Mohamed Abdel Azim                                                                                                                   Retour

 

La Parlement Européen et la résolution égyptienne

Par Mohamed Abdel Azim

Newropeans Magazine,  23 janvier 2008

 

 

 

 

Lorsque les eurodéputés adoptent, le 17 janvier 2008, une résolution sur les droits de l’homme en Egypte, le Caire la considère comme une critique européenne et reporte une réunion sur ce sujet avec la Commission Européenne. Le monde arabe est une chance pour l’Europe et cette dernière bénéficie aujourd'hui de la chance unique de  pouvoir aider ce monde arabe à vivre la renaissance d’une culture politique pluraliste[1]. Mais est-ce encore possible aujourd’hui ?

 

Le pays des droits de l’homme, la France, qui estimait que le Parlement européen agit "dans le cadre de ses compétences" avait évité d’évoquer cette question lors de la rencontre du président Sarkozy avec son homologue égyptien deux semaines auparavant. Le président américain George W. Bush, en visite en Egypte la veille de l’adoption du texte, ne fait aucune référence à ce sujet. Si nous considérons que la question des droits de l’homme est un sujet qui se rattache à une valeur fondamentale en Europe, il est tout de même un sujet  épineux qui fâche lorsqu’on parle de démocratie entre les régimes en place dans le monde arabe et l’Occident[2].

Quelles en sont les raisons ?

 

Dans un hémicycle aux rangs clairsemés à Strasbourg, seuls 59 députés (bien 59) sont présents sur les 784. Le texte est adopté avec une majorité de 52 voix pour et 7 abstentions. Le projet de résolution, soutenu par six groupes du Parlement, appelle notamment à la libération immédiate de l’opposant Ayman Nour. Ce dernier est un ancien adversaire du président Hosni Moubarak à la première présidentielle pluraliste de 2005. Il est condamné en décembre 2005 (trois mois après ces élections) à cinq ans de prison pour falsification de documents. L'assemblée « exige qu'il soit mis un terme à tous types d'actes de torture et de mauvais traitements" et considère que les "coptes, les bahaïs, les chiites, les coranistes et les membres d'autres minorités religieuses demeurent regrettablement ostracisés pour des raisons sectaires », souligne le texte. Suite à l’adoption du texte, la réunion prévue les 23 et 24 janvier au Caire entre les autorités égyptiennes et une délégation de la Commission européenne, est annulée par l’Egypte. Avant l’adoption du texte, le Caire menace d'une rupture dans les relations avec l'institution européenne. Après l’adoption,  le Caire convoque, sur place, les ambassadeurs des 27 pays de l’Union.

 

L’Europe se trouve face à une nécessité en s’impliquant davantage dans le Moyen-Orient. Un rôle politique de l’Europe s’impose et le monde arabe a besoin de ses voisins européens afin de se restructurer politiquement, ce qui pourrait donner lieu à un apaisement et à la fin d’un malentendu historique entre les deux rives de la Méditerranée. Car l’explication des régimes en place tendent à voir que la démocratie est synonyme de chaos.

 

 

Pourquoi démocratie est synonyme de chaos ?

Il y a longtemps que la démocratie est considérée comme persona non grata en Egypte. Ni l’Amérique ni l’Europe ne peuvent agir pour aider l’Egypte à trouver le pluralisme politique ou encore la libération de l’opposant Ayman Nour. Par exemple, Washington a, à maintes fois, appelé l'Egypte à libérer Ayman Nour ; à chaque fois cette position suscite la colère du Caire. Du côté de l’Europe, c’est la première fois que l'Egypte est furieuse envers sa position depuis l’adoption de la résolution demandant la libération de l'opposant égyptien Ayman Nour. Libérer un prisonnier politique est un acte responsable, mais surtout un geste de la bonne volonté vers la liberté, le pluralisme et les droits de l’homme. Or, le cas égyptien est à part dans ces domaines. Les droits de l’homme sont classés parmi les sujets qui fâchent le régime et le gouvernement égyptien. Ce dernier rejette par exemple, totalement la résolution du Parlement européen, car celle-ci est considérée, par le Caire, comme critique envers la situation des droits de l'Homme en Egypte.

 

« L'Egypte rejette totalement les tentatives de ceux qui se croient autorisés à enquêter sur les droits de l'Homme en Egypte », explique le ministre des Affaires étrangères égyptiennes Ahmed Aboul Gheit. (…) « La résolution montre l'ignorance de l'assemblée (parlementaire européenne) quant à la situation en Egypte », expliquant le ministre qui considère que son pays « n'avait de leçon à recevoir de personne, en particulier si ceux qui les donnent se montrent arrogants et ignorants »  déclare le chef de la diplomatie égyptienne,

 

La résolution du parlement européen, comme institution, arrive après la visite de deux chefs d’Etats en Egypte : français et américain. Le séjour du président français dans la capitale égyptienne intervient au terme de cinq jours de vacances avec sa nouvelle compagne Carla Bruni. Ils sont d’abord, des délices pour les paparazzis et ont suscité la polémique en France. Mais MM. Sarkozy et Moubarak, qui passent en revue les grands dossiers régionaux, de la crise institutionnelle au Liban au processus de paix israélo-palestinien, en passant par la crise du Darfour et la lutte contre le terrorisme, n’ont pas pu aborder la question des droits de l’homme.

