Les paradoxes de la sixième guerre

Par Abdel Azim Mohamed, Journaliste, EuroNews

Auteur de Israël et la bombe atomique, le face cachée de la politique américaine, chez l’Harmattan.

 

Malgré ses lourdes conséquences, l'offensive terrestre au Liban était, selon M. Olmert,"inévitable"."Nous n'étions pas préparés comme nous aurions dû l'être. Nous n'avons pas toujours obtenu les résultats escomptés. Il y a eu des manquements, voire des échecs. Même si le bilan général est positif, nous ne devons pas masquer ces défaillances", déclare le Premier ministre. Il souligne que "la guerre n'est pas totalement finie et que les menaces peuvent reprendre". Visant plus particulièrement l'Iran, qui soutient le Hezbollah libanais, M. Olmert ajoute : "Nous devons nous préparer à la menace que représente l'Iran et son président, qui est un ennemi haineux d'Israël."

 Reconnaissant pour la première fois les "échecs"  d'Israël dans la guerre au Liban, Ehoud Olmert annonce le 28 août 2006, la création d'une commission d'enquête publique sur les ratés de la guerre au Liban, plutôt que la création d'une commission d'Etat indépendante, dont les pouvoirs auraient été plus larges.

 «Aucune armée au monde n'aurait pu désarmer le Hezbollah avec seulement des moyens militaires. Nous savions qu'un effort parallèle serait nécessaire sur le plan diplomatique», explique Tzipi Livni, la ministre israélienne des Affaires étrangères. « Nous avons fini plus ou moins vainqueurs sur le plan politique et militaire », déclare Shimon Pérès. Le tout est dans le « plus ou moins » de l’ancien Premier ministre Shimon Pérès. Du point de vue gains et pertes, le moins sera du côté des Israéliens, des Américains et des régimes arabes modérés, tandis que le plus sera du côté du Hezbollah, des Iraniens et des Russes.

 Tsahal a mené 34 jours d’opérations et une offensive terrestre au Liban sud, sans vraiment mettre fin aux 3500 Katiouchas tirés par les combattants de Hezbollah. L’ennemi de Tsahal, qui a pu tirer sur les populations jusqu'à Haïfa, la troisième ville du pays, et qui a fait des victimes, a pu toucher des navires israéliens au large des côtes libanaises. Les combats contre le Hezbollah ont coûté la vie à 119 soldats et 41 civils. Une vingtaine de chars de la quatrième armée la plus puissante sur terre sont détruits. Pour la première fois depuis la guerre israélo-arabe, survenue suite à la création d’Israël en 1948, les autorités décident d'évacuer les arrières.

 Deux jours avant l’adoption de la résolution 1701 -le 9 août 2006- la colonie de Kyriat Shmona dans le nord d’Israël, est évacuée. Lors de cette opération, le bus commence à partir mais une roquette de Hezbollah s’abat sur la zone. La panique gagne et au lieu de monter dans le bus, il faut aller dans l’abri. Dans la confusion, une femme, avec son enfant au bras, court vers l’abri. Un soldat, qui veillait à la bonne marche de l’évacuation, se dirige à son tour parmi les civils en panique vers l’abri. En arrière plan, on entend les sirènes d’alarme hurler pour inciter la population à descendre dans les abris. Quelques minutes plus tard, on s’apprête à repartir mais de nouveau une alerte et de nouveau la panique. Le cameraman court et filme l’explosion de la roquette. Les batteries anti-missiles Patriotes n’ont pas pu arrêter cette attaque et durant un mois Tsahal n’arrive pas à arrêter les attaques de la milice chiite Hezbollah.  Le même jour, alors que le cabinet israélien décide d’étendre l’offensive au Liban et lorsque Tsahal commence à masser ses troupes le long de la frontière libanaise, des tires de roquettes de Hezbollah atterrissent non loin des chars provoquant un mouvement de panique. 

La ville de Kyriat Shmona, est alors quasiment vidée de ses 24.000 habitants. La tâche semblait si compliquée que le cabinet de sécurité a décidé d'élargir son offensive terrestre et de déverser des milliers de soldats au Liban sud pour tenter de prendre le contrôle d'une zone de sécurité "nettoyée" des nids de résistance chiite. Les difficultés de Tsahal au Liban sud déclenche des divisions dans la classe politique israélienne. Au sein même du gouvernement, de graves dissensions sont apparues lors du débat du cabinet de sécurité le 10 août 2006, entre d’une part les partisans d'une ligne dure soutenue par l'armée et d’autre part les plus modérés. Autre indice de malaise, la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, qui devait se rendre à New York pour des discussions sur un cessez-le-feu, a dû y renoncer sur ordre de M. Olmert. L'opposition de droite, qui jusqu'à présent s'était rangée derrière le gouvernement, a, un mois après le début de la guerre, repris ses attaques contre le Premier ministre Ehud Olmert, auquel elle impute les revers militaires et diplomatiques de la campagne. Dès le début de la guerre, la presse israélienne est critique, l'opinion est devenue peu à peu très sceptique et au sein même du pouvoir, les frictions apparaissent au grand jour. « Olmert doit démissionner », écrit Ari Shavit dans le quotidien Haaretz. « Il n'y a pas une seule erreur qu'Ehud Olmert n'ait commise . Il est entré avec arrogance en guerre sans en peser les conséquences. Il a suivi aveuglément les militaires (..) et après s'être précipité dans le conflit il l'a géré avec hésitation » note Ari Shavit. Le quotidien à grand tirage Yediot Aharonot donne pour sa part un large écho aux interrogations des soldats en campagne au Liban sud. « On ne nous a fixé aucun objectif clair. Les soldats n'ont pas la moindre idée de ce qu'on attend d'eux, alors les rumeurs vont bon train. Un jour, il s'agit d'attaquer Tyr, un autre de rentrer à la maison », confie un capitaine de réserve au Yediot Aharonot. « Le plus dur, c'est l'incertitude », en référence au feu vert annoncé début août par le gouvernement, à une extension de l'offensive, qui n'a pas été suivi d'effet immédiat. 

Cette sixième guerre que mène l’État hébreu, s’est terminé sans vainqueur ni vaincu. Elle marquera le point de départ d’un changement dans les rapports avec les groupes armés au Moyen-Orient. Ce conflit aura un impact sur l’équilibre fragile des forces dans la région car elle modifiera les rapports avec les  groupes armés au Liban et en Palestine en Irak, voire ailleurs. « C’est une guerre à somme nulle », écrit Ephraim Lavie dans un article  publié le par le JCSS[i].

