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Lorsque
le cinématographique devient politique
« Il
n’y a de science que du caché » disait Bachelard. Construire l'objet,
c'est découvrir derrière le langage commun et les apparences, à l'intérieur
de la société globale, des faits sociaux, Grawitz, 1993. Entre
métaphore, symbole et politique, la mutation de la société à laquelle
l'image se réfère est difficilement séparable de l'histoire, note Gourevitch
1998: le double jeu du présentateur-prescripteur, la stratégie du désirable
qui entre en conflit avec l'idéologie, la répétition du slogan « croque
la pomme », la technique du bouche à oreille, et la punition quand
l'annonciation est devenue dénonciation. Politique et propagande se côtoient
et cela passe par une image. On vit des
histoires issues tout simplement d'un art, vu grâce à une technique de
projection. Dans cet art, nous avons vu dans les trois films des personnages
face à la souffrance causée par la perte d’un proche.
Nous
sommes partis à la recherche du politique dans des oeuvres cinématographiques.
Trois films avec trois regards différents sur un thème: la disparition. Des
personnages qui se souviennent du passé et
qui ont perdu un être cher. C'est le cas de Laura, de Jumbo, de François
de Zaza, tous sont en deuil; après
la disparition d'une personne chère. Rose, quant à elle,
raconte un passé. Ce passé est un passé d’une catastrophe avec mort
d’hommes . Ce politique, nous l’avons, par métaphore imaginé dans le
paquebot qui court tout droit vers la catastrophe. Nous avons déduit que le
paquebot symbolise la société dans laquelle nous vivons, une société qui, si
elle garde sa vitesse de croisière, ira
tout droit à la catastrophe. En effet, tout va trop vite pour le capitaine
Edward J. Smith, qui même avec un avertissement de présence d’un iceberg,
avance et augmente encore la vitesse du navire. Tout doit aller vite
aussi pour le pdt J. Bruce ISMAY,
directeur de la White Star Line. Il fait une course contre la montre pour
qu’on parle de son paquebot.
Ce
sont les gros titres de la presse qui l’intérressent. Nous avons, par la suite, procédé à un jeu d’homologie
entre ce paquebot, et une société constituée de différentes classes, se
trouvant face à des situations de panique, sur fond de va-et-vient entre un
individu et une société. « Les
situations de crise entraînent dans toute société des conduites qu’on peut
considérer comme pathologiques » explique Alain Touraine, 1976.
Lorsque la société se trouve face à une crise, les individus subissent de façon
différente cette situation, selon la position qu’ils occupent sur l’échelle
d’hierarchie dans la vie sociale.
Cette
vie sociale est une gigantesque "scène de théatre", selon Goffman,
et nous nous conduisons comme de véritables "acteurs" selon une
dramaturgie établie notamment par des "codes" moraux, des ruses, des
calculs d’intentions, qui constituent les cadres dans lesquels nous élaborons
notre "face" vis-à-vis d'autrui, par lesquels nous produisons
des "rôles", que le sociologue est invité à analyser.
C’est
par la suite, que nous sommes partis pour analyser le « jeu »
d’interaction entre les personnages dans les trois oeuvres. Ceci nous a
conduit à noter que mémoire et commémoration sont des formes de « sauver
la face », non pas vis-à-vis d’un autre, mais vis-à-vis d’un
disparu, selon des codes et des rites bien définis. L’individu sauve la face
ou fait bonne figure, car il y a déséquilibre, souffrance ou nostalgie. Un
groupe, en commémorant un mort ou des morts, éprouve peut-être le besoin de
vouloir sauver la face ou de faire bonne figure, car il y a de nombreuses
souffrances individuelles, des déséquilibres individuels, qui deviennent
collectifs. Il peut y avoir aussi une nostalgie du passé glorieux, dans tous les cas, un besoin de cohésion de faire corps.
Les
situations étudiées par Goffman sont des situations sociales dans lesquelles
deux ou plusieurs individus ( des interactants), sont suffisament rapprochés
dans l'espace. Ainsi, il y a une interdépendance des actions, mutuellement
constituées. Chaque partie constitue une source d'information pour l'autre.
Pour nos personnages, dans les trois aouvrages, nous avons remarqué que chacun
constitue de façon différente, un espace privé dans un espace « civique »
avec pour objet, la disparition. Sur un espace supposé commun, l’enfant Jumbo
s’invente un espace privé « une barque » sur une plage. Vincent
se fait son espace privé : un château de sable, sur la plage, espace commun.
Jumbo se fait un château réel « le blocus », espace privé. C’est dans cet
espace que Jumbo installe sa source d’information sur son ami Patrick disparu.
Là, Jumbo,
est interactant, à sa manière, avec un disparu, Patricl. Jumbo se
constitut tout un rituel, et effectue par ailleurs des visites à cet espace,
mais il refuse d’en réveler l’accès, même si son père l’exige.