 

Le sujet des droits de l’homme constitue une source de malaise et un des facteurs majeurs de la contestation des égyptiens, mais il n’a pas encore été sérieusement à l’ordre du jour ou à l’agenda des rencontres au sommet. Par exemple, le président George W. Bush, qui achève sa tournée au Moyen-Orient, la veille de l’adoption de cette résolution, repart avec "l’espoir" que l'OPEP augmentera sa production de pétrole pour soulager une économie américaine menacée de récession. L’étape du président Bush en Egypte, une alliée plus distante et à l'influence en déclin, n’est que pour une ultime étape obligée sur le chemin du retour de Bush aux Etats-Unis.

 

Le dossier des droits de l’homme est noyé dans les préoccupation de Bush telles que l’avenir du pétrole des pays du Golfe suite à une possible confrontation avec l’Iran. De plus le président raïs s'abstient d'aller rencontrer Bush à Washington depuis 2004. Rappelons que depuis cette date, la presse égyptienne, en phase avec le régime au pouvoir, dénonce la politique américaine dans la région. Quant aux manifestants de l'opposition, anti-Bush ou anti-gouvernement, ils peinent à réunir plus de 50 personnes dans les rues du Caire. Ici, faute d’avoir l’espoir dans le changement, l’acte de critiquer est devenu un acte héroïque hautement risqué, dangereux voire coûteux. C’est le cas de l’opposant Ayman Nour. Le régime a pu éteindre la moindre voix de la contestation ou de la critique. Ces voix sont en phase de sommeil profond, et ce depuis longtemps. Les Egyptiens se réfèrent alors à la notion de la dynastie par l’héritage du pouvoir, ou encore à celle de momification du pouvoir.

 

Le Caire ou l’usage de l’intimidation 

Si les relations entre les Etats-Unis et l'Egypte restent stratégiques, elles ont pris un tour plus aigre, comme après un nouvel gel en décembre 2007, de 100 millions de dollars sur les 3 milliards d'aide américaine annuelle. C’est le Congrès qui prend cette décision en attendant d'avoir la preuve que l'Egypte luttait efficacement contre la contrebande d'armes, via des tunnels, vers la bande de Gaza, territoire contrôlé par le mouvement islamiste Hamas. Le respect des droits de l’homme n’est pas associé à ce gel. Depuis sa réélection, en 2005, le président Moubarak a du essuyer des volées de critiques de l'administration américaine pour sa répression d'opposants et l'absence de réformes démocratiques.

 

Mais, l'Egypte, qui voit depuis 2004, son influence pâlir dans les gestions des grands dossiers régionaux tels que les négociations israélo-israéliennes au profit de l'Arabie Saoudite, rejette les leçons de démocratie de Washington. Le Caire explique qu'un accélération des réformes n'aboutirait en Egypte, et dans la région, qu'au "chaos", autrement dit à la victoire des islamistes.

 

Les eurodéputés refusent de se laisser intimider par les menaces du Caire. « Le Parlement européen est majeur et souverain et décide ce qu'il veut décider. Si nous avons à critiquer la situation des droits de l'Homme en Egypte, à Guantanamo ou ailleurs, nous le faisons », déclare le coprésident du groupe des Verts Daniel Cohn-Bendit.


Quant à la présidente de la sous-commission du Parlement pour les droits de l'Homme, Hélène Flautre, elle a jugé la réaction du Caire "complètement disproportionnée" devant un texte qui s'inscrit selon elle sur la base des engagements auxquels l'Egypte a elle-même souscrit en matière de droits de l'Homme.


Alors que l’Europe, lorsqu’elle accorde, le 6 mars 2007, une aide économique de 558 millions d’euros (735 millions de dollars) au régime égyptien, elle souhaitait le début d’une réforme démocratique[3]. Mais l’Egypte entendait entreprendre des  réformes « politiques » et on se trouve dans une configuration de régression constitutionnelle[4].

 

A l’heure actuelle, la question qui se pose est la suivante : l’Europe veut-elle vraiment promouvoir la démocratie dans le monde arabe ? Les aides économiques aux pays voisins de l’Europe montrent une volonté affichée de soutien à la démocratie. Mais les pratiques contradictoires des régimes en place contre les opposants politiques sont ignorée par cette même Europe depuis des décennies[5]. L’Europe agit certes avec un retard considérable, mais le proverbe dit : mieux vaut tard que jamais.



[1] Mohamed Abdel Azim, Le monde arabe est une chance pour l’Europe, Newropeans Magazine, 29 janvier 2007.

[2] Mohamed Abdel Azim, La démocratie : persona non grata, Actualité sociale et politique,  Egypte, l’Harmattan :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=article&no=6088

[3] La naissante pratique démocratique en Egypte et la révolte des juges, L’Harmattan, septembre 2006.  http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=article&no=6092

[4] Mohamed Abdel Azim, “L’Egypte: les raisons d’une régression constitutionnelle”, Newropeans Magazine,  29 mars 2007 ; L’Europe veut-elle la démocratie dans le monde arabe ? ”, Newropeans Magazine, 16 mars 2007.

[5] Mohamed Abdel Azim, Qui souhaite des réformes démocratiques ? ”, Newropeans Magazine, 20 mars 2007.