 Les paradoxes de cette guerre sont multiples. Au lieu d’être une guerre courte et rapide, elle s’installe dans la durée et altère l’image puissante du Tsahal. Les forces israélienne sont confrontées au défi des milices chiites. Cette puissance se trouve impuissante face à quelques combattants du Hezbollah et la grosse machine de guerre israélienne n’a pas pu écraser ce petit groupe d’une armée de l’ombre. Au lieu de renforcer la puissance israélienne, cette guerre a créé une fissure dans le solide mythe de Tsahal. Elle fait aussi surgir l’évidence de l’érosion de la dissuasion israélienne. Nous assistons pour la première fois au fait que la doctrine de la dissuasion israélienne est brisée par le défi d’un groupe armé.

 Cette guerre a affaibli l’image de la puissante armée israélienne, elle a aussi affaiblit plus d’un régime arabe modéré dans la région. C’est le cas en Egypte, en Jordanie ou encore en Arabie Saoudite. Les populations arabes interprètent la modération en une soumission à un projet américain dans la région. Au Liban comme dans le monde arabe, Nassrallah est, depuis le début de cette guerre, considéré comme un héros qui tient tête aux Israéliens. Les liens sont de plus en plus tissés entre les chiites libanais, irakiens et iraniens qui ont depuis gagné la sympathie des populations arabes sunnites. Au niveau, régional, l’Iran prend une place prépondérante et montre sa capacité à troubler la sécurité israélienne à travers le mouvement chiite au Liban. C’est déjà ce scénario qui se joue par les chiites irakiens avec Moqtada Al-Sadre, contre les troupes américaines et britanniques à Bagdad et à Bassora. C’est la même tactique utilisée par les Talibans contre les troupes américaines en Afghanistan[ii]. 

 Téhéran conforte alors son statut comme acteur majeur dans la stabilité régionale et la gestion des crises. Enfin, sur le plan arabe et international, les régimes arabes modérés qui se trouvent isolés de leurs populations sont affaiblis. Depuis, ils sont accusés, par ces populations, comme étant des régimes silencieux, dépendants et soumis à la volonté des puissances régionales et internationales. Ces régimes modérés, déjà accusés de suivisme à la politique de Washington depuis le guerre en Irak, perdent le peu de soutien qui restait de la part de l’opinion publique des pays arabes. C’est ce qui affecte directement Washington. Les Etats-Unis perdent ainsi peu à peu l’influence dans cette région. Moscou voit ces changements comme propices à un nouveau départ de leur influence dans la région et espère ainsi retrouver sa place perdue depuis longtemps dans la gestion des crises régionales.

 « Nous devons faire en sorte que les choses se passent mieux la prochaine fois car il se peut qu'il y ait une prochaine fois », déclare le Premier ministre Ehud Olmert à la Knesset le 14 août 2006. D’ici là, un scénario de changement en profondeur est en phase de se mettre en place dans le Moyen-Orient. Le rapport de force avec les groupes armés est en phase d’inversement. La résolution 1701, de l’ONU, est la première résolution qui appelle à un cessez-le-feu entre un État et un groupe de combattants. Cette résolution est vécue, dans les pays arabes, comme une victoire du Hezbollah. Les portes de la région s’ouvrent bien grandes aux scénarios de pertes de toutes sortes. Les accusations du président Bush contre le Syrie et l’Iran n’apaiseront pas les fissures[iii].  Une nouvelle ère de turbulences s’annonce et le premier à en subir les conséquences est l’Etat hébreu, puis les dirigeants arabes modérés et par conséquent Washington. Les gagnants sont donc les acteurs de l’ombre comme le Hezbollah, des acteurs régionaux comme l’Iran et en arrière plan, les Russes. 

 

 Les paradoxes de la sixième guerre

Le 11 août 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte, sa 1701ème résolution. Élaborée par Paris et Washington, cette résolution appelle à un cessez-le-feu au Liban sud[1]. Le conflit éclate le 12 juillet. Le Premier ministre israélien Ehud Olmert ordonne à l'armée, le jour même de la résolution de l’ONU, de lancer une offensive terrestre en profondeur au Liban. Israël met fin à son offensive, contre les milices de Hezbollah, le 14 août au matin. Cette deuxième guerre de Tsahal au Liban est la sixième qui l’implique dans une guerre directe contre l’un des pays voisins.

«Aucune armée au monde n'aurait pu désarmer le Hezbollah avec seulement des moyens militaires. Nous savions qu'un effort parallèle serait nécessaire sur le plan diplomatique», explique Tzipi Livni, la ministre israélienne des Affaires étrangères. « Nous avons fini plus ou moins vainqueurs sur le plan politique et militaire », déclare Shimon Pérès. Le tout est dans le « plus ou moins » de l’ancien Premier ministre Shimon Pérès. Du point de vue gains et pertes, le moins sera du côté des Israéliens, des Américains et des régimes arabes modérés, tandis que le plus sera du côté du Hezbollah, des Iraniens et des Russes.

Tsahal a mené 34 jours d’opérations et une offensive terrestre au Liban sud, sans vraiment mettre fin aux 3500 Katiouchas tirés par les combattants de Hezbollah. L’ennemi de Tsahal, qui a pu tirer sur les populations jusqu'à Haïfa, la troisième ville du pays, et qui a fait des victimes, a pu toucher des navires israéliens au large des côtes libanaises. Les combats contre le Hezbollah ont coûté la vie à 119 soldats et 41 civils. Une vingtaine de chars de la quatrième armée la plus puissante sur terre sont détruits. Pour la première fois depuis la guerre israélo-arabe, survenue suite à la création d’Israël en 1948, les autorités décident d'évacuer les arrières.

La ville frontalière de Kyriat Shmona, est alors quasiment vidée de ses 24.000 habitants. La tâche semblait si compliquée que le cabinet de sécurité a décidé d'élargir son offensive terrestre et de déverser des milliers de soldats au Liban sud pour tenter de prendre le contrôle d'une zone de sécurité "nettoyée" des nids de résistance chiite[2].  Les difficultés de Tsahal au Liban sud déclenche des divisions dans la classe politique israélienne. Au sein même du gouvernement, de graves dissensions sont apparues lors du débat du cabinet de sécurité le 10 août 2006, entre d’une part les partisans d'une ligne dure soutenue par l'armée et d’autre part les plus modérés. Autre indice de malaise, la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, qui devait se rendre à New York pour des discussions sur un cessez-le-feu, a dû y renoncer sur ordre de M. Olmert. L'opposition de droite, qui jusqu'à présent s'était rangée derrière le gouvernement, a, un mois après le début de la guerre, repris ses attaques contre le Premier ministre Ehud Olmert, auquel elle impute les revers militaires et diplomatiques de la campagne. Dès le début de la guerre, la presse israélienne est critique, l'opinion est devenue peu à peu très sceptique et au sein même du pouvoir, les frictions apparaissent au grand jour. « Olmert doit démissionner », écrit Ari Shavit dans le quotidien Haaretz. « Il n'y a pas une seule erreur qu'Ehud Olmert n'ait commise . Il est entré avec arrogance en guerre sans en peser les conséquences. Il a suivi aveuglément les militaires (..) et après s'être précipité dans le conflit il l'a géré avec hésitation » note Ari Shavit. Le quotidien à grand tirage Yediot Aharonot donne pour sa part un large écho aux interrogations des soldats en campagne au Liban sud. « On ne nous a fixé aucun objectif clair. Les soldats n'ont pas la moindre idée de ce qu'on attend d'eux, alors les rumeurs vont bon train. Un jour, il s'agit d'attaquer Tyr, un autre de rentrer à la maison », confie un capitaine de réserve au Yediot Aharonot. « Le plus dur, c'est l'incertitude », en référence au feu vert annoncé début août par le gouvernement, à une extension de l'offensive, qui n'a pas été suivi d'effet immédiat.

