L'Amérique entre extension et confinement

La politique américaine de Baruch à Bush

Mohamed Abdel Azim*

 

Le système international actuel n’offre pas les conditions nécessaires pour faire face au problème de la prolifération nucléaire. Avec la logique des néo-conservateurs, visant à revitaliser les valeurs patriotiques à l'intérieur et une politique dynamique à l'extérieur des États-Unis,  Washington qui suit une politique d’extension basée sur la force, revoit sa copie et songe à l’inflexion. Sur fond de lutte contre la menace terroriste, Washington mène la guerre en Afghanistan. La perception de la menace théorique de Saddam Hussein avec ses laboratoires nucléaires fictifs et ses armes de destruction massive, motive le déclenchement de la guerre en Irak en 2003. Depuis, la prolifération passe au travers du filet américain. Avec le test nucléaire de la Corée du Nord et la poursuite du programme nucléaire iranien, les États-Unis assistent impuissants à l’entrée de la question de la prolifération dans une phase de non contrôle. Quelles sont donc les raisons pour lesquelles Washington se voit dépassé par la vitesse de l’inévitable prolifération ?

 

La prolifération de Baruch à Bush

Face à la prolifération nucléaire, les États-Unis se trouvent confrontés au plus grand échec de leur politique depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il y a eu tout d’abord l’échec de la politique de persuasion poursuivi jusqu’en 2003. Depuis cette date, l’Irak met au grand jour l’échec de la stratégie américaine dans son recours à la force pour des raisons liées, en apparence, à la lutte contre la prolifération nucléaire. Cette politique (avec les deux facettes : persuasion et force), vise à dissuader certains pays de ne pas développer des armes nucléaires[1]. La dernière politique américaine contre la prolifération, basée sur la vision de l’administration Bush à travers un axe du mal, n’a pas forcement résolu le problème ou guéri ce mal chronique. Durant des décennies, Washington, au travers des politiques des différentes administrations contre la prolifération, n’est pas parvenu à  mettre fin à ce problème. Ces administrations ont abouti à la conception d’une démarche basée sur la persuasion par la dissuasion rationnelle. Cette politique en destination des pays en voie de nucléarisation ne donne pas les résultats escomptés. Le passage à la phase de l’usage de la force est en lui-même l’illustration de l’échec de la première phase de la politique américaine contre la prolifération nucléaire. L’échec de la première phase de persuasion trouve ses origines dans l’ambiguïté de la conception théorique de la politique de dissuasion envers des Etats non nucléaires. Ce constat d’une politique inachevée relève  les craintes américaines et poussent Washington à s’orienter vers une démarche offensive par la prévention guerrière. L’échec de cette démarche unilatéraliste pousse à son tour les États-Unis à s’orienter vers une voie de confinement. Basée essentiellement sur la conception de la défense, ce retranchement s’appuie sur deux axes. Le premier est la barricade par bouclier anti-missile et le deuxième vise le barrage par la stratégie spatiale. Cette stratégie prône la "liberté d'action" des États-Unis. C’est ce qui leur donne le droit d’interdire l'espace, si nécessaire, à tout pays « hostile aux intérêts américains ».

 

Lorsqu’on suit la politique américaine, on s’aperçoit que depuis le plan Baruch en juin 1946, les États-Unis se sont clairement opposés à la prolifération nucléaire[2]. C’est le cas jusque dans les années 60. Cependant, l’opposition américaine à la prolifération des armes nucléaires est à peine accompagnée d’une politique logique, cohérente et bien définie[3]. Durant les années 50, la prolifération nucléaire n’a pas été considérée par les Policy Makers américains comme une question globale nécessitant une orientation particulière. L’administration Eisenhower opte pour une stratégie sous le signe de la paix : Atoms for Peace. Cette politique se montre limitée et c’est sous la présidence de John F. Kennedy que les États-Unis considèrent que la non-prolifération nucléaire mérite une ligne politique plus stricte. Malgré cela et en 1964, la Chine devient alors la 5ème puissance nucléaire. A cette époque, d’autres candidats sont potentiellement et techniquement capables de franchir le pas. Émerge alors l’idée d’une norme internationale et d’un traité de non-prolifération des armes nucléaires, sous l’administration Lyndon B. Johnson. Washington tend à considérer qu’une politique ferme, globale et concertée peut freiner la prolifération des armes nucléaires. Mais depuis, le nombre de pays détenteurs de la bombe atomique a doublé (avec Israël, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et bientôt l’Iran)[4].

 

L’inévitable prolifération

À la lecture des événements des années 60, on a tendance à dire que la prolifération est inévitable par un effet de réaction en chaîne. Quatre décennies plus tard, ce constat est toujours d’actualité. L’essai nord-coréen risque de déclencher une cascade non contrôlable dans la zone du sud-est asiatique (Corée du Sud, Japon et Taiwan). La peur de l’Iran comme future puissance nucléaire risque à son tour de déclencher une autre cascade dans la zone du Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Egypte, Syrie ou encore la Turquie)[5]. Ce constat rappelle ce qui s’est passé lorsque la Chine est devenue la cinquième puissance nucléaire dans les années 60 du siècle dernier. L’Inde avait besoin de se sécuriser. Dix ans plus tard l’Inde devient une puissance nucléaire. À cette époque, l’ambassadeur américain en Inde Thompson tire la sonnette d’alarme dans une lettre adressée au Department of State et propose de rassurer New Delhi en cas d’attaque par l’un de ses voisins. D’après Thompson, le facteur principal en jeu dans la décision indienne de développer ou non son arme nucléaire, dépend des assurances données par Washington. Mais d’une part, ces assurances n’ont jamais eu lieu, d’autre part la Chine procède à son deuxième essai nucléaire. Il faut donc rassurer Nehru. Dans un rapport daté du 27 février 1965 et envoyé aux ambassades américaines à Moscou, à Tel-Aviv et au Consul américain à Hong Kong, le département d’Etat (page 4, point numéro 5), fait allusion aux assurances de soutien de Washington à Nehru lors de la visite du Président Eisenhower en 1959. Nehru aurait, selon le document (page 2, paragraphe 2)[6], demandé l’aide militaire américaine en 1962.