Goffman,
dans son analyse des éléments rituels inhérents aux interactions sociales, développe
ce qu'il appelle "perdre la face ou faire bonne figure", défendre sa
propre face vis-à-vis de l’autre. D'autre part, on rencontre aussi chez
Goffman la notion de sauver la face
par "l'évitement", se
retirer élégamment pour sauver la face. Dans Level 5, on apprend que les
japonais évitent de parler d’Okinawa, que les livres d’histoire ne
mentionnent pas les atrocités commises à Okinawa. Il y a ici, un signe très
fort montrant que la société peut aussi, comme l’individu, sauver sa face
par l’évitement. Une société,
si elle sauve la face par l’évitement, peut aussi faire bonne figure par la
« réparation » selon la notion de Goffman. Cette notion de
"réparation" s’appuie sur une voie d'attention "directe
et officielle".
A
ce stade, un ou plusieurs participants se trouvent ouvertement en déséquilibre,
ou en disgrace. Il leur faut essayer de rétablir entre eux un état "
rituel" satisfaisant. Goffman, 1973. Le
"rituel" chez Goffman, est un acte dont le composant
"symbolique" sert à montrer combien la personne agissante est digne
de respect et combien elle estime que les autres sont dignes. C’est ce que
Rose illustre par le geste de jeter le diamant dans l’eau. Acte symbolique,
car ce diamant, pour lequel on se mobilise avec des moyens technique avancés et
des chercheurs bien équipés -en vue de le trouver-, a perdu pour Rose toute
valeur. Elle est même souriante en la jetant dans l’Océan.
La
notion de réparation est illustrée par Laura, qui essaie de terminer un
logiciel, et ainsi de réparer une rupture de continuité, causée par la
disparition de l’homme qu’elle aimait. Elle met peu à peu de côté
l’ordinateur, se dirige vers une caméra et installe ainsi un interactant;
elle essaie, par la suite, de réparer un déséquilibre qui ne se réparera pas
pour elle. Son cas s’aggrave. Zaza
et François essaient et échouent. Zaza ne réussit pas à réparer la
souffrance par un suivi médical. François aussi échoue; il essaie
d’installer un jeu d’interaction en prenant Vincent comme interactant, puis
sa petite soeur dans un café. Ces tentatives échouent; il quitte le lieu et
rentre à Paris.
Nous
avons noté que la souffrance causée par la mort, pour un individu ou un
groupe, provoque un conflit interne ( individuel
ou collectif). Pour diminuer
ce conflit individu et collectif, ces individus ou ces groupes essaient
de passer par un jeu interactionnel avec leurs morts. Ce processus est un
moyen de régulation de conflit intériérement
senti par un individu ou un groupe. L'individu trouve l'arrangement adapté à
la situation pour rétablir un équilibre systémique perturbé par la mort. On
trouve autant de manières à retrouver cet équilibre que de cas souffrants;
malgré cela, il est évident qu'un point commun les lie : communiquer à
travers la parole ou le gestuel.
On
a supposé une homologie entre individu et collectif autour de la mort. On peut
expliquer cette possibilité d’homologie, par l’existence d’une zone
commune entre individu et société, ( Schéma suivant).
Discours
et cérémonies, commémorant les morts, pour un groupe aident à rétablir un
équilibre. Nous supposons que l'individu ou le groupe vont chercher dans le
passé du ou des morts, ce qui aidera à établir le processus interactionnel
entre acteur vivant et acteur mort. Ce processus prend des formes différentes
pour l'établissement du jeu d'interaction. Il peut prendre des formes
physiques: figurations, statues, lieux et écritures etc. Il peut prendre aussi
des formes abstraites: dates, récits, rites etc. Ces manifestations aboutissent
à une régulation de la vie collective et ainsi de la vie d'un individu au sein
du groupe. Cette régulation puise ses ressources dans le passé, avec comme visée
de résoudre un conflit difficilement réglable par d'autres moyens ( médiation,
négociation, arbitrage, intégration ou
usage de la force ). Cette
interaction a une fonction de régulation de la vie individuelle et collective.
Un
des aspects que nous avons dû aborder, suite à notre parcours
interactionniste, est l’aspect systémique. Nous avons supposé l’existence
d’une crise systémique suite à la mort et la disparition. Pour Laura, Zaza,
Jumbo ou François, nous nous sommes posé la question suivante: sommes-nous
dans une phase de crise systémique dans laquelle le feed-back-loop de
D. Easton, 1979,
ne fonctionne pas de façon fluide ?
Nous
avons trouvé des indices, et la mort peut selon ces indices provoquer une crise
systémique pour un individu ou pour une collectivité.