Cette sixième guerre que mène l’État hébreu, s’est terminé sans vainqueur ni vaincu. Elle marquera le point de départ d’un changement dans les rapports avec les groupes armés au Moyen-Orient. Ce conflit aura un impact sur l’équilibre fragile des forces dans la région car elle modifiera les rapports avec les  groupes armés au Liban et en Palestine en Irak, voire ailleurs. « C’est une guerre à somme nulle », écrit le JCSS[3]. Les paradoxes de cette guerre sont multiples. Au lieu d’être une guerre courte et rapide, elle s’installe dans la durée et altère l’image puissante du Tsahal. Les forces israélienne sont confrontées au défi des milices chiites. Cette puissance se trouve impuissante face à quelques combattants du Hezbollah et la grosse machine de guerre israélienne n’a pas pu écraser ce petit groupe d’une armée de l’ombre. Au lieu de renforcer la puissance israélienne, cette guerre a créé une fissure dans le solide mythe de Tsahal. Elle fait aussi surgir l’évidence de l’érosion de la dissuasion israélienne. Nous assistons pour la première fois au fait que la doctrine de la dissuasion israélienne est brisée par le défi d’un groupe armé. L’image de Tsahal est alors affaiblie et les forces israéliennes sont montrées du doigt suite aux différentes bavures commises contre la population civile, et notamment a Cana. Je tente d’analyser l’impact de cette guerre sur le plan régional. D’abord  l’effet néfaste de cette guerre sur la dissuasion israélienne puis les profits que le Hezbollah attendait et qu’il a pu relever. En troisième lieu, le renforcement du rôle de Téhéran dans la sécurité régionale. Enfin, l’affaiblissement des régimes arabes modérés, l’affaiblissement de l’influence américaine et le possible retour des Russes dans la gestion des crises au Moyen-Orient.

 

1/ La dissuasion est érodée

 « Les combats ont modifié l'équilibre stratégique de la région », affirme le chef du gouvernement israélien Ehud Olmert devant la Knesset le 14 août 2006. Suite à cette guerre, le succès de la dissuasion israélienne considéré comme acquis depuis des décennies est pour la première fois mis en doute en plein jour. Les menaces israéliennes n’ont pas dissuadé le Hezbollah, qui se qualifie de "Parti de Dieu", d’envoyer ses roquettes sur les villes et les villages israéliens comme Haïfa. La guerre n’a pas été rapide pour les soldats israéliens. Tsahal a du faire face à un scénario de “déjà vu” en Afghanistan par les combattants afghans contre les Soviétiques et par les Combattants vietnamiens contre les Américains. C’est encore le cas des Talibans contre les forces américaines en Afghanistan. La résistance farouche des combattants chiites met à mal les plans sophistiqués des généraux israéliens. La puissance israélienne, avec ses satellites, ses bombardiers, ses sous-marins et navires de guerre  ainsi que ses chars indestructibles, sans oublier les missiles anti-missiles Patriotes, n’a pas pu faire face aux quelques centaines de combattants déterminés à challenger Tsahal[4].

Cette situation montre que la dissuasion israélienne est en phase d’érosion, si elle n’est pas déjà érodée[5]. La puissance nucléaire israélienne n’avait pas dissuadé Nasser ou Sadate d’initier des guerres. Elle n’avait pas dissuadé Saddam Hussein d’envoyer ses missiles Scud sur Tel-Aviv en 1991. Elle ne dissuade pas les Iraniens qui appellent toujours à rayer Israël de la carte. Cette doctrine de dissuasion qui a échoué face à des décideurs “non dissuadables”, qui dirigent des armées régulières, se voit en difficulté de dissuader des groupes armés tel que le Hamas ou le Hezbollah de mener des actions d’attaque contre Israël et prendre ses soldats en otages. La grosse bombe semble ne pas dissuader ces petits groupes de combattants déterminés. C’était déjà le cas des combattants afghans contre l’Union soviétique ou encore des combattants algériens face à l’armée française. On oublie que ces groupes comptent sur l’auto-dissuasion des puissances nucléaires qui n’auront pas recours aux armes nucléaires dans les champs des batailles car cela repose sur la conception de la dissuasion rationnelle. Les guerres ont été et resteront, dans ces conditions, des guerres classiques.  C’est au point que le chef d'état-major, le général Dan Haloutz, a même admis publiquement que ce nouveau conflit « est plus important que tous ceux qui l'ont précédé, à l'exception peut-être de la guerre de 1948 ». Cité par la presse, le général Haloutz estime que « cette guerre doit restaurer la force de dissuasion de l'armée sérieusement érodée, craint-il, aux yeux d'un monde arabe qui encense son nouvel héros, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah. D'autant que l'armée semble avoir été surprise par l'audace et l'opiniâtreté des combattants du Hezbollah.

 Malgré cette disparité, l'inquiétude en Israël est réelle. « Si Nasrallah continue de sévir, cela peut déclencher un processus qui mettra en danger l'existence du pays », écrit Ben Caspit, un éditorialiste du Maariv (populaire). Résultat, Israël se bat depuis un mois, soit plus que le temps que dura la guerre du Kippour en octobre 1973 », note encore le quotidien. Comme en 1973, en 2006, Tsahal est en difficulté. « C’est la surprise » écrit Haaretz le 11 août 2006. En 1973, Sadate avait surpris les Israéliens par la traversée du canal de Suez et le fait d’avoir franchi la ligne Bar Lev, puis par les missiles sol-air qui formaient un mur infranchissable pour l’aviation israélienne tout le long du canal. Cette sixième guerre voit de nouveau apparaître des surprises que les Israéliens n’imaginaient pas un seul instant. Les missiles antichars   infligent de lourdes pertes à Tsahal. Les Katiouchas tuent les civils et causent la terreur au sein de la population. En effet, ces missiles antichars modernes tirés par les combattants embusqués du Hezbollah au Liban sud ont infligé, en un mois, des pertes douloureuses à l'armée israélienne, qui en est encore à chercher la parade. On dénombre près de 90 militaires tués au combat. Les missiles, se sont avérés efficaces aussi bien contre les blindés que contre l'infanterie. Le quotidien Yediot Aharonot rapporte que « sur les 25 missiles téléguidés tirés contre des chars, un quart de ces missiles a  pénétré le blindage et causé des pertes parmi les membres de l'équipage ». Le Hezbollah « a soigneusement étudié les caractéristiques de nos blindés et a appris à connaître leurs points faibles », a déclaré au journal un officier qui a requis l'anonymat[6].