 

La note souligne aussi que les États-Unis ne peuvent aller au-delà des assurances et qu’ils entendent défendre l’Inde en cas d’attaque chinoise. Un an après, le 29 mars 1966, le secrétaire d’État Dean Rusk écrit une note dans laquelle il souligne que les Indiens ont pris la décision de développer un programme nucléaire militaire. Il souligne aussi que si cette décision est appliquée, l’Inde sera en mesure de procéder à son premier test nucléaire un an plus tard. L’Inde, selon la note de Dean Rusk, a suffisamment de plutonium pour procéder à la fabrication de la bombe atomique[7]. Malgré les oppositions internes, l’Inde poursuit son programme nucléaire et suite à l’essai chinois du 24 octobre 1964, le Président de la Commission de l’énergie atomique indien, annonce que son pays procédera peut-être à la fabrication de l’arme nucléaire, sauf si des pas significatifs sont faits pour un désarmement général. Dix ans plus tard, en mai 1974, l’Inde procède à son premier test nucléaire. Deux semaines après ce test, un rapport écrit par le département d’État estime que l’essai indien a pour but de dissuader la Chine. Trois ans avant que la Chine procède à son premier essai nucléaire, les Américains ont déjà l’information sur les prétentions chinoises. Cela remonte à septembre 1961. La question est alors de savoir comment contrer la Chine communiste. L’option choisie est de donner le feu vert à la prolifération asiatique. C’est faute de pouvoir arrêter le programme nucléaire chinois, que les États-Unis cherchent à contrer la Chine par l’un de ses voisins. Dans cette région, il y a le Japon, l’Inde et le Pakistan qui peuvent avoir les capacités techniques dans ce domaine. Il n’y a que la candidature de l’Inde qui semble être retenue. Un document avec un contenu impressionnant, daté du 14 septembre 1961, montre que le département d’État se fait des soucis à propos de l’impact psychologique d’une détonation nucléaire de la Chine communiste. La dénucléarisation de la Chine n’est pas l’option choisie. Washington constate alors qu’il faut agir autrement. La question est comment faut-il donc agir ? La réponse se trouve dans un rapport qui recommande une action face à un possible essai nucléaire de la Chine communiste prévu dans deux ou trois ans. Le chef du Conseil de planification de la politique du département d’État, George C. McGhee présente son rapport au secrétaire d’État Dean Rusk. Le rapport McGhee est étonnant. Écrit le 13 septembre 1961, le 4ème paragraphe de la deuxième page recommande de chercher la prévention du côté indien. « Il serait souhaitable qu’un pays asiatique ami puisse rivaliser la puissance avec la Chine communiste. Aucun candidat n’est plus probable que l’Inde. (…) Face à ce constat, s’il faut choisir entre la Chine et l’Inde et tant que nous manquons de possibilité d’action, il vaut mieux que le premier pays asiatique soit l’Inde et non pas la Chine[8]. » L’Inde, qui effectue son premier essai d'arme nucléaire en 1974, n'a jamais adhéré au Traité de non-prolifération nucléaire. L'accord nucléaire avec l'Inde, suite à la visite du président Bush en 2005, suscite des réticences. Bien que le caractère exemplaire de la non-prolifération nucléaire indienne ait été officiellement reconnu par Washington, les critiques estiment que l'entente pourrait renforcer des candidats à la puissance nucléaire comme l'Iran et la Corée du Nord.

 

Ambivalence américaine et ambiguïté israélienne

Israël choisit l’ambiguïté et son option nucléaire est mise en place suite à la menace soviétique lors de la crise de Suez en 1956. Ben Gourion opte alors pour ce qu’on appelle la « Samson Option », afin d’échapper à la pression de Moscou lors d’un conflit futur avec les Arabes. Le réacteur de Dimona est construit durant les administrations Eisenhower, Kennedy et Johnson. La première bombe atomique israélienne est produite quelques semaines avant la guerre des Six jours, en 1967. La décennie critique (1959-1969), illustre l’échec des efforts américains pour arrêter le programme nucléaire israélien. Durant les années 60 du siècle dernier, surgit la notion de l’ambiguïté israélienne accompagnée de l’ambivalence américaine. Dans le domaine de la prolifération nucléaire, Washington ne peut pas nier avoir fermé les yeux, pour permettre aux israéliens, comme aux Indiens, de développer les armes nucléaires.  Le désir de rêve même de l’établissement d’un État hébreu, engendre un large consensus au sein de la communauté juive dispersée dans le monde. La guerre israélo-arabe 1948-1949, -qui a lieu juste après la création de l’État d’Israël- permet de resserrer les liens qui unissaient cette population meurtrie par l’histoire. Se forme alors le triangle Bergmann, Pérès et Ben Gourion qui gardera le secret plusieurs années. C’est à partir de 1955, que la volonté des israéliens s’affiche vers un programme nucléaire militaire. Cette détermination se montre dès la première conférence de Genève en août 1955. Les documents montrent qu’à partir de 1957, Washington savait ce qui se passait à Dimona et comment l’AEC (Atomic Energy Commission), le département d’Etat, ou encore la Maison Blanche n’ont donné aucune suite aux rapports de la CIA relatifs au programme nucléaire israélien. Les documents montrent aussi comment, à Washington et à propos de la centrale de Dimona, aucune des photos prises par les avions U-2 ou le satellite Corona, n’a été rendue publique. Le contexte historique dans lequel se trouve l’État hébreu, l’aide à échapper à la politique américaine farouchement opposée, en apparence, à la prolifération nucléaire. On se rend compte de  l’échec des services d’Intelligence américains à clarifier ce qui se passe à Dimona. A Washington, la Maison Blanche et le département d’État n’ont jamais été inquiétés par les rapports de la CIA sur ce sujet. De plus, certains rapports de la CIA , hautement sensibles, n’ont jamais été transmis, ni à la Maison Blanche, ni à la commission du Sénat. Enfin, les rapports des visites officielles, par des experts américains de l’AEC, du site nucléaire de Dimona, ne donnent aucun signe de l’existence d’activités nucléaires sur ce site. Les Israéliens, alors aidés par l’œil fermé de Washington, œuvrent pour aboutir à la concrétisation de leur programme nucléaire et optent pour l’ambiguïté nucléaire.

 

La perception de la menace

L’approche américaine à l’égard de la prolifération nucléaire s’opère selon une classification du monde entre deux parties : une partie amie et une autre ennemie. Face à la menace, Washington navigue entre des conceptions théoriques de la dissuasion basées essentiellement sur des effets d’annonce sans jamais vraiment définir clairement l’orientation de leurs stratégies. C’est le cas du "nouvel ordre mondial" de Bush père ou encore "l’axe du mal" du Bush junior puis le "Grand Moyen-Orient" en passant par le "nouveau Moyen-Orient". Les États-Unis  qui oscillent entre le langage de la menace et celui de la diplomatie n’a toujours pas défini une ligne claire pour contrer la prolifération. C’est le cas en ce qui concerne le dossier iranien. Mais vis-à-vis du dossier nord-coréen et depuis 1994, Washington oscille entre choix de diplomatie et ligne dure envers Pyongyang. Depuis 2003, lorsque la Corée du Nord décide de sortir du TNP, les dilemmes semblent être sérieux et les issues sont limitées. La prolifération nucléaire est en marche. Avec une stratégie de défi, les non-dissuadables (Nord-coréens et Iraniens) sont là pour challenger Washington. Les administrations américaines semblent échouer dans leurs politiques contre la prolifération. Washington va d’un échec vers l’autre. En plus de l’échec de leurs multiples politiques de non-prolifération suivies durant des décennies, les Américains sont confrontés à l’échec de leur politique de dissuasion. Ils sont aussi confrontés à un affaiblissement dans leurs capacité de gestion des crises majeures ou des conflits comme en Irak ou en Afghanistan. Ces échecs poussent les États-Unis  à aller vers une politique de défense marquée par le confinement et l’arrêt provisoire de l’extension de l’empire. C’est ce qui desserre l’étau sur des pays comme l’Iran ou la Syrie.

