Les pradoxes de la sixième guerre                                                                           Mohamed Abdel Azim     Journaliste                                         

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La dissuasion est érodée

 « Les combats ont modifié l'équilibre stratégique de la région », affirme le chef du gouvernement israélien Ehud Olmert devant la Knesset le 14 août 2006. Suite à cette guerre, le succès de la dissuasion israélienne considéré comme acquis depuis des décennies est pour la première fois mis en doute en plein jour. Les menaces israéliennes n’ont pas dissuadé le Hezbollah, qui se qualifie de "Parti de Dieu", d’envoyer ses roquettes sur les villes et les villages israéliens comme Haïfa. La guerre n’a pas été rapide pour les soldats israéliens. Tsahal a du faire face à un scénario de “déjà vu” en Afghanistan par les combattants afghans contre les Soviétiques et par les Combattants vietnamiens contre les Américains. C’est encore le cas des Talibans contre les forces américaines en Afghanistan. La résistance farouche des combattants chiites met à mal les plans sophistiqués des généraux israéliens. La puissance israélienne, avec ses satellites, ses bombardiers, ses sous-marins et navires de guerre  ainsi que ses chars indestructibles, sans oublier les missiles anti-missiles Patriotes, n’a pas pu faire face aux quelques centaines de combattants déterminés à challenger Tsahal[1].

Cette situation montre que la dissuasion israélienne est en phase d’érosion, si elle n’est pas déjà érodée[2]. La puissance nucléaire israélienne n’avait pas dissuadé Nasser ou Sadate d’initier des guerres. Elle n’avait pas dissuadé Saddam Hussein d’envoyer ses missiles Scud sur Tel-Aviv en 1991. Elle ne dissuade pas les Iraniens qui appellent toujours à rayer Israël de la carte. Cette doctrine de dissuasion qui a échoué face à des décideurs “non dissuadables”, qui dirigent des armées régulières, se voit en difficulté de dissuader des groupes armés tel que le Hamas ou le Hezbollah de mener des actions d’attaque contre Israël et prendre ses soldats en otages. La grosse bombe semble ne pas dissuader ces petits groupes de combattants déterminés. C’était déjà le cas des combattants afghans contre l’Union soviétique ou encore des combattants algériens face à l’armée française. On oublie que ces groupes comptent sur l’auto-dissuasion des puissances nucléaires qui n’auront pas recours aux armes nucléaires dans les champs des batailles car cela repose sur la conception de la dissuasion rationnelle. Les guerres ont été et resteront, dans ces conditions, des guerres classiques.  C’est au point que le chef d'état-major, le général Dan Haloutz, a même admis publiquement que ce nouveau conflit « est plus important que tous ceux qui l'ont précédé, à l'exception peut-être de la guerre de 1948 ». Cité par la presse, le général Haloutz estime que « cette guerre doit restaurer la force de dissuasion de l'armée sérieusement érodée, craint-il, aux yeux d'un monde arabe qui encense son nouvel héros, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah. D'autant que l'armée semble avoir été surprise par l'audace et l'opiniâtreté des combattants du Hezbollah.

Malgré cette disparité, l'inquiétude en Israël est réelle. « Si Nasrallah continue de sévir, cela peut déclencher un processus qui mettra en danger l'existence du pays », écrit Ben Caspit, un éditorialiste du Maariv (populaire). Résultat, Israël se bat depuis un mois, soit plus que le temps que dura la guerre du Kippour en octobre 1973 », note encore le quotidien. Comme en 1973, en 2006, Tsahal est en difficulté. « C’est la surprise » écrit Haaretz le 11 août 2006. En 1973, Sadate avait surpris les Israéliens par la traversée du canal de Suez et le fait d’avoir franchi la ligne Bar Lev, puis par les missiles sol-air qui formaient un mur infranchissable pour l’aviation israélienne tout le long du canal. Cette sixième guerre voit de nouveau apparaître des surprises que les Israéliens n’imaginaient pas un seul instant. Les missiles antichars   infligent de lourdes pertes à Tsahal. Les Katiouchas tuent les civils et causent la terreur au sein de la population. En effet, ces missiles antichars modernes tirés par les combattants embusqués du Hezbollah au Liban sud ont infligé, en un mois, des pertes douloureuses à l'armée israélienne, qui en est encore à chercher la parade. On dénombre près de 90 militaires tués au combat. Les missiles, se sont avérés efficaces aussi bien contre les blindés que contre l'infanterie. Le quotidien Yediot Aharonot rapporte que « sur les 25 missiles téléguidés tirés contre des chars, un quart de ces missiles a  pénétré le blindage et causé des pertes parmi les membres de l'équipage ». Le Hezbollah « a soigneusement étudié les caractéristiques de nos blindés et a appris à connaître leurs points faibles », a déclaré au journal un officier qui a requis l'anonymat[3].