 Par ailleurs, les combattants du Hezbollah, qui se sont longuement préparés à cette confrontation et maîtrisent parfaitement leur armement, font preuve d'une grande pugnacité. Ils laissent approcher les forces israéliennes pour ouvrir le feu à courte distance avec les meilleures chances de toucher, d’après l’aveu des militaires israéliens. Les missiles antichars sont tous de conception russe, mais certains sont fabriqués en Iran, selon le JCSS. « L'armée israélienne se doutait que le Hezbollah disposait de toute une panoplie de missiles, mais il n'est pas certain qu'elle ait su qu'il disposait de Metis-M et des Kornet », souligne l'Institut Jaffee d'études stratégiques de l'université de Tel Aviv[7]. Selon le Yediot Aharonot, « le manque de préparation de Tsahal aux missiles antichars constitue dores et déjà l'un des plus graves ratés de cette guerre ». Mais, « le problème n'est pas technique, car, dans la course sans fin entre le blindage et l'arme antichars, on trouvera bien la réponse au défi posé par de nouvelles générations de missiles comme on l'a trouvé dans le passé », note le quotidien.  L'essentiel, souligne Yediot Aharonot, « c'est que l'armée israélienne comprenne enfin qu'elle n'affronte pas une bande de terroristes mais une véritable armée ».Au fur et à mesure que le conflit au Liban se prolonge, Israël courait le risque croissant d'être pris au piège du "bourbier" libanais, où il s'est déjà enlisé dans le passé.

Pris par surprise par l'enlèvement de deux de ses soldats le 12 juillet, accompagné d'un bombardement de roquettes sur le nord du pays le même jour, Israël s'est laissé entraîner dans cette guerre, qu'il mène parallèlement à la bataille engagée contre le Hamas dans la bande de Gaza. Préoccupés par les conséquences d'une occupation du Liban sud, les dirigeants israéliens n'ont remis que tardivement et timidement à flot l'idée d'instaurer une zone de sécurité. Il n'en a été question que le 25 juillet, soit 13 jours après le début du conflit, et six ans après le retrait d'Israël du territoire libanais.

Le lendemain, le Premier ministre israélien Ehud Olmert précisait que cette zone de sécurité serait profonde de quelques kilomètres « de façon à ce que le Hezbollah ne se trouve plus à proximité de la frontière  internationale entre le Liban et Israël. « Attention à l'enlisement », met en garde Zeev Schiff, spécialiste des questions militaires du quotidien libéral Haaretz. « Même si le Hezbollah retourne dans la région (frontalière) », écrit cet expert. D’après Zeev Schiff, « il faut opter pour un retrait du Liban, afin de ne pas s'enliser à nouveau dans le bourbier libanais ». L'armée de l'air ne dispose que de moyens limités pour mettre en échec les lanceurs de roquettes à courte portée du Hezbollah qui possède, selon une source militaire, d'un stock suffisant de ces projectiles "pour mener une guerre d'usure de trois mois contre Israël". « Nous ne voulions pas de cette guerre. Et aujourd'hui nous en sommes à nous rapprocher à grand pas (...) du contrôle d'un secteur qui va jusqu'au Litani », écrit de son côté le Yédiot Aharonot. « Encore des mouvements de troupes en perspective, encore des tanks, encore des bombardements, encore des raids aériens, et surtout, encore des pertes en vie humaine, et encore du temps. Peut-être beaucoup de temps », constate le quotidien populaire à grand tirage.

 

2/ Les profits de Hezbollah

La capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah montre une fois de plus que le parti chiite libanais est un acteur incontournable du Moyen-Orient, obligeant l'Etat hébreu à se battre sur plusieurs fronts[8]. Allié de Damas et de Téhéran, mais “bête noire” d'Israël et des Etats-Unis, qui l'ont inscrit sur la liste des mouvements terroristes, critiqué à l'intérieur même du Liban par la majorité parlementaire pour son refus de désarmer, le Hezbollah agit avec un sens aigu de la "realpolitik". Comme il l'a montré une fois de plus, en capturant les deux soldats israéliens, il décide lui-même le plus souvent du moment opportun pour lancer ses actions militaires anti-israéliennes ou respecter le cessez-le-feu. La capture des deux soldats a été précédée par les tirs de dizaines de roquettes de type katioucha et d'obus de mortier à partir du Liban sur la Haute Galilée dans le nord d'Israël. Le moment choisi pour l'opération du Hezbollah ne semble rien devoir au hasard, bien au contraire, obligeant l'Etat hébreu à des choix difficiles. Cette opération intervient alors qu'Israël est déjà empêtré dans une offensive majeure contre la bande de Gaza à la recherche d'un caporal capturé le 25 juin 2006, par un commando palestinien qui veut l'échanger contre des détenus palestiniens.

Dans le monde arabe, le chef de Hezbollah Hassan Nasrallah est devenu le nouveau héros des Arabes[9]. « Que Dieu te donne la victoire », est la phrase que le monde arabe répète depuis que le défi est lancé par Nassrallah contre l’armée israélienne. En effet, le fait que la puissance militaire israélienne soit défiée, lors d’une guerre directe, par la guérilla du Hezbollah est une nouveauté. Après un mois de guerre, la puissance militaire du Tsahal est défiée par un ennemi numériquement et technologiquement beaucoup plus faible, mais qui a contraint plus d'un million d'Israéliens à se terrer ou à fuir. Les objectifs que se sont fixées les autorités militaires et gouvernementales israéliennes -la fin des tirs de roquettes à courte et longue portée du Hezbollah, la libération de deux soldats enlevés le 12 juillet- ne sont pas atteints quatre semaines après le début des combats. Ni la chasse israélienne, qui a effectué plus de 8.000 sorties depuis le déclenchement des hostilités, ni l'artillerie qui a déversé plus de 100.000 obus sur le Liban, ni l'offensive terrestre dans plusieurs secteurs qui mobilise près de 20.000 hommes, ne sont parvenues à réduire les bombardements de roquettes. Et, encore moins à mettre le Hezbollah en déroute.