 

Depuis l’arrivée de George Bush au pouvoir, l’administration américaine perçoit la menace et accentue le passage de la politique persuasive vers une phase dite préventive. Cette stratégie d’attaques préventives convie à s’interroger sur le bien-fondé d’une politique théoriquement destinée à dissuader des pays de se doter de l’arme atomique. Cette stratégie a eu, par la menace et la pression, l’effet contraire[9]. Les menaces américaines n’ont pas fait plier Saddam Hussein qui a suivi une politique de défi envers Washington. Cette situation mène à la guerre en 2003. La guerre en Irak place la préoccupation de la prolifération en second plan. La question du "comment sortir de la situation grave en Irak", prévaut sur le programme du voisin iranien et complique la tâche américaine dans ce domaine. Après l’Irak, les menaces américaines envers l’Iran et la Corée du Nord perdent de leur crédibilité. Ces menaces n’ont ni persuadé Ahmadinejad d’abandonner son programme, ni dissuadé Kim Jong-Il de procéder au test nucléaire. Chacun d’entre eux joue sur la corde sensible des dilemmes particuliers et insolubles devant lequel se trouve Washington. Ces dilemmes, en plus des difficultés américaines en Irak et en Afghanistan, empêchent la mise en place d’une possible intervention militaire contre ces deux pays. Il ne reste plus que les sanctions pour les États-Unis. Depuis de longues années, et malgré la menace de sanctions, Téhéran poursuit son challenge et Pyongyang brise le tabou. Washington échoue dans sa politique de persuasion d’abord envers la Corée du Nord et puis envers l’Iran. Ces deux pays affichent une claire volonté de défier les menaces et de challenger les pressions de Washington consistant à imposer des sanctions économiques contre chacun d’eux. Pyongyang, l’isolé depuis des décennies, sort de la clandestinité et effectue son premier essai nucléaire en octobre 2006, donnant ainsi un coup dur aux efforts de Washington contre la prolifération nucléaire.

 

L’Amérique commence à contester les raisons pour lesquelles George Bush conduit la guerre en Irak et on demande le départ des troupes américaines de ce pays. Basée essentiellement sur une théorique  menace nucléaire de la part de Saddam Hussein, Washington opte pour la prévention par la guerre. Depuis 2003, l’armée américaine n’arrive pas à sortir du bourbier irakien. Suite aux résultats des élections de mi-mandat, Bush doit se réinventer en président de compromis ou en canard boiteux. George W. Bush se prépare à deux dernières années de présidence difficiles après la victoire démocrate aux élections parlementaires, et plus encore si l'une des deux parties refuse le compromis que M. Bush n'a lui-même guère pratiqué jusqu'alors. Il est clair que suite aux attentats du 11 septembre 2001, la perception américaine de la menace pousse Washington à entreprendre une série de mesures en vue de lutter contre le terrorisme et la prolifération nucléaire. L’administration Bush axe sa politique sur l’extension de la lutte le plus loin et en profondeur. Cette conception aboutit à la mise en place de l’opération de guerre contre les Talibans fin 2001. Deux ans plus tard, cette même logique mène à l’invasion de l’Irak avec comme prétexte l’arrêt d’un programme nucléaire clandestin alors que la visée de cette guerre est le renversement de Saddam Hossein qui se montrait non-dissuadable par la puissance américaine. Le programme nucléaire clandestin s’avère fictif et le constat de la non-existence des armes nucléaires en Irak affaiblit la crédibilité des États-Unis  dans ce domaine. Les difficultés à rétablir l’ordre dans les villes irakiennes, l’existence d’acteurs non-dissuadables à proximité de ce pays ou encore les difficultés américaines en Afghanistan donnent l’image d’une puissance impuissante. Au lieu de sentir sa force, l’Amérique pressent une menace de plus en plus grandissante. Cette situation oriente la conception des États-Unis  de la menace et façonne leur stratégie pour les années à venir.

 

De la non prolifération à la persuasion

Au début des années 1960, à Washington règne la peur de voir, à l’horizon 1975, le monde passer de 4 à 15, voire 20 puissances nucléaires[10]. La technologie et la connaissance en matière nucléaire sont devenues de plus en plus disponibles. Elles sont moins chères et donc abordables. Avec le test nucléaire nord-coréen, l’optimisme américain affiché au sujet du succès de la dissuasion et de la non-prolifération encaisse un coup dur. L’aspiration à la puissance par la dissuasion de la part des pays comme la Corée du Nord, fait diminuer les espoirs de la non-prolifération voulu par Washington. Les États-Unis  qui doivent se plier à la réalité de la fatalité de la prolifération se préparent à vivre dans un monde comportant 10 puissances nucléaires, voire plus, dont sept puissances dans le continent asiatique. L’échec de Washington de persuader les Nord-coréens de renoncer à la bombe, se transformera-t-il en un succès de la prolifération ? Les armes nucléaires de la Corée du Nord ne sont pas le premier dossier de prolifération nucléaire face auquel se trouve confronté une administration américaine. Il ne sera certainement pas le dernier. Depuis les années 50, Washington a du faire face à des différents scénarios et avait, pour chaque cas, toujours trouvé des arrangements avec le nucléaire sans vraiment mettre fin à la prolifération des armes nucléaires. En 50 ans le monde est passé de 5 à 9 puissances. D’autres candidats frappent à la porte. Durant des décennies la position de Washington avait été pour le moins flou et manque drastiquement de clarté. C’est le cas envers le dossier israélien, indien, pakistanais ou encore nord coréen.

 

 

La crise systémique américaine

Au lendemain de la défaite de Bush au Congrès, le président annonce le 8 novembre 2006, la démission de son secrétaire d’État à la Défense Donald Rusmfeld[11], prenant immédiatement acte de la victoire démocrate aux élections parlementaires de mi-mandat, largement due à l'impopularité de la guerre en Irak. M. Bush, reconnaît que l'Irak a constitué un facteur majeur de la défaite de son parti républicain. Aux commandes du Pentagone depuis 2001, Rumsfeld incarne la guerre en Afghanistan et en Irak. Sa démission bouleverse la ligne stratégique américaine. Le président Bush est alors condamné à une difficile cohabitation pour les deux dernières années de sa présidence après avoir régné sans partage pendant six ans. Trois semaines plus tard, c’est au tour de l’ambassadeur américain aux Nations unies Bolton de présenter sa démission. Donald Rumsfeld, 74 ans, conduit les États-Unis  dans deux guerres. Après les attentats du 11 septembre 2001, Rumsfeld, s'était fait l'avocat irréductible d'une Amérique forte, sans état d'âme, face aux risques émanant des terroristes et des Etats jugés incontrôlables par Washington. En représailles, il conduit la guerre en Afghanistan à l'automne 2001. Le rapide renversement du régime des Talibans en Afghanistan lui donne une forte stature et relègue dans l'ombre le département d'État et son titulaire Colin Powell. Rumsfeld se porte ensuite l'avocat de l'invasion de l'Irak (printemps 2003) mais se fait beaucoup plus discret après la révélation en avril 2004, du scandale des sévices infligés à des Irakiens par des militaires américains à la prison irakienne d'Abou Ghraib.

