Poutine défie Bush, la route vers la crise passe par l’Europe centrale
Written by Mohamed Abdel Azim Thursday, 01 March 2007
Peut-on conclure que depuis la guerre contre les Talibans en 2001 et surtout depuis l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, le système international se trouve dans une zone de perturbations ? Depuis 2003, la crédibilité de Washington est mise en question. A Pékin comme à Moscou, le scepticisme est manifeste.
Ces dernières semaines il y a un facteur nouveau qui risque de transformer les perturbations en une tempête pouvant avoir des conséquences incalculables : le bouclier antimissile américain.
Moscou est inquiet depuis que Washington essaie d’étendre son programme de bouclier antimissile, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi en Europe centrale. Washington, qui mène des négociations secrètes avec Londres afin de placer des bases de missiles antimissile sur son sol écrit The Economist dans son édition du 23 février, demande aussi officiellement, en janvier, à Prague d'accueillir un radar pour son bouclier de défense balistique, et à Varsovie d'accueillir de son côté dix intercepteurs antimissile. Pourquoi une telle activité et pourquoi maintenant ?
Les gouvernements américain et britannique discutent de l'installation en Grande-Bretagne d'intercepteurs du bouclier antimissile américain, indique un porte-parole du Premier ministre britannique Tony Blair. Une semaine auparavant, le gouvernement italien de Romano Prodi donne son feu vert à Washington et autorise l'élargissement de la base aérienne américaine de Vicenza.
L’armée américaine, qui va devoir déplacer ses troupes en Europe afin de mettre un terme à sa présence toujours très forte en Allemagne, cherche à trouver une meilleure base de départ dans le sud de l’Europe pour ses opérations au Moyen-Orient et dans le Bassin méditerranéen. En ce qui concerne le nord de l’Europe, Washington voit Varsovie et Prague comme des lieux indispensables pour contrer le monstre slave. Cette stratégie passe par le déploiement de bases de bouclier antimissile américain dans le centre de l’Europe et par l’élargissement de ses bases en Italie.
Si tel était le cas on assisterait à une crise sérieuse dans les relations entre Moscou et Washington. Cette crise se profile peu à peu alors que la discorde se manifeste de façon claire entre la Russie et les Etats-Unis. Moscou se montre méfiante envers Washington et le monde commence à vivre le début d’un scénario de tension entre le Kremlin et la Maison-Blanche. La conférence sur « la crise globale », qui a lieu à Munich, s’est tenue dans une ambiance tendue et au lieu de dissiper le brouillard entre les deux super-puissances, elle a au contraire abouti à l’éclatement en plein jour de la crise latente qui existe entre eux. A Munich, nous avons assisté à un dysfonctionnement dans les rapports entre Moscou et Washington.
Plusieurs raisons sont à l’origine de dysfonctionnement dans le jeu d’interaction entre nos deux acteurs. Il s’agit bien évidemment du dossier iranien ou encore des dossiers à venir comme celui du nucléaire saoudien, mais aussi de l’avenir de l’OTAN. Ce dernier arrive aux portes de la Russie et le bouclier antimissile américain avance doucement mais sûrement. La dissension américano-russe se joue donc sur deux terrains majeurs : le premier étant l’Europe centrale et le deuxième étant le Moyen-Orient.
Si l’Italie accepte l’élargissement de la base militaire américaine de Vicinza, la Pologne et à la République tchèque, deux autres pays membres de l’Union européenne, vont servir de bases au bouclier antimissile américain d’ici 2011-2012. Les États-Unis, qui disposent d'un puissant réseau de satellites d'alerte, de radars de détection hautement sophistiqués et d'intercepteurs de missiles en Alaska et en Californie, souhaitent étendre leur système de défense pour parer d'éventuelles attaques, selon les Polonais et les Tchèques, de l'Iran ou de la Corée du Nord. Mais le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier et le ministre de la Défense Franz Josef Jung critiquent les États-Unis pour ne pas avoir discuté de ces plans avec Moscou. L’Iran ne possède aucune fusée intercontinentale susceptible d’atteindre les États-Unis, déclare Steinmeier dont le pays est président en exercice de l’Union européenne.
Du côté russe, Moscou déclare ne pas comprendre le choix de l'Europe centrale pour intercepter des missiles iraniens. Depuis plusieurs semaines, Moscou est de plus en plus critique envers les États-Unis et s’oppose avec force au déploiement de ce système américain sur des terres où elle entretenait elle-même des bases militaires il y encore moins de vingt ans, avant la chute du communisme en 1989.
Les conséquences d’un tel programme peuvent pousser la Russie à sortir du traité USA-URSS. Ce traité américano-soviétique vise l'élimination des missiles à portée intermédiaire et courte (FNI). Signé le 8 décembre 1987, l'accord FNI est entré en vigueur en mai 1988. De durée illimitée, il prévoyait l'élimination et l'interdiction permanente d'une classe entière de missiles balistiques américains et soviétiques de 500 à 5.500 km. Après la disparition de l'URSS, les douze États de la CEI (ex-URSS moins pays baltes) sont devenus signataires du traité. Si Washington installe des éléments de son bouclier antimissile en Europe centrale, ce traité, signé il y a 20 ans, et qui a une durée illimitée peut être mis en cause par Moscou. La possibilité d'en sortir existe, si l’une des deux parties présente des preuves convaincantes de la nécessité d'y renoncer. Moscou pourrait le faire déclare le général russe Iouri Balouevski.
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Mohamed Abdel Azim
Lyon (France)
*Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.Newropeans Magazine - Poutine défie Bush, la route vers la crise passe par l’Europe centrale