 Le Hezbollah compte sur des gains à remporter de son défi au Tsahal. Plus le conflit dure, plus les gains psychologiques sont assurés pour les milices chiites. Hezbollah compte aussi sur le doute en Israël relatif aux capacités de Tsahal au Liban sud. C’est le cas en Israël, après un mois de combat où la population israélienne commence à douter d’une défaite du Hezbollah[10]. Des villes israéliennes comme Haïfa, Tibériade, Safed, à plusieurs dizaines de kilomètres de la frontière, se sont trouvées à la portée des Katiouchas. Leurs rues sont désertes et leur activité économique considérablement ralentie, sans parler des missiles à plus longue portée de fabrication iranienne qui peuvent toujours atteindre des villes plus éloignées de la frontière, y compris dans le secteur central de Tel-Aviv.

La Syrie, alors maître du jeu au Liban, conforte le Hezbollah dans son rôle
face à Israël. En fin stratège, cheikh Nasrallah tisse des liens privilégiés avec Damas, et consolide sa stature après l'échec d'une autre importante opération militaire israélienne, "Raisins de la colère", en avril 1996. Il devient alors un "symbole de la résistance", et sa réputation se diffuse dans le monde arabe. La stature de Hassan Nasrallah croît encore avec la mort en 1997 de son fils aîné Hadi sur le front libano-israélien. Son parcours est couronné avec le déploiement en force de ses hommes le long de la frontière libano-israélienne lors du retrait israélien en mai 2000, et ce après 22 ans d'occupation du Liban sud[11].

 En dehors du Liban, Nasrallah affiche un appui sans limite à l'Intifada palestinienne et ne reconnaît pas l'existence de l'Etat d'Israël. Se réclamant de la lignée du prophète Mahomet, que sont les Seyyed, Hassan Nasrallah a étudié la théologie dans la ville sainte chiite de Najaf, en Irak. Il est marié et père de cinq enfants. Sous sa direction, le Hezbollah s'est intégré à la vie politique libanaise et est représenté au Parlement. Fort de l'appui du président libanais Emile Lahoud, cheikh Nasrallah refuse toujours que ses combattants cèdent la place à l'armée régulière dont le déploiement dans la région est réclamé avec insistance par l'ONU, les Etats-Unis et l'Union européenne. Loin d'être affaibli après le retrait forcé des troupes syriennes en avril 2005, il impose à ses interlocuteurs de la majorité parlementaire anti-syrienne le maintien des armes de sa formation au grand dam de l'Occident et d'Israël.

« Si le Hezbollah n’était pas défait, le résultat serait calamiteux car le Hezbollah en profiterait pour se réarmer, ce qui veut dire que la guerre sera  repoussée de quelques années au plus, et alors ce ne sera pas seulement le nord d'Israël qui se trouvera sous la menace des roquettes mais tout le pays », s'est alarmé à la radio le député du Likoud, Sylvan Shalom, ancien ministre des Affaires étrangères. « S'il accepte un cessez-le-feu, le gouvernement devra démissionner car il aura donné une victoire sans précédent au Hezbollah et à tous ceux qui réclament la destruction d'Israël », a renchéri le député Yuval Steinitz du même parti. En plus de son défi aux généraux israéliens, Nasrallah a pu provoquer la fissure au sein de la classe politique et le doute de la population sur les capacités du Tsahal. 

  

3/ L’Iran et La Russie sur la scène régionale

Seul pays à ne pas reconnaître l’existence d’Israël, l’Iran est accusé par les Israéliens de développer un programme nucléaire clandestin. Cette guerre desserre l’étau international et allège les pressions internationales sur le programme nucléaire iranien. Elle montre aussi à quel niveau Téhéran peut, de loin, affecter la stabilité et toucher la sécurité de l’Etat hébreu à travers la milice chiite de Hezbollah. Le Liban est redevenu le champ de bataille de rivalités régionales, quinze ans après avoir tourné la page de la guerre civile. Cette fois-ci la formation chiite soutenue par l'Iran et la Syrie affronte directement l'armée israélienne. Le retrait israélien du Liban sud en mai 2000 et le retrait syrien en avril 2005, semblaient porteurs d'espoir pour les Libanais qui croyaient après la guerre du Liban (1975-90) qu'une nouvelle ère s'ouvrait, débarrassée de toute influence étrangère.

Mais c'était ignorer les difficultés de ce petit pays -où toutes les communautés religieuses du Moyen-Orient sont représentées- à vivre loin des secousses affectant la région : guerre en Irak, conflit israélo-palestinien, controverse sur le nucléaire iranien, isolement international de la Syrie etc, sans oublier le nouveau Moyen-Orient promis par Washington, et dont le Liban devait être la vitrine. De fait, il a suffi que le Hezbollah chiite libanais décide de rompre, le 12 juillet, le statu quo qui prévalait depuis six ans à la frontière libano-israélienne, en capturant deux soldats israéliens, pour mettre le feu aux poudres. En plus des chiites irakiens, dont le jeune Moqtada Al-Sadr en est le symbole, le soutien de l'Iran à des mouvements comme le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien fait partie de l'objectif stratégique de Téhéran pour devenir la puissance régionale dominante. Son influence sur la communauté chiite irakienne lui a déjà permis de s'imposer en Irak, pays en proie à une quasi guerre civile entre sunnites et chiites. Ces violences intestines en Irak n'ont cessé de nourrir les craintes des Libanais car deux ministres du Hezbollah siègent dans le gouvernement à majorité anti-syrien. La crainte d'un retour en force de Téhéran sur la scène libanaise a éclaté au grand jour lorsque le chef de la diplomatie iranienne s'est invité, début août, à Beyrouth pour exprimer ses réserves concernant le plan de règlement du conflit frontalier israélo-libanais présenté par le Premier ministre libanais. Pour marquer notamment leur soutien au Liban face aux velléités iraniennes, les ministres arabes des Affaires étrangères ont tenu une réunion extraordinaire à Beyrouth. Dès le début du conflit, les pays arabes sunnites comme l'Arabie saoudite, l'Egypte et la Jordanie n’avaient pu que dénoncer l’aventurisme du Hezbollah.