 

Un des principaux néo-conservateurs américains, l'ancien secrétaire d’État à la Défense Donald Rumsfeld se départit rarement d'un sourire au coin des lèvres. Principal artisan de la politique américaine en Irak, ce riche industriel est rappelé par Bush en 2001, pour notamment doter les États-Unis  d'un système de défense antimissile. Il poursuit sa vision d'une puissance américaine étendue jusqu’aux portes de la Chine et de la Russie en utilisant les forces de l’OTAN en Afghanistan. Rumsfeld se trouve face à la difficulté majeure de mettre fin aux combattants Talibans dans ce pays. Le retrait des soldats italiens et espagnolles de l’Irak et le retrait annoncé des troupes polonaises et britanniques affaiblit drastiquement sa stratégie d’extension et pousse Washington à repenser sa politique future qui tend à arrêter, au moins provisoirement, l’extension. Repoussée par l’émergence de la Chine et notamment sa présence en Afrique, par les réticences de la Russie et son soutien au programme nucléaire iranien, cette expansion est mise en doute par le départ de certaines forces alliées de l’Irak. La puissante Amérique va devoir se replier et évoluer vers une période de retranchement pour y voir un peu plus clair dans un système international marqué par une crise systémique.

 

Le système politique américain a, ces dernières années, été confronté à de multiples crises sans vraiment trouver les issues adaptées à chacune d’elles.  Cette incapacité manifeste ouvre les portes à une crise systémique globale dans laquelle la Russie, la Chine et l’Europe n’arrivent pas à trouver une position convenable pour apporter des solutions possibles. D’après le GEAB[12], la politique américaine entre dans sa phase finale. Cette phase d’impact,  que le GAEB désigne comme la phase explosive de la crise, met fin à la phase d’accélération. Cette dernière se caractérise par la prise de conscience généralisée que le système global, en place depuis des décennies, est en mutation. Des changements profonds s’opèrent dans la durée. C’est le cas de la prolifération nucléaire avec la Corée du Nord et la candidature de l’Iran. Après l’essai nord-coréen, l’Iran, au lieu de ralentir le pas, accélère son rythme et commence à alimenter en gaz sa deuxième installation d'enrichissement d'uranium. Ce geste de défi aux grandes puissances est manifesté alors que piétinent les discussions autour d’un projet de résolution imposant des sanctions pour contraindre Téhéran à suspendre ses activités. La Chine et la Russie, émettent des réserves sur le projet initial.

 

La crise globale commence à se montrer dès l’essai nucléaire nord-coréen illustrant l’échec de la politique américaine contre la prolifération nucléaire. La phase d’impact de cette crise est déclenchée par les résultats des élections de mi-mandat, courant novembre 2006. Ces élections sont le facteur catalyseur d’un changement qui annonce le point nodal des principales lignes de fracture de l’actuel système global[13]. La victoire des démocrates aux élections législatives américaines isole George Bush et conduit vers un possible blocage politico-institutionnel en Amérique, avec d’importantes conséquences politiques, économiques et commerciales[14]. Cette crise est suivie par le niveau record de la violence en Irak. La situation se dégrade et le président Bush admet, le 18 octobre, à la chaîne de télévision ABC, pour la première fois, qu’une analogie est possible entre la guerre en Irak et la guerre au Vietnam. Il déclare que l'on peut comparer les attaques actuelles, contre les forces américaines en Irak, à l'offensive historique du Têt en 1968. « Il pourrait avoir raison », dit le président Bush au journaliste qui lui demandait si l'éditorialiste Thomas Friedman pouvait, comme il l'a fait dans le New York Times du même jour, comparer les attaques contre les forces américaines par les Irakiens à l'offensive du Têt. Cette offensive est un événement majeur de la guerre du Vietnam. A l’image de la bataille de Diên Biên Phu, qui conduit la France à négocier les accords de Genève en position militairement faible pour terminer la guerre d’Indochine en1954, l’offensive de Têt oblige les Etats- Unis à négocier les accords de Paix de Paris en 1973 en position de faiblesse à la fois politique, par la contestation croissante en Amérique, et aussi militaire à cause du résultat psychologique de cette offensive. Cette analogie qui implique le symbole de retrait précipité et une évacuation traumatisante des ressortissants dans un hélicoptère, est-il le signe avant coureur d’une nouvelle ère de la politique américaine que l’on peut qualifier de “phase de confinement” ?

 

B/ Changement de tactique

La commission spéciale sur l'Irak, chargée d’émettre des propositions et présidée par l'ancien secrétaire d'État républicain James Baker, suggère des changements majeurs dans la stratégie américaine. Il recommande d’effectuer un retrait des troupes américaines par étapes ainsi que des discussions avec l'Iran et de la Syrie[15]. Le rapport Baker-Hamilton préconise le départ des forces combattantes, sans fixer de calendrier, et un dialogue avec la Syrie et l’Iran. Selon ce groupe indépendant, les États-Unis  doivent changer de stratégie en Irak. Il n’y a pas de «formule magique» pour sortir du marasme irakien : tel est le constat peu étonnant du rapport du Groupe d'étude sur l'Irak remis le 6 décembre 2006, au président Bush. De son côté le nouveau secrétaire d’État à la Défense Robert Gates reconnaît, la veille, devant le Sénat que les États-Unis  ne sont pas en train de gagner la guerre en Irak et se dit personnellement ouvert à des idées alternatives sur les prochaines tactiques et stratégies à adopter en Irak. Il a ajouté que le statu quo n'était pas tenable. La campagne électorale des élections américaines de mi-mandat a lieu sur fond de multiples critiques sur la politique de l'administration Bush et l’enlisement de la situation en Irak. A la recherche d’une issue, le président américain George W. Bush commence la consultation avec ses généraux sur la réponse à apporter à la dégradation de la situation en Irak mais il écarte l’hypothèse d’un changement fondamental de sa stratégie. « L'objectif en Irak est clair et inchangé : c'est la victoire. Ce qui change, c'est la tactique que nous employons pour atteindre cet objectif », déclare George Bush. Les forces américaines ont enregistré en octobre 2006, leur mois le plus meurtrier depuis le début de l'année, avec 104 morts en un mois[16]. A Washington s'efforce de réfléchir à une nouvelle stratégie en Irak. La dégradation de la situation dans ce pays coûte cher à l’administration Bush aux élections du 7 novembre 2006,  pour lesquelles l'Irak est le moteur plus que toute autre chose. Aux États-Unis  l’heure est aux remises en cause de leur stratégie en Irak. « Les États-Unis  ont fait preuve d'arrogance et de stupidité en Irak et devraient se montrer plus humbles dans leur stratégie dans ce pays, qui a été marquée par beaucoup d'erreurs », affirme, en octobre 2006, Alberto Fernandez, le directeur au Bureau des Affaires proche-orientales au département d'Etat, à la chaîne satellitaire qatarie Al-Jazira. « Nous devrions être plus humbles sur la question de l'Irak. Indubitablement -et comme les États-Unis  l'ont reconnu-, il y a eu beaucoup d'erreurs dans la politique étrangère (américaine) en Irak », explique Alberto Fernandez. La Maison Blanche est de plus en plus sous pression pour opérer un changement de cap en Irak, réclamé non seulement pas les démocrates mais aussi par certains républicains. D'après M. Fernandez, qui s'exprimait en arabe, les États-Unis sont ouverts à des discussions sur le futur de l'Irak avec ceux qui se préoccupent de mettre fin aux violences. « Nous sommes ouverts au dialogue. Nous croyons tous qu'en fin de compte (...), la solution à l'enfer en Irak est totalement liée à une réconciliation nationale irakienne effective ». déclare M. Fernandez. De son côté, Tony Blair est plongé dans l'embarras après avoir semblé admettre, le 17 novembre 2006, que la guerre en Irak était un désastre[17]. Deux jours après, Blair montre une inflexion lorsqu’il évoque, le 20 novembre, au Pakistan, une approche différente de la lutte antiterroriste, mettant en avant la puissance douce de l'aide économique et de la diplomatie face à la puissance militaire. Au même moment, l'ancien secrétaire d'État américain Henry Kissinger affirme, dans une interview à la BBC, qu'une victoire militaire en Irak n'est plus possible et Kissinger appelle les pays de la région, dont l'Iran, à intervenir pour mettre un terme aux violences. Il a mis en garde contre un retrait rapide des troupes de la coalition, qui pourrait déstabiliser les voisins de l'Irak et créer un long conflit. « Un effondrement rapide de l'Irak aurait des conséquences désastreuses.(…) Nous devons redéfinir le cours de la trajectoire, mais je ne crois pas en l'alternative entre une victoire militaire et un retrait total », explique l’ancien secrétaire d’Etat.