Par ailleurs, les combattants du Hezbollah, qui se sont longuement préparés à cette confrontation et maîtrisent parfaitement leur armement, font preuve d'une grande pugnacité. Ils laissent approcher les forces israéliennes pour ouvrir le feu à courte distance avec les meilleures chances de toucher, d’après l’aveu des militaires israéliens. Les missiles antichars sont tous de conception russe, mais certains sont fabriqués en Iran, selon le JCSS. « L'armée israélienne se doutait que le Hezbollah disposait de toute une panoplie de missiles, mais il n'est pas certain qu'elle ait su qu'il disposait de Metis-M et des Kornet », souligne l'Institut Jaffee d'études stratégiques de l'université de Tel Aviv[4]. Selon le Yediot Aharonot, « le manque de préparation de Tsahal aux missiles antichars constitue dores et déjà l'un des plus graves ratés de cette guerre ». Mais, « le problème n'est pas technique, car, dans la course sans fin entre le blindage et l'arme antichars, on trouvera bien la réponse au défi posé par de nouvelles générations de missiles comme on l'a trouvé dans le passé », note le quotidien.  L'essentiel, souligne Yediot Aharonot, « c'est que l'armée israélienne comprenne enfin qu'elle n'affronte pas une bande de terroristes mais une véritable armée ».Au fur et à mesure que le conflit au Liban se prolonge, Israël courait le risque croissant d'être pris au piège du "bourbier" libanais, où il s'est déjà enlisé dans le passé.

Pris par surprise par l'enlèvement de deux de ses soldats le 12 juillet, accompagné d'un bombardement de roquettes sur le nord du pays le même jour, Israël s'est laissé entraîner dans cette guerre, qu'il mène parallèlement à la bataille engagée contre le Hamas dans la bande de Gaza. Préoccupés par les conséquences d'une occupation du Liban sud, les dirigeants israéliens n'ont remis que tardivement et timidement à flot l'idée d'instaurer une zone de sécurité. Il n'en a été question que le 25 juillet, soit 13 jours après le début du conflit, et six ans après le retrait d'Israël du territoire libanais.

Le lendemain, le Premier ministre israélien Ehud Olmert précisait que cette zone de sécurité serait profonde de quelques kilomètres « de façon à ce que le Hezbollah ne se trouve plus à proximité de la frontière  internationale entre le Liban et Israël. « Attention à l'enlisement », met en garde Zeev Schiff, spécialiste des questions militaires du quotidien libéral Haaretz. « Même si le Hezbollah retourne dans la région (frontalière) », écrit cet expert. D’après Zeev Schiff, « il faut opter pour un retrait du Liban, afin de ne pas s'enliser à nouveau dans le bourbier libanais ». L'armée de l'air ne dispose que de moyens limités pour mettre en échec les lanceurs de roquettes à courte portée du Hezbollah qui possède, selon une source militaire, d'un stock suffisant de ces projectiles "pour mener une guerre d'usure de trois mois contre Israël". « Nous ne voulions pas de cette guerre. Et aujourd'hui nous en sommes à nous rapprocher à grand pas (...) du contrôle d'un secteur qui va jusqu'au Litani », écrit de son côté le Yédiot Aharonot. « Encore des mouvements de troupes en perspective, encore des tanks, encore des bombardements, encore des raids aériens, et surtout, encore des pertes en vie humaine, et encore du temps. Peut-être beaucoup de temps », constate le quotidien populaire à grand tirage.


[1] Selon les experts, Israël dispose de moyens militaires autrement plus sophistiqués que ceux de la milice chiite, notamment près de 4.000 chars, 470 avions de chasse, 15 navires de guerre et 3 sous-marins, pour une armée de près de 600.000 hommes, réservistes compris. Le Hezbollah aligne quant à lui 600 à 1.000 combattants, 3.000 à 5.000 combattants mobilisables et 10.000 réservistes, avec un arsenal d'environ 10.000 roquettes à courte portée et des missiles de plus longue portée fournis par l'Iran.

[2] Yoel Marcos, Haaretz, 15 août 2006.

[3] Les chars lourds israéliens Merkava, en particulier les Merkava III et IV de la dernière génération sont considérés comme les chars les plus puissants du monde, et pour lesquels l'accent a été mis sur la protection et le blindage. Ils sont dotés d'équipements électroniques ultrasophistiqués, d'un puissant moteur de 1200 chevaux et d'un blindage, spécialement étudiés leur assurant à la fois une grande mobilité et une bonne protection. Ces engins se sont néanmoins avérés vulnérables aux attaques des miliciens du Hezbollah, aussi bien à cause de la qualité des missiles employés, que des conditions du terrain, vallonné, couvert de verdure, jalonné d'obstacles naturels et peu propice au déploiement de blindés, surtout dans les agglomérations.

[4] "Les missiles les plus efficaces sont les Metis-M, et les Kornet, fabriqués par la Russie, qui ont été livrés à la Syrie dans les années quatre-vingt-dix" "Ils sont redoutables, car ils ont été conçus pour surmonter les blindages actifs des chars modernes que les Israéliens ont été les premiers à mettre en service avec un grand succès au début de années quatre-vingt". Le Hezbollah dispose aussi de nombreux Sager de nouvelle génération, une arme de conception russe fabriquée en Iran, ainsi que de deux autres missiles de fabrication russe le Spigot et le Kuntrus. Ces missiles ont des portées de 1,5 km à 5 km et sont capables de percer des blindages de 400 mm à 1.000 mm.