 Contrairement à la position modérée des Arabes, les Iraniens se sont montrés sur la scène. Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le 13 juillet 2006,  a mis en garde Israël contre toute agression à l’égard de la Syrie. « Si Israël commet une autre idiotie et agresse la Syrie, cela sera synonyme d'une agression contre l'ensemble du monde musulman et il recevra une réponse cinglante », a déclaré M. Ahmadinejad. Le Hezbollah est considéré comme étant la main et l’épine iranienne au Liban. Il est l’ennemi farouche de l'Etat hébreu et des Etats-Unis, qui l'ont classé dans la liste des "organisations terroristes. Il peut aligner plusieurs milliers de combattants aguerris par la lutte armée engagée contre Israël au Liban, comme ça a été le cas  en 1985. Ce mouvement dispose d'un immense réservoir de partisans au sein de la population chiite, communauté la plus nombreuse au Liban, en Irak et en Iran. Fourni par Téhéran,  l'équipement de son organisation paramilitaire, la Résistance islamique, est de plus en plus sophistiqué[12]. Le lien entre Téhéran et le Hezbollah est un lien historique. Créé par les Gardiens iraniens de la révolution dans la foulée de l'invasion israélienne du Liban en 1982, le Hezbollah a obtenu une première grande victoire avec le retrait israélien du Liban sud en mai 2000, qui avait assuré sa popularité dans le pays du Cèdre.

En arrière plan, une autre image se profile : la volonté russe de trouver une place dans la gestion de crises régionales. Moscou, qui par sa menace met fin à la crise de Suez en 1956 et qui préserve la troisième armée égyptienne de la défaite en 1973, affiche souvent sa rage de ne pas pouvoir jouer un rôle actif.  Moscou, qui voulait jouer un rôle dans le conflit au Liban, est bien décidée à jouer sa carte au Moyen-Orient, face aux Etats-Unis, même si son influence reste relative. Elle présente, le 10 août 2006, un projet de résolution séparé sur le Liban au Conseil de sécurité de l'ONU. Moscou, qui avait déjà tenté de jouer un rôle de médiateur sur le nucléaire iranien ou en recevant le Hamas juste après sa victoire aux élections législatives palestiniennes, s'efforce désormais de prendre l'initiative pour faire taire les armes entre Israël et le Hezbollah.

 La Russie veut montrer, notamment au monde arabe et musulman, qu'elle a une position indépendante des Etats-Unis, qu'elle peut présenter ses propres propositions. Forte de ses réserves de pétrole, Moscou se sent plus puissante et veut revenir sur le devant de la scène politique mondiale. La diplomatie russe a d'abord soutenu le projet franco-américain qui prévoit une cessation des hostilités, avant d'évoluer progressivement devant les réticences libanaises. Moscou a ainsi suggéré pour la première fois l'idée d'une résolution alternative, qui n'a alors guère eu d'échos, puis a attendu deux jours avant de passer à l'offensive en faisant circuler un projet de résolution demandant un cessez-le-feu de 72 heures. Le Kremlin ne manque pas une occasion de s'affirmer face aux Etats-Unis, avec lesquels ses relations sont de plus en plus tendues (Washington critique le déficit de démocratie en Russie ou décrète des sanctions contre des firmes russes pour livraisons d'armes à l'Iran). L'Union soviétique a joui d'une forte influence au Moyen-Orient, que la Russie post-soviétique essaie de regagner, même si ce discours pro-arabe ou pro-musulman vise peut-être avant tout à apaiser les esprits dans le Caucase russe. Pour l'ambassadeur iranien à Moscou, Gholamreza Ansari, « Les tendances anti-américaines et anti-israéliennes deviennent de plus en plus fortes au Proche-Orient et dans le monde musulman (...) Cela stimule le développement de relations plus étroites avec la Russie », affirme M. Ansari dans le quotidien Nezavissimaïa Gazeta du 11 août 2006.

  

4/ Washington et le nouveau Moyen-Orient

Dans cette région, les Etats-Unis font la pluie plutôt que le beau temps. Les Européens ne cessent d’ouvrir les parapluies pour éviter que l’inondation se transforme en un déluge qui gagne la terre épargnée. Dans le monde arabe, cette guerre est vécue comme une tentative supplémentaire d’inonder les Arabes. La résistance de Hezbollah à Tsahal est alors considérée, par les populations arabes, comme une fierté car elle sauve l’honneur et rétablit la confiance perdue. Il y a alors une analogie avec la difficulté des Etats-Unis en Irak. Nous assistons ainsi à la évaporation des rêves américains d’un nouveau Moyen-Orient. Suite à la guerre en Irak, en 2003, l’administration Bush rêvait d’un Grand Moyen-Orient, basé sur un processus démocratique ambitieux. Ce projet ne verra pas le jour. Faute d’avoir réalisé son projet, Washington rêve de nouveau de mettre en place un processus aboutissant à un nouveau Moyen-Orient. Ces deux orientations montrent l’hésitation de l’administration Bush dans sa vision de l’avenir politique de la région. La particularité de la situation actuelle au Moyen-Orient soulève le problème de l’écart entre les scénarios “prédissinés” à Washington et les imprévisibles scénarios régionaux avec peut-être l’Iran comme nouvelle puissance nucléaire. Les orientations des États-Unis, montrent à quel point Washington suit des calculs basés sur des évaluations approximatives donnant lieu à  des scénarios et des résultats non prévisibles.

La question est donc de quel Moyen-Orient s’agit-il ? Y a-t-il un scénario de Yalta bis dessiné unilatéralement par les seuls américains ? Il est évident que cette guerre qui affaiblit déjà les régimes arabes aura des conséquences régionales néfastes. Les régimes sont dès à présent considérés, par les populations, comme dépossédés de leurs décisions et ne peuvent pas agir lorsqu’un État arabe se trouve en crise. Les efforts des ministres des Affaires étrangères de la Ligue Arabe, réunis à Beyrouth début août, en vue d’un cessez-le-feu ont échoué. Considérés comme faibles et pro-américains, les régimes arabes perdent de leur crédibilité et de leur légitimité aux yeux de leurs populations. Ces dernières les accusent de corruption et de trahison à la cause palestinienne. Cette situation fait surgir un vide et pousse des groupes, comme le Hamas et le Hezbollah, à jouer un rôle sur la scène régionale et ainsi se substituer à ces régimes. Un axe chiite, passant par Damas, Beyrouth, les territoires occupés et Bagdad, est en phase de constitution. Cet axe qui rallie les sentiments anti-américaines et qui a des ramifications fortes en Iran et en Syrie, commence a avoir des échos dans des grandes capitales arabes comme le Caire, Amman ou Ryad.      

 En Egypte, ces cinq semaines de guerre ont sérieusement entamée la crédibilité des Etats-Unis en tant qu’intermédiaire au Moyen-Orient. La gestion de la crise au Liban par l'administration Bush bat de l’aile, même si Washington continue à être considéré comme un acteur majeur dans la région. 34 jours d'offensive israélienne contre la milice chiite libanaise du Hezbollah, n’a pas donné les résultats escomptés qui permettraient aux États-Unis de parler d’un nouveau Moyen-Orient. Il y aura peut-être un Moyen-Orient mais défavorable à Washington. Le Etats-Unis sont de plus en plus isolés de leurs alliés arabes mais aussi européens. Cette guerre risque de déséquilibrer les rapports de forces entre les Américains et les Russes dans la région.