 

An Appeal for Redress from the War in Iraq

Une pétition appelant au retrait d'Irak a déjà été signée par plusieurs centaines de militaires et sera  présentée formellement en janvier 2007, au Congrès. « En tant qu'Américain patriote et fier de servir le pays, j'appelle les dirigeants politiques au Congrès à soutenir le retrait rapide de toutes les forces et bases militaires américaines d'Irak. (…) Rester en Irak ne marchera pas et n'en vaut pas le prix. Il est temps pour les troupes américaines de revenir à la maison », affirme le texte de cette pétition publiée sur le site web wwww.appealforredress.org. Le texte est signé par plusieurs centaines de militaires, indique les responsables de cette campagne lancée à l'initiative de militaires basés dans la région de Norfolk (Virginie, est).

 

Les noms des signataires n'ont pas été rendus publics en raison des restrictions qui encadrent l'expression de leurs opinions par les militaires. La loi aux États-Unis  autorise les militaires à exprimer leurs griefs concernant les agissements de leur hiérarchie auprès de leur représentant au Congrès et elle les protège contre d'éventuelles représailles. "De nombreux soldats sont préoccupés par la guerre en Irak et sont pour le retrait des troupes américaines. L'Appel au changement fournit un moyen aux militaires de réclamer aux parlementaires la fin de l'occupation militaire américaine", écrivent les auteurs de la pétition sur le site web. L'appel est soutenu par des organisations antiguerre : les Anciens combattants d'Irak contre la guerre (IVAW), les Anciens combattants pour la paix (VFP) et Les familles de militaires parlent. Selon le journal local, The Virginian-Pilot, le leader de la pétition est Jonathan Hutto, un marin qui sert sur le porte-avions Theodore-Roosevelt, dont le port d'attache est Norfolk. Cette pétition a été lancée alors que la guerre en Irak constitue le thème central des élections parlementaires américaines.

  

4/ Bush, de l’extension au confinement

Face à la menace Washington, après l’échec de la phase contre la prolifération ainsi que la phase de persuasion par la dissuasion rationnelle, passerait à la troisième phase et adoptera peut être deux démarches parallèles. Le premier est la démarche barricade à travers le programme anti-missiles et le deuxième est une démarche d’élimination par le barrage d’entrée. Il s’agit d’une appropriation de l’espace en le déniant aux autres selon les termes de la théorie des Jeux.

 

A/ Le barricade

L’administration Bush adapte tout d’abord sa stratégie à la menace nord-coréenne par le renforcement du programme de défense anti-missile. A la menace d’une attaque de missile s’ajoute une autre : celle que l'arme nucléaire se retrouve entre les mains de terroristes qui s'en serviraient pour une action d'une toute autre ampleur que les attentats du 11-Septembre, a aussi inspiré au président George W. Bush ce qui pourrait bien être un nouveau principe de stratégie nationale :placer la Corée du Nord et ses éventuels alliés devant leurs responsabilités. L'Acte pour la sécurité et la responsabilité de tous les ports, signé le 13 octobre 2006, impose que les 22 ports les plus actifs soient équipés d'ici à la fin de l'année de technologies de détection de matière radioactive. L'objectif à terme est de contrôler la totalité des 11 millions de conteneurs qui transitent chaque année par les ports américains.

Cette promulgation n'a a priori aucun rapport direct avec l'essai nord-coréen et participe, reflète peut-être le principal danger mis en évidence par l'essai nord-coréen : la mise en circulation par la Corée du Nord de matériel nucléaire, danger plus grand qu'un tir vers le Japon ou la Corée du Sud. Le document de stratégie pour la sécurité nationale, remis à jour en 2006, dit qu'il existe « peu de menaces plus grandes que celle d'une attaque terroriste avec des armes de destruction massive. Pour prévenir ou empêcher de tels actes hostiles, les États-Unis  agiront préventivement si nécessaire. Bush, qui avait affirmé par le passé qu'il ne "tolèrerait" pas que la Corée du Nord ait la bombe et qui est inopportunément accusé d'un nouvel échec diplomatique avant les élections, explique que ses déclarations" restaient valables ». Mais ses propos sur la responsabilité de la Corée du Nord, délibérément imprécis, paraissent tracer la ligne rouge dont tous les experts se demandent à présent où elle se situe. L'administration est en train de passer d'une politique de non-prolifération à une politique de défense écrit dans le New York Times, Scott Sagan[18]. D’autres spécialistes comme Charles Krauthammer[19], qui parle des nostalgiques de la dissuasion de la guerre froide, explique que nous sommes dans une seconde forme de dissuasion après celle mise en oeuvre face à l'URSS. Cette forme suppose d'être en mesure d'établir la traçabilité du matériel nucléaire pour remonter à son origine, tâche ardue. Cela requiert la coopération des voisins de la Corée du Nord. Derek Mitchell[20], s'interroge sur la détermination de la Corée du Sud à cet égard et souligne la différence de ses intérêts avec les États-Unis . Jon Wolfsthal[21] de son côté prévoit que la Corée du Nord jouera de l'inquiétude terroriste pour faire chanter les États-Unis .

