante. Son influence sur la communauté chiite irakienne lui a déjà permis de s'imposer en Irak, pays en proie à une quasi guerre civile entre sunnites et chiites. Ces violences intestines en Irak n'ont cessé de nourrir les craintes des Libanais car deux ministres du Hezbollah siègent dans le gouvernement à majorité anti-syrien. La crainte d'un retour en force de Téhéran sur la scène libanaise a éclaté au grand jour lorsque le chef de la diplomatie iranienne s'est invité, début août, à Beyrouth pour exprimer ses réserves concernant le plan de règlement du conflit frontalier israélo-libanais présenté par le Premier ministre libanais. Pour marquer notamment leur soutien au Liban face aux velléités iraniennes, les ministres arabes des Affaires étrangères ont tenu une réunion extraordinaire à Beyrouth. Dès le début du conflit, les pays arabes sunnites comme l'Arabie saoudite, l'Egypte et la Jordanie n’avaient pu que dénoncer l’aventurisme du Hezbollah.

Contrairement à la position modérée des Arabes, les Iraniens se sont montrés sur la scène. Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le 13 juillet 2006,  a mis en garde Israël contre toute agression à l’égard de la Syrie. « Si Israël commet une autre idiotie et agresse la Syrie, cela sera synonyme d'une agression contre l'ensemble du monde musulman et il recevra une réponse cinglante », a déclaré M. Ahmadinejad. Le Hezbollah est considéré comme étant la main et l’épine iranienne au Liban. Il est l’ennemi farouche de l'Etat hébreu et des Etats-Unis, qui l'ont classé dans la liste des "organisations terroristes. Il peut aligner plusieurs milliers de combattants aguerris par la lutte armée engagée contre Israël au Liban, comme ça a été le cas  en 1985. Ce mouvement dispose d'un immense réservoir de partisans au sein de la population chiite, communauté la plus nombreuse au Liban, en Irak et en Iran. Fourni par Téhéran,  l'équipement de son organisation paramilitaire, la Résistance islamique, est de plus en plus sophistiqué[3]. Le lien entre Téhéran et le Hezbollah est un lien historique. Créé par les Gardiens iraniens de la révolution dans la foulée de l'invasion israélienne du Liban en 1982, le Hezbollah a obtenu une première grande victoire avec le retrait israélien du Liban sud en mai 2000, qui avait assuré sa popularité dans le pays du Cèdre.

En arrière plan, une autre image se profile : la volonté russe de trouver une place dans la gestion de crises régionales. Moscou, qui par sa menace met fin à la crise de Suez en 1956 et qui préserve la troisième armée égyptienne de la défaite en 1973, affiche souvent sa rage de ne pas pouvoir jouer un rôle actif.  Moscou, qui voulait jouer un rôle dans le conflit au Liban, est bien décidée à jouer sa carte au Moyen-Orient, face aux Etats-Unis, même si son influence reste relative. Elle présente, le 10 août 2006, un projet de résolution séparé sur le Liban au Conseil de sécurité de l'ONU. Moscou, qui avait déjà tenté de jouer un rôle de médiateur sur le nucléaire iranien ou en recevant le Hamas juste après sa victoire aux élections législatives palestiniennes, s'efforce désormais de prendre l'initiative pour faire taire les armes entre Israël et le Hezbollah.

 La Russie veut montrer, notamment au monde arabe et musulman, qu'elle a une position indépendante des Etats-Unis, qu'elle peut présenter ses propres propositions. Forte de ses réserves de pétrole, Moscou se sent plus puissante et veut revenir sur le devant de la scène politique mondiale. La diplomatie russe a d'abord soutenu le projet franco-américain qui prévoit une cessation des hostilités, avant d'évoluer progressivement devant les réticences libanaises. Moscou a ainsi suggéré pour la première fois l'idée d'une résolution alternative, qui n'a alors guère eu d'échos, puis a attendu deux jours avant de passer à l'offensive en faisant circuler un projet de résolution demandant un cessez-le-feu de 72 heures. Le Kremlin ne manque pas une occasion de s'affirmer face aux Etats-Unis, avec lesquels ses relations sont de plus en plus tendues (Washington critique le déficit de démocratie en Russie ou décrète des sanctions contre des firmes russes pour livraisons d'armes à l'Iran). L'Union soviétique a joui d'une forte influence au Moyen-Orient, que la Russie post-soviétique essaie de regagner, même si ce discours pro-arabe ou pro-musulman vise peut-être avant tout à apaiser les esprits dans le Caucase russe. Pour l'ambassadeur iranien à Moscou, Gholamreza Ansari, « Les tendances anti-américaines et anti-israéliennes deviennent de plus en plus fortes au Proche-Orient et dans le monde musulman (...) Cela stimule le développement de relations plus étroites avec la Russie », affirme M. Ansari dans le quotidien Nezavissimaïa Gazeta du 11 août 2006.


[1] Seymour M. Hersh, “Watching Lebanon, Washington’s interests in Israel’s war”, The New Yorker, 21 août 2006. http://www.newyorker.com/fact/content/articles/060821fa_fact

[2] George Monbiot,  “In a military democracy, it is the warriors who call the shots, The failure of the attack on Lebanon has left the Israeli people less secure, but it has done nothing to dent the generals' power” The Guardian, 15 août 2006.

[3] Jane’s Intelligence Weekly, 10 août 2006.