Même si le porte-parole du département d'Etat Sean McCormack écarte l'idée d'une perte d'influence de Washington au Moyen-Orient, l'administration du président George W. Bush, déjà sérieusement affaiblie par sa gestion de la crise en Irak, se retrouve dos au mur en soutenant trop strictement Israël durant   l'offensive. Les Etats-Unis ont ainsi donné le sentiment de pencher fortement en faveur d'Israël et de n'être guère préoccupés par les victimes arabes ou musulmanes. C’est le sentiment présent dans le monde arabe et particulièrement en Egypte. La théorie du complot américano-israélo-occidental trouve des adeptes et on pense, au Caire comme ailleurs, qu’après l’Afghanistan, l’Iraq et maintenant le Liban, la prochaine étape sera la Syrie qui sera suivie par l’Iran. Pour les adeptes de cette vision, Washington, au lieu de combattre le vrai terrorisme, poursuit son grand projet impérialiste pour s’approprier les ressources régionales en pétrole. 

Ainsi, l'influence de l'administration Bush au Moyen-Orient est déjà sérieusement entamée en raison de son incapacité à juguler les violences interconfessionnelles meurtrières en Irak, plus de trois ans après la chute de Saddam Hussein. Mais son refus de soutenir les appels internationaux à un cessez-le-feu immédiat au Liban et à un retrait rapide d'Israël ont suscité la colère non seulement de l'opinion publique arabe mais aussi d'alliés clés au Moyen-Orient comme c’est le cas au Caire à Aman ou à Ryad. Le problème devient double. Pour les Etats-Unis, il y a d’une part, une opinion publique arabe très anti-américaine et d’autre part des gouvernements hésitant à se montrer coopératifs à l'égard de Washington.

Le roi Abdallah II de Jordanie, l’un des dirigeants les plus modérés de la région, a semblé exprimer de l'exaspération concernant l'attitude américaine après que la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a décrit le conflit au Liban comme les « vagissements d'un nouveau Moyen-Orient », où les radicaux comme le Hezbollah n'auraient plus d'influence. « Je m'inquiète pour l'avenir du Proche-Orient », déclare le roi Abdallah II dans un entretien à la BBC. « Je vois tous les nuages noirs au-dessus de nos têtes », ajoute le roi. Le président égyptien Housni Moubarak est déjà écarté de l’échiquier et le rôle de l’Egypte est de plus en plus limité dans la région. Cette crise ne fait que diminuer davantage le rôle du Caire dans la gestion des crises majeures dans la région. Le fait que même des amis de longue date comme Abdallah prennent leur distance avec Washington est le signe de la franche perte d'influence des Etats-Unis au Moyen-Orient. La qualification des Saoudiens des attaques du Hezbollah d’aventurisme a provoqué le désaveu de la famille saoudienne par l’opinion publique arabe et notamment lorsque le conflit dépasse la première semaine. Nasrallah demande alors dans son deuxième discours télévisé aux dirigeants arabes d’être « des hommes au moins un seul jour ou de se taire. » 

 La confiance que le monde arabe a dans les Etats-Unis en tant qu'intermédiaire honnête a atteint son niveau le plus bas après l’invasion de l’Irak et la chute de Saddam Hussein. Cette confiance est probablement devenue déficitaire depuis cette guerre, en raison de la perception que les Etats-Unis soutiennent ce que fait Israël de manière inconditionnelle. Leur influence n'a jamais été aussi faible. Il n'y a pas de doute, actuellement, après cette guerre, Washington ne se fait aucun ami dans la région à l'exception d'Israël.

Cette guerre a affaibli l’image de la puissante armée israélienne, elle a aussi affaibli plus d’un régime arabe modéré dans la région. C’est le cas en Egypte, en Jordanie ou encore en Arabie Saoudite. Les populations arabes interprètent la modération en une soumission à un projet américain dans la région. Au Liban comme dans le monde arabe, Nassrallah est, depuis le début de cette guerre, considéré comme un héros qui tient tête aux Israéliens. Les liens sont de plus en plus tissés entre les chiites libanais, irakiens et iraniens qui ont depuis gagné la sympathie des populations arabes sunnites. Au niveau, régional, l’Iran prend une place prépondérante et montre sa capacité à troubler la sécurité israélienne à travers le mouvement chiite au Liban. C’est déjà ce scénario qui se joue par les chiites irakiens avec Moqtada Al-Sadre, contre les troupes américaines et britanniques à Bagdad et à Bassora. C’est la même tactique utilisée par les Talibans contre les troupes américaines en Afghanistan[13]. 

 Téhéran conforte alors son statut comme acteur majeur dans la stabilité régionale et la gestion des crises. Enfin, sur le plan arabe et international, les régimes arabes modérés qui se trouvent isolés de leurs populations sont affaiblis. Depuis, ils sont accusés, par ces populations, comme étant des régimes silencieux, dépendants et soumis à la volonté des puissances régionales et internationales. Ces régimes modérés, déjà accusés de suivisme à la politique de Washington depuis le guerre en Irak, perdent le peu de soutien qui restait de la part de l’opinion publique des pays arabes. C’est ce qui affecte directement Washington. Les Etats-Unis perdent ainsi peu à peu l’influence dans cette région. Moscou voit ces changements comme propices à un nouveau départ de leur influence dans la région et espère ainsi retrouver sa place perdue depuis longtemps dans la gestion des crises régionales.

 « Nous devons faire en sorte que les choses se passent mieux la prochaine fois car il se peut qu'il y ait une prochaine fois », déclare le Premier ministre Ehud Olmert à la Knesset le 14 août 2006. D’ici là, un scénario de changement en profondeur est en phase de se mettre en place dans le Moyen-Orient. Le rapport de force avec les groupes armés est en phase d’inversement. La résolution 1701, de l’ONU, est la première résolution qui appelle à un cessez-le-feu entre un État et un groupe de combattants. Cette résolution est vécue, dans les pays arabes, comme une victoire du Hezbollah. Les portes de la région s’ouvrent bien grandes aux scénarios de pertes de toutes sortes. Les accusations du président Bush contre le Syrie et l’Iran n’apaiseront pas les fissures[14]. Une nouvelle ère de turbulences s’annonce et le premier à en subir les conséquences est l’Etat hébreu, puis les dirigeants arabes modérés et par conséquent Washington. Les gagnants sont donc les acteurs de l’ombre comme le Hezbollah, des acteurs régionaux comme l’Iran et en arrière plan, les Russes. 