 

B/ Le barrage

La possible menace de la part d’une puissance nucléaire pousse Washington à anticiper la phase d’appropriation de l’espace. Cette phase vise essentiellement des acteurs comme Moscou et Pékin. Ces concurrents potentiels sur le marché de l’espace ont chacun son programme spatial. Le jeu consiste donc à barrer l’entré à ces possibles concurrents avant même que le marché ne soit déclaré ouvert. C’est ce que l’administration Bush appelle la liberté d’action. En effet, le président américain George Bush adopte, le 18 octobre 2006, la nouvelle stratégie spatiale qui prône la liberté d'action des États-Unis  permettant à Washington de se donner le droit à interdire, si nécessaire, l'espace à tout pays hostile aux intérêts américains. Le document stratégique ne défini, toutefois, pas les critères selon lesquels un pays peut être classé hostile aux intérêts américains. « La sécurité nationale des États-Unis  est dépendante de manière cruciale des moyens dans l'espace et cette dépendance va s'accroître », note le document stratégique publié par la Maison Blanche. Cette nouvelle stratégie représente un changement avec une vision unilatéraliste américaine. Dans cette stratégie, Washington cherche à établir leurs droits mais ne reconnaissent pas les droits des autres pays. Les Américains sont les seuls capables d'utiliser les moyens satellitaires pour des opérations de combat et le font de mieux en mieux si l'on compare l’évolutions des moyens mis en œuvre durant les récentes guerres comme celle du Golfe, des Balkans, d'Afghanistan et d'Irak. Mais la suprématie des États-Unis  pourrait à l'avenir être menacée par d'autres pays comme la Chine ou la Russie. Les progrès de Pékin étaient pour l'instant limités et le resteraient mais dans les années à venir les choses peuvent changer. La Russie et la Chine soutiennent une interdiction des armes dans l'espace, mais il semble clair que les Chinois en même temps envisagent des moyens de nuire aux capacités américaines dans l'espace. Une menace sur laquelle Donald Rumsfeld avait insisté, avant qu'il ne devienne secrétaire d’Etat à la Défense, en appelant à mieux protéger les intérêts américains pour éviter un possible Pearl Harbor de l'espace.

 

 

Echec de la CIA

Les services de renseignement américains manquent d'informations sur la Corée du Nord, l’un des pays les plus fermés de la planète depuis 50 ans. Ces lacunes sont d'autant plus problématiques que l’essai nucléaire de Pyongyang a eu l’effet de surprise. « Il y a beaucoup de choses sur la Corée du Nord que nous ne connaissons pas (...) Les Etats-Unis manquent d'informations cruciales qui sont nécessaires aux experts pour écrire leurs analyses avec assurance », écrit la commission sénatoriale sur le renseignement, dans un rapport rendu public quelques jours avant l'annonce du test nord-coréen. Le rapport, intitulé "Reconnaître la Corée du Nord comme une menace stratégique: un défi pour les Etats-Unis en matière de renseignement", s'inquiète des lacunes des services de renseignement américains alors que la Corée du Nord est "une menace stratégique potentielle qui nécessite pour les Etats-Unis des renseignements de haute qualité pour se préparer aux provocations nord-coréennes et évaluer les intentions de Pyongyang". Dans un éditorial, le New York Times[22], s'est inquiété des lacunes en matière de renseignement: "Il n'y a pas de solution militaire, notamment parce que les experts du renseignement n'ont pas idée où Pyongyang cache ses laboratoires d'armement ou ses stocks de plutonium".

"Vous ne pouvez pas avoir des renseignements qui dépassent les capacités technologiques", estime Anthony Cordesman, expert au Center for Strategic and International Studies (CSIS). Michael Levi, expert au Council on Foreign Relations, est lui aussi prudent sur les lacunes du renseignement américain sur la Corée du Nord et il doute que celui-ci puisse procéder à "des améliorations réalistes"."Les Etats-Unis ont une bonne connaissance des capacités militaires conventionnelles de la Corée du Nord car il s'agit d'équipements et de gens qui ne peuvent pas être cachés. En ce qui concerne le programme nucléaire, c'est plus difficile", estime-t-il."Le renseignement américain concernant le plutonium est bien meilleur que le renseignement sur l'enrichissement d'uranium. C'est le reflet des réalités techniques. Le plutonium nécessite un gros réacteur nucléaire, ce qui n'est pas le cas pour l'enrichissement de l'uranium", relève-t-il.Selon lui, "la chose la plus difficile à comprendre sont les intentions nord-coréennes". "Il est très difficile de pénétrer les cercles dirigeants très fermés", souligne-t-il."Le monde a passé beaucoup de temps à essayer de comprendre les intentions soviétiques et la société soviétique, et il est encore sous le choc de l'effondrement de l'Union soviétique", relève M. Levi. Et pourtant "l'Union soviétique était plus ouverte que la Corée du Nord.

 

Moscou renforce sa position

Guerre civile en Irak et enlisement américain dans ce pays, sentiment croissant d’une défaite occidentale en cours en Afghanistan, échec israélien au Sud-Liban, essai nucléaire nord-coréen et le défi de l’Iran sont des facteurs qui affectent en plein fouet l’image de Washington et affaiblissent sa position dans le Moyen-Orient. Ces mêmes facteurs élargissent le champs devant Moscou et Pékin alors que l’Europe reste hésitante et son rôle se limite aux aides logistique ou économiques sans vraiment peser dans la balance des décisions concernant le Moyen-Orient. C’est ce qui s’opère par la Chine au Soudan et par la Russie en Iran sans oublier les accords de coopération nucléaire entre l’Egypte, la Russie et la Chine. Une éventuelle alliance nucléaire entre l'Egypte et l'un des géants russe et chinois est une mauvaise surprise pour Washington, l’allié majeur de l'Egypte. "Les Egyptiens savent que cette démarche peut irriter les États-Unis, mais ils ne veulent pas  être sous la coupe américaine dans cette affaire-là", explique Emad Gad, du Centre al-Ahram pour les études politiques et stratégiques. Parmi les arguments qui pousseraient l'Egypte dans les bras de la Chine et de la Russie, on trouve une technologie abordable et des matières premières disponibles. Pourtant les Américains se sont empressés de proclamer en septembre 2006, leur soutien au projet égyptien, quelques heures à peine après l'annonce officielle par le Caire de la reprise du programme nucléaire, lors du quatrième congrès du parti national au pouvoir.