D’abord
la disparition fait que l’on cherche à user du langage pour communiquer une
souffrance. Suite à la coupure du pont interactionnel avec un disparu, on se
retourne vers là où ce jeu peut avoir lieu : les autres. Puis plus tard, on se
retourne ponctuellement vers les disparus, en établissant une sorte de jeu
interactionnel ponctuel par le discours, langage ou par le gestuel donc rituel.
La disparition fait naitre un jeu interactionnel avec les morts en mettant en
place des rites réglés et régularisés.
La
notion de feed-back permet d'avoir un équilibre par le jeu d'interaction; or
cette interaction ne peut avoir lieu. La réponse est donc : puisque la personne
physique a disparu, nous disons que
les souvenirs et les mémoires sous forme de rites commemoratifs par les
individus ou les groupes, continuent de remplir un rôle et une fonction de régulation
interactionnels.
Nous
avons noté que les outputs d’un individu ou d’un collectif, ne sont pas en
attente d'un feed-back, que mais ces outputs sont eux-mêmes générateurs
d’un « auto-feed-back. L'acteur est donc simultanément auteur des
outputs et des feed-back. Ces feed-back sont donc des colmateurs de séquelles,
porteurs d'équilibre pour la cohésion d'un groupe ou l’intégralité d’un
individu. Une
crise systémique, pour nous, ne signifie pas l'arrêt du jeu d'interaction.
Ceci signifie que le Feed-back entre les deux agents-acteurs en interaction est
biaisé ou parasité par des facteurs extérieurs, ou par la disparition
physique de l'un des acteurs. Cette disparition met une fin définitive à une
interaction directe du point de vue physique, le canal du feed back habituel est
donc interrompu et substitué par un auto-feed-back. Ceci ne signifie pas l'arrêt
d'émission des outputs de la part de l'acteur, soit envers d'autres acteurs
-avec pour l'objet d'échange la mort-, ou envers les morts, sous forme de commémorations
- l'objet d'échanges étant le passé et la mémoire-.
Ainsi,
la boucle interactionnelle se ferme, mais pas d’une façon répondant aux attentes de l'émetteur.
Nous nous demandons si la crise systémique entre vivants ne cherche pas
à trouver un équilibre systémique par un détour passant par un objet commun:
la mort. On peut comparer cela à un dialogue des sourds : les canaux de la
communication sont établis, mais le contenu communicationnel est vide de
sens. Pour donner un sens à ce dialogue et retrouver un équilibre systémique
entre vivants, c'est dans le passé que l'on va
chercher. Les mises en scène ou les récits portant sur ceux qui nous
ont quittés, les fait participer de nouveau au jeu interactionnel ; ils
deviennent ainsi acteurs ponctuels, source
d’équilibre systémique. Pour
atteindre l'équilibre systémique, tout se passe comme si le schéma était
simple, alors que cela cache une
complexité profonde sur fond de souffrance, individuelle ou collective. On peut
même dire que cette souffrance ressemble à une conflictualité que l'on
cherche à éviter ou à résoudre. A première vue, on a l'impression que cela
est facilement évitable ou très simple à résoudre, mais la réalité montre
que cela est plutôt compliqué et que cela ne s'arrange pas de façon mécanique
ou systématique. L'absence d'interaction entre un individu -ou un groupe-, et
un disparu ( faisant partie d'un passé interactionnel), provoque un
intensification de jeu interactionnel de l’individu ou du groupe, compensant
ainsi la carence provoquée par la disparition.
Cette
interaction ne se produit pas dans un cadre classique tel que défini par la
« théorie générale des systèmes ». La mort est donc objet
d'interaction, pour un individu ou un groupe, afin de rétablir l'équilibre
destabilisé par la disparition. Cette interaction ne vise pas un feed-back de
façon systématique, mais plutôt a une visée de rétablissement ou de
maintien de l'équilibre pour un individu ou au sein d'un groupe.
Cette
logique, dès qu’il s’agit de la mort, ne fonctionne pas de façon continue
en boucle. Elle se met en place, par l’un des groupes ou d'individu sans un
feed-back immédiat. La boucle de feed-back, ne se ferme pas, schéma ci-après.
Comme
C. Castoriadis 1978, nous faisons appel à l'imaginaire. Le "symbolique
" prend pour nous autant d'importance que la rationnalité. C Castoriasis
cherche à établir des rapports entre le "psyché" et le social
historique, entre imaginaire individuel : psyché, et imagination sociale
appartenent au social historique.
Si
l'on considère que l'individu peut fonctioner comme un système et que la société
en est un, on peut déduire qu'individu et société ont des bases de
fonctionnement communes ou au moins homologues au niveau interactionnel, face à
la disparition et à la mort. Le premier est un niveau d'interaction
personnelle, le deuxième : la société, étant constitué d'un ou de plusieurs
groupes d'hommes faisant corps, fonctionnant comme un.
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