[2] Le 9 août 2006, la colonie de Kyriat Shmona dans le nord d’Israël, est évacuée. Lors de cette opération, le bus commence à partir mais une roquette de Hezbollah s’abat sur la zone. La panique gagne et au lieu de monter dans le bus, il faut aller dans l’abri. Dans la confusion, une femme, avec son enfant au bras, court vers l’abri. Un soldat, qui veillait à la bonne marche de l’évacuation, se dirige à son tour parmi les civils en panique vers l’abri. En arrière plan, on entend les sirènes d’alarme hurler pour inciter la population à descendre dans les abris. Quelques minutes plus tard, on s’apprête à repartir mais de nouveau une alerte et de nouveau la panique. Le cameraman court et filme l’explosion de la roquette. Les batteries anti-missiles Patriotes n’ont pas pu arrêter cette attaque et durant un mois Tsahal n’arrive pas à arrêter les attaques de la milice chiite Hezbollah.  Le même jour, alors que le cabinet israélien décide d’étendre l’offensive au Liban et lorsque Tsahal commence à masser ses troupes le long de la frontière libanaise, des tires de roquettes de Hezbollah atterrissent non loin des chars provoquant un mouvement de panique.

[3] Ephraim Lavie, “The Israel-Hizbullah War: A Zero-Sum Game For Everyone?” Jafee Center For Strategic Studies, N. 182, 6 août 2006.

[4] Selon les experts, Israël dispose de moyens militaires autrement plus sophistiqués que ceux de la milice chiite, notamment près de 4.000 chars, 470 avions de chasse, 15 navires de guerre et 3 sous-marins, pour une armée de près de 600.000 hommes, réservistes compris. Le Hezbollah aligne quant à lui 600 à 1.000 combattants, 3.000 à 5.000 combattants mobilisables et 10.000 réservistes, avec un arsenal d'environ 10.000 roquettes à courte portée et des missiles de plus longue portée fournis par l'Iran.

[5] Yoel Marcos, Haaretz, 15 août 2006.

 [6] Les chars lourds israéliens Merkava, en particulier les Merkava III et IV de la dernière génération sont considérés comme les chars les plus puissants du monde, et pour lesquels l'accent a été mis sur la protection et le blindage. Ils sont dotés d'équipements électroniques ultrasophistiqués, d'un puissant moteur de 1200 chevaux et d'un blindage, spécialement étudiés leur assurant à la fois une grande mobilité et une bonne protection. Ces engins se sont néanmoins avérés vulnérables aux attaques des miliciens du Hezbollah, aussi bien à cause de la qualité des missiles employés, que des conditions du terrain, vallonné, couvert de verdure, jalonné d'obstacles naturels et peu propice au déploiement de blindés, surtout dans les agglomérations.  

[7] "Les missiles les plus efficaces sont les Metis-M, et les Kornet, fabriqués par la Russie, qui ont été livrés à la Syrie dans les années quatre-vingt-dix" "Ils sont redoutables, car ils ont été conçus pour surmonter les blindages actifs des chars modernes que les Israéliens ont été les premiers à mettre en service avec un grand succès au début de années quatre-vingt". Le Hezbollah dispose aussi de nombreux Sager de nouvelle génération, une arme de conception russe fabriquée en Iran, ainsi que de deux autres missiles de fabrication russe le Spigot et le Kuntrus. Ces missiles ont des portées de 1,5 km à 5 km et sont capables de percer des blindages de 400 mm à 1.000 mm.

 [8] Membre actif du gouvernement libanais aux côtés de la majorité anti-syrienne, le Hezbollah était sorti gagnant aux élections législatives libanaises en mai-juin 2005, lui assurant la représentation de l'importante communauté chiite.

[9] Hassan Nasrallah est un brillant orateur, manie  l'humour avec aisance. Agé de 46 ans, il s'est imposé au fil des ans comme un habile chef de guerre et négociateur incontournable sur la scène politique libanais. Après avoir milité au sein du mouvement chiite Amal, il est depuis 1992 à la tête du Hezbollah (Parti de Dieu), une formation politico-militaire, fer de lance depuis le milieu des années 1980 de la résistance anti-israélienne. Il a accédé à ce poste après la mort de cheikh Abbas Moussaoui, tué dans un raid israélien ciblé. Cheikh Nasrallah reçoit son baptême du feu un an plus tard, lorsque la Résistance islamique, bras armé du Hezbollah, équipée et financée par Téhéran -et seul mouvement à n'avoir pas désarmé à la fin de la guerre du Liban (1975-1990)- résiste à une opération israélienne d'envergure, "Justice rendue" en juillet 1993.

[10] Selon deux sondages publiés le 11 août 2006, les Israéliens croient de moins en moins à une victoire sur le Hezbollah et sont de plus en plus critiques vis-à-vis de la conduite de la guerre au Liban. 43% des Israéliens estiment qu'il n'y aurait ni vainqueur ni vaincu si les combats s'arrêtaient à ce stade et 30% croient qu'Israël n'aurait pas gagné. Seuls 20% estiment que l'Etat hébreu l'aurait emporté, selon cette enquête. 48% des personnes interrogées se disent satisfaites de la conduite de la guerre par le Premier ministre contre 40% de mécontents. Des représentants de l'opposition de droite ont mis en garde le gouvernement contre une acceptation d'un cessez-le-feu imposé par l'ONU.

[11] Selon le Jane's Defence Weekly, du 10 août 2006, le Hezbollah disposerait d'une centaine de missiles Zelsal-1 (tremblement de terre) d'une portée estimée à 150 km, assez puissant pour atteindre la capitale israélienne. Les combattants du Hezbollah, présents en force à la frontière libano-israélienne, sont difficilement repérables. Cette "armée de l'ombre" se cache dans les talus, au fond des vallons ou dans les monts boisés. Elle déplace en cas de besoin les rampes de lancement de roquettes montées sur des camions, après avoir été cachées dans des garages aux abords des villages du sud Liban.

[12] Jane’s Intelligence Weekly, 10 août 2006.

[13] Fisnik Abrashi, “NATO says Taliban use Hezbollah tactics”, Associated Press, 15 août 2006.

[14] Jim Rutenberg, “Bush Defends U.S. Handling of Lebanese Conflict, Asserting That Hezbollah Is the Loser”, New York Times, 15 août 2006.


[i] Ephraim Lavie, “The Israel-Hizbullah War: A Zero-Sum Game For Everyone?” JCSS, Jafee Center For Strategic Studies, N. 182, 6 août 2006.

[ii] Fisnik Abrashi, “NATO says Taliban use Hezbollah tactics”, Associated Press, 15 août 2006.

[iii] Jim Rutenberg, “Bush Defends U.S. Handling of Lebanese Conflict, Asserting That Hezbollah Is the Loser”, New York Times, 15 août 2006.