 

L’Egypte sur la voie nucléaire

En quête d'énergie nucléaire, l'Egypte se tourne vers la Chine et la Russie. Le Caire , qui a annoncé la relance de son programme nucléaire civil après un gel de 20 ans, décide de solliciter l'aide de la Chine et de la Russie, au risque d'irriter son allié américain. Le président égyptien Hosni Moubarak se rend à Moscou puis à Pékin durant la première semaine de novembre 2006, pour des visites officielles, au cours desquelles il discute de cette question. Il est accompagné notamment du ministre de l'Electricité, Hassan Younes."L'aide possible que la Chine pourra apporter à l'Egypte pour son programme nucléaire civil afin de générer de l'électricité sera au menu des discussions", déclar le chef de la diplomatie Ahmed Aboul Gheit. De son côté, le journal gouvernemental Al-Goumhouriya affirme que M. Moubarak examine en Russie "la possibilité de profiter de l'expertise russe dans le domaine nucléaire pacifique". Reflétant les bonnes dispositions de son pays à cet égard, l'ambassadeur de Chine au Caire, Wu Sike, explique à la presse locale que Pékin "soutient le droit de l'Egypte à utiliser l'énergie nucléaire pacifique", tout en se félicitant de relations bilatérales "parfaites". L'Egypte, qui avait lancé dans les années 1950 son programme nucléaire, dispose d'un centre de recherche à Inchass, au nord du Caire, doté d'un réacteur russe et d'un autre argentin. A la fin des années 1970, le pays avait voulu construire huit centrales nucléaires pour produire de l'électricité, mais n'en a finalement réalisé aucune. Son programme est gelé depuis la catastrophe de la centrale ukrainienne de Tchernobyl, en 1986. Selon M. Aboul Gheit, son pays cherche désormais à se doter d'au moins une centrale nucléaire pour générer de l'électricité d'ici 10 ans. Mais le Caire, signataire du Traité de non prolifération nucléaire (TNP), tente de rassurer une communauté internationale échaudée par le programme iranien en cours, en assurant qu'il importerait l'uranium enrichi.


 « Le président égyptien comprend qu'on ne peut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier », estime l'analyste russe Vadim Koziouline. L'intérêt pour la Russie s'explique par « le flou dans les relations du Caire avec les États-Unis  qui peuvent (toujours) taxer de tyrannie leurs ex-alliés » peu démocratiques à l'instar de l'Ouzbékistan lâché par Washington après la sanglante répression d'un soulèvement à Andijan en mai 2005. Le fait que l'Egypte s'intéresse aux armes russes alors qu'elle est approvisionnée en armements américains a surpris Moscou, explique Rouslan Poukhov, du Centre d'analyse pour les stratégies et les technologies, spécialisé dans les questions d'armements. Selon lui, l'Egypte souhaite acheter à Moscou des avions d'entraînement MiG-AT et des avions de combat MiG-29. Dans un entretien-fleuve publié par le quotidien russe Vremia Novosteï, M. Moubarak qui a suivi des études militaires à Moscou dans les années 1960, fait l'éloge des systèmes de défense antiaérienne russes, "les meilleurs au monde" selon lui. L'intérêt du Caire pour les équipements russes montre que le poids géopolitique de la Russie a augmenté dans cette région. L'Egypte, qui annoncé la relance de son programme atomique civil après un gel de 20 ans, ne "prend pas en considération tel ou tel pays", lance M. Moubarak, faisant allusion aux États-Unis. La Russie, qui construit la centrale nucléaire de Bouchehr en Iran et vient de remporter un contrat pour la construction d'une centrale en Bulgarie, ambitionne de son côté de développer ses activités dans ce domaine hors de ses frontières et notamment dans le Moyen-Orient.

 

L’option nucléaire du Japon

Le Japon est techniquement capable de fabriquer une bombe atomique, mais cette éventualité est un sujet pratiquement tabou dans le seul pays du monde à avoir subi le feu nucléaire, à Hiroshima et Nagasakien1945. Le Japon s'est engagé à ne jamais "posséder, produire et stocker" d'armements nucléaires sur son territoire. En 1964, la Chine communiste rejoint le club nucléaire et devient la 5ème puissance nucléaire. Le test chinois de Lop Nor joue un rôle majeur dans la volonté indienne de développer son programme nucléaire (sous l’œil fermé de Washington). Le Pakistan par effet en chaîne et dans un jeu d’ambiguïté  régionale nucléarise le sud asiatique. Après l’essai nord-coréen, ce scénario risque-t-il se reproduire ? Le japon puissance nucléaire virtuelle met son arme nucléaire en option[23]. L'un des dirigeants du parti au pouvoir au Japon, Shoichi Nakagawa, appelle à un débat sur la possibilité de se doter de la bombe atomique, estimant qu'il s'agit d'"une option" pour le pays face à la menace nord-coréenne, tout en s'y déclarant lui-même opposé." Pour s'assurer que le Japon ne sera pas attaqué, on peut arguer que devenir une puissance nucléaire est une option", déclare, lors d'un débat télévisé M. Nakagawa, qui dirige le conseil politique du Parti libéral démocrate (PLD),la grande formation de la droite japonaise au pouvoir. "Je ne suis pas partisan de cela. Nous ne nous doterons pas de l'arme nucléaire. Mais on doit pouvoir en discuter".

 

L’échelle ouverte de la prolifération

La démarche visant à comprendre la perception américaine de la chose nucléaire, mène à poser la question relative à la nature dont sont faites les politiques américaines. La réponse à cette question apporte des éléments de réponse concernant le comment Washington perçoit sa puissance et comment les administrations agissent en conséquence. Washington considère que la dissuasion est un succès et son échec relève de l’ordre de l’impensable. Mais le regard en retro de la politique américaine montre que Washington est passé à une troisième phase dans l’évolution de sa politique envers les armes nucléaires. Les États-Unis  qui échouent dans leur première phase : une politique anti-prolifération par une norme internationale comme le TNP. Washington se trouve, dans sa deuxième phase de persuasion, confronté à la difficulté de la doctrine de dissuasion. L’administration américaine accélère alors le rythme et passe à la troisième phase : la défense contre des menaces grandissantes. Dans sa démarche, Washington, après la vague d’extension globale accompagnée par l’opposition à la prolifération, sa vision de dissuasion rationnelle, issue de la guerre froide, se stagne avant de se rétrécir et se confiner dans une tendance défensive. La politique globale de Washington montre que le raisonnement américain s’appuie sur une logique de linéarité  Dans cette logique l’Amérique voit les choses en noir ou blanc et la linéarité donne l’équation selon laquelle A mène systématiquement à B. Or, depuis les années 60 du siècle dernier, ce n’est pas le cas et il y a des nuances et même de toutes les couleurs. Washington passe d’abord par la conception d’un traité de non-prolifération en 1968. Cette norme devait mettre fin, selon la linéarité washingtonienne, à toute initiative de prolifération nucléaire. L’histoire prouve le contraire et cette politique échoue dans son objectif de contrer la prolifération. Cette phase montre ses limites car Washington au lieu d’ouvrir grand les yeux  a joué le rôle de l’œil fermé sur le programme nucléaire israélien et ensuite indien. Les faiblesses de la conception d’une norme internationale contre la prolifération ont aboutit à l’irréversible prolifération. Entre 1970 et 2000, le monde passe de 6 à 7 et puis à 8 puissances. Depuis octobre 2006, le nombre est passé à neuf sur l’échelle ouverte de la prolifération. Le raisonnement américain, qui ne prend pas en compte la circularité du jeu d’interaction, aboutit à sa confiance parfaite dans la conception d’une politique basée sur la dissuasion dite rationnelle. Après le Pakistan, en 1998, cette conception montre à son tour des faiblesse et a même poussé certains acteurs étatiques à défier cette orientation comme les Nord-coréens Kim Il-Sung puis Kim Jong-Il, l’irakien Saddam Hussein ou encore l’iranien Ahmadinejad.

Les craintes américaines sont fondées. Basées sur la perception de la menace, elles sont le reflet d’une réalité : la réalité est que la prolifération est en marche. En revanche, la conception linéaire de Washington prend de plus en plus du retard pour contrer la prolifération nucléaire. La deuxième réalité concerne l’échec de la dissuasion rationnelle envers les pays en voie de nucléarisation. Cette politique est souvent à l’origine des scénarios préétablis qui n’accordent pas d’importance aux facteurs ou aux variables qui régissent les situations lors de la réalisation. Ces scénarios sont mis à exécution et suivis sans être révisés si la situation l’exigeait. Avec cette linéarité, lorsque Washington met en place le scénario de chute de Saddam Hussein ne prend pas en considération les conséquences de cette chute dans une région qui se définit par sa particularité historique. Depuis, la puissante Amérique peine à rétablir l’ordre en Irak et encore moins en Afghanistan. La dissuasion ne fonctionne pas et les combattants armés à Bagdad et à Kaboul donnent l’exemple à d’autres groupes armés comme le Hamas palestinien ou le Hezbollah libanais. Ce scénario de linéarité qui échoue à dissuader la Corée du Nord et qui échoue face à la question du programme nucléaire iranienne, donne naissance à la formation du croissant chiite allant du Liban à l’Iran en passant par la Syrie et l’Irak. Les États-Unis  qui naviguent entre l’hésitation et la non clarté de leurs politique moyen-orientale et notamment le conflit israélo-palestinien, assistent impuissants devant le déroulement des crises majeures et notamment les groupes armés comme c’est le cas en Irak, en Afghanistan ou au Sud Liban. Au Moyen-Orient, la position américaine, privilégié depuis plus de 50 ans, accuse alors une cascade d’échecs. Les régimes modérés, sur lesquels s’appuie Washington sont de leur côté très isolés comme celui de Moubarak en Egypte ou les rois d’Arabie et de la Jordanie. L’opinion publique arabe dans ces pays est largement critique à l’égard de ces régimes et profondément hostile envers la politique américaine. « L’opinion publique israélienne quant à elle, devient, pour la première fois, largement critique sur l’impuissance des États-Unis dans la région et sa gestion des dossiers Majeurs et notamment nucléaire au Moyen-Orient », écrit Gideon Levy, dans Haaretz du 17 octobre 2006, sous le titre : The mystery of America.



* Journaliste à EuroNews, Docteur  en Science politique, auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.

[1] Jeffrey T. Richelson, Spying on the Bomb: American Nuclear Intelligence from Nazi Germany to Iran and North Korea, New York, W.W. Norton, 2006.

[2] The Baruch Plan (Presented to the United Nations Atomic Energy Commission, June 14, 1946). Source : Nuclear Age Peace Foundation, Nuclear Files Documents, Barush Plan.

[3] Avner Cohen, “Israel and the Evolution of the US Nonproliferation Policy, The Critical Decade, 1959-1969”, Center for Nonproliferation Studies, The Nonproliferation Review, Vol. V, N. 2, hiver 1998.

[4] Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad déclare, le 11 avril 2006, à la télévision iranienne, que l'Iran va rejoindre prochainement le club des pays qui ont la technologie nucléaire.

[5] Gordon Corera, Shopping for Bombs: Nuclear Proliferation, Global Insecurity, and the Rise and Fall of the A.Q. Khan Network, Oxford University Press, septembre 2006, 304 pages.

[6] State Department Telegram for Governor Harriman from the Secretary, February 27, 1965.  Source : National Security Archive, Subject-Numeric File, 1964-1966; Central Files of the Department of State, Record Group 59; National Security Archive, Washington, D.C.

[7] State Department Cable, “Possible Indian Nuclear Weapons Development”, March 29, 1966 (secret). Source : National Security Archive, Subject-Numeric File, 1964-1966; Central Files of the Department of State, Record Group 59; National Security Archive, Washington, D.C.

[8] Anticipatory Action Pending Chinese Communist Demonstration of a Nuclear Capability. By George G. McGhee. 13 septembre 1961. Source : National Security Archive. (Voir la fin du 4ème paragraphe de la 2ème page).

[9] Le Monde, 10 octobre 2006 (page 2).

[10] Public Papers of the Presidents of the United States: John F. Kennedy (Washington, D.C, U.S. Government Printing Office, 1964), p. 280.

[11] Né le 9 juillet 1932, il étudie à l'université de Princeton et servi comme pilote dans l'aéronavale. Champion de lutte, il est élu à 30 ans représentant au Congrès, puis il devint ambassadeur américain à l'Otan (1973-1974), avant d'être secrétaire général de la Maison Blanche sous Gerald Ford (1974-75), secrétaire d’Etat à la Défense (1975-77) et candidat à l'investiture du parti républicain pour la présidentielle de 1988.

[12] GlobalEurope Anticipation Bulletin, LEAP/E2020, N. 5, mai 2006.

[13] GlobalEurope Anticipation Bulletin, LEAP/E2020, N. 7, octobre 2006.

[14] La séparation des pouvoirs et la logique de « check and balance » (contrôle et équilibre) fait que le Président et le Congrès n'ont quasiment aucun pouvoir direct l'un sur l'autre. Ils sont donc condamnés, lorsqu’ils appartiennent à des majorités opposées, soit à des compromis, soit à paralyser tout l'appareil.

[15] David E. Sanger, "Panel to Weight Ouverture by U.S.to Iran and Syria", The New York Times, 27 novembre 206.

[16] Durant le mois d’octobre 2006, 93 militaires américains sont morts, annonce le commandement américain à Bagdad. Le mois d'octobre est considéré comme l'un des plus meurtriers pour l'armée américaine depuis l'invasion en mars 2003 de l'Irak, où sont déployés quelque 140.000 soldats américains. Depuis 2003, près de 2.816 soldats américains et membres assimilés du personnel de l'armée sont tués en Irak, selon un comptage de l'AFP fondé sur les chiffres du Pentagone.

 

[17] Sur la chaîne d’Al-Jazira en anglais.

[18] Voir aussi à ce propos : Scott D. Sagan, How to Keep the Bombe From Iran, Foreign Affairs,  septembre/octobre, 2006.

[19] Charles Krauthammer,  The Obsolescence of Deterrence, Cold War nostalgia grips the antiwar movement. Apparently they've forgotten about the balance of terror, The weekly Standards, 12/09/2002, Vol. 8, N. 13.

[20] Fred Bergsten, Bates Gill, Nicholas R. Lardy et Derek Mitchell, China The Balance Sheet: What the World Needs to Know Now about the Emerging Superpower, Washington, PublicAffairs Books, 2006.

[21] Jon Wolfsthal,  2004 Was a Difficult Year. Will 2005 Be Any Better?, Northeast Asia Peace and Security Project, janvier 2005.

[22] New York Times, 10 octobre 2006.

[23] David Cumin et Jean-Paul Joubert, Le Japon, puissance nucléaire, Paris, l’Harmattan, 2003.