Mohamed Abdel Azim 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                      Les deux portes du Moyen-Orient (2/3)          PDF Print E-mail

                              Monde Arabe : Ni Choura ni Agora, mais division interne

Written by Mohamed Abdel Azim   
Wednesday, 27 March 2008


Iraqi artist, Sabah Majeed - http://arabwomanblues.blogspot.com/ 


1- Aperçu historique

(retour partie 1)

 

Pour mieux comprendre ce qui oppose ou ce qui réunit les Arabes et les Iraniens, il est important de revenir à la source des rapports entre ces deux peuples. L'islam sunnite est le principal courant dans les  pays musulmans et constitue environ 80 à 85% des populations, alors que la branches des chiites, regroupe autour de 15 à 20 %. 

 

 

A/ Arabes et Iraniens 

 

L’Iran a, depuis des siècles, subi les effets de l’extension arabe sans mener une agression envers ses voisins. Le constat historique montre que lorsque l’Iran est conquis militairement par les Arabes, il va à son tour conquérir son vainqueur, par sa culture. Depuis que les Arabes islamisent la Perse, cette dernière garde sa particularité en établissant une cohabitation historique avec ses voisins arabes. Contrairement aux autres régions conquises par les califes, l’Iran est islamisé, mais n’a jamais été arabisé. Les penseurs persans ont même réussi à se distinguer au sein du monde musulman en apportant un aspect culturel d’une importance fondamentale. On peut citer comme exemple des écrivains, poètes, philosophes et savants comme Omar El-Khayam, Avicenne, Farabi, sans oublier la fabuleuse Mille et une nuits.

 

En 359, l’armée du roi Sapor II (309-379) a envahi la Syrie. Après une dure bataille, ce roi de la dynastie sassanide de Perse, prend la ville romaine d'Amida. Pendant son règne, l'Empire Sassanide vit le second âge d'or, après celui du roi Shapur 1er (241–272). Cette dynastie constitue l’âge rayonnant des Perses tant sur le plan artistique, politique que  religieux. Deux siècles plus tard, l’année 632, est le début du règne du dernier roi sassanide de Perse[1]. Cette même année, l’armée du premier calife, qui soumet les tribus arabes révoltées,  progresse vers quatre directions : la Syrie, l’Irak, l’Iran et l’Egypte. Les années qui suivent la mort du prophète Mohammed, voient l'expansion arabe dans les pays voisins de l’Arabie Saoudite, notamment l’Irak. La conquête de la Mésopotamie se fait aux dépens de la dynastie perse des Sassanides.

 

Dès 633, le roi des Perses, doit faire face à l’arrivée des armées arabes. L’armée perse est vaincue dans plusieurs batailles notamment celle de Quadissiya (sud de la ville de Najaf) en 634. Quatre ans plus tard, les Arabes sont victorieux contre les armées perses et la conquête arabe de l’Iran commence en 637. Lorsque les Arabes battent l’armée sassanide à Nihawend en 642, l’Iran est rapidement conquis. La Perse devient un pays musulman et la conversion à l’islam est progressive. Elle s’étale sur plusieurs siècles, jusqu’au IXe.

 

Peu après la mort du prophète, l'Islam (sunnite) s’étend et pénètre rapidement le monde chrétien, gréco-romain et persan. Le deuxième calife Omar ordonne la conquête de l'Irak et de la Perse. Une armée quitte l’Irak et profite alors de la faiblesse relative de la Perse. Un combat a lieu à Namraq  (proche de Koufa en Irak). Elle se termine par une victoire arabe, qui leur donne le contrôle de la Mésopotamie. Le second Calife Omar est assassiné en 644, par un persan.

Suite à l’assassinat du 2ème calife Omar (en 644), le troisième calife, Osman, est nommé par un Conseil. Il est à son tour assassiné en 656, par un groupe d’opposants. Ces derniers nomment le quatrième calife en l’appelant Imam (guide des croyants). Face aux porteurs du titre calife[2], comme commandeur des croyants, les figures importantes des chiites sont des Imams[3]. Ce quatrième calife, Ali, qui déplace son quartier général à Koufa en Irak, se prépare à une bataille contre une révolte qui éclate en Syrie.

 

Nous sommes en 657 et une armée venant de la Syrie, sous le commandement du gouverneur de Damas[4], se prépare à affronter l’armée du 4ème calife Ali.  Ce dernier perd la bataille. Une perte qui provoque sa chute. Ali conserve alors un certain pouvoir et se replie à Koufa dont il fait sa capitale. Parmi ses fidèles, certains lui reprochèrent d'avoir accepté de se soumettre et quittent ses rangs. Plus tard ces mêmes fidèles l’assassinent en 661.

 

Les chiites, partisans du quatrième calife Ali, ne reconnaissent que lui. De plus, ils estiment que le 2ème calife de la dynastie des Omeyyades, a été coupable de la mort de Hussein, fils d’Ali et petit-fils du prophète Mohammed (lors de la bataille de Kerbala en 680). Toute succession de califes perd donc sa légitimité.

 

 

 

B/ Les dynasties

 

L’Islam chiite se propage alors en Irak et en Iran, contestant ainsi la succession par nomination de la part d’un Conseil, revendiquant depuis la légitimité de l’héritage du pouvoir. Se forment alors des dynasties. Tous ceux qui étaient liés au 3ème calife Osman, assassiné par des opposants qui portent Ali au pouvoir, crient vengeance, notamment les Omeyyades (première dynastie sunnite). Le gouverneur de Damas se proclame alors premier calife de cette dynastie.

 

Les Omeyyades gouvernent le monde arabe de 661 à 750, et établissant leur capitale à Damas. Ils sont détrônés en 750 par la dynastie des Abbassides. Profitant de divers troubles, liés notamment aux impôts, cette famille descendant de l'oncle du prophète, prend progressivement le pouvoir en Irak puis dans les régions les plus orientales des Omeyyades. Les Omeyyades cèdent la place à la dynastie des Abbassides. Ces derniers prennent Bagdad comme capitale entre 750 et 1260. Sous leur règne, la culture arabe connaîtra un immense essor, intégrant les cultures perses et grecques. Les Mongols, venant de la région du sud de la Russie et du nord de la Chine, s'emparent de la Perse  et mettent la main sur Bagdad, en 1258. En exécutant le dernier calife, ils mettent fin aux Abbassides.

 

L’ère de prospérité intellectuelle arabe, mise à mal par les Mongoles, se termine suite à l’arrivée de l’empire Ottoman en 1517. Les Ottomans mettent la main sur tous les pays du monde arabe durant cinq siècles, jusqu’en 1920. Cette longue période est caractérisée par une stagnation dans tous les domaines. Durant la présence ottomane, ce monde est fragilisé et fragmenté. Il se replie sur lui-même. Quelques siècles passent et le sort de ce monde se trouve entre les mains des puissances coloniales, françaises et britanniques. La vague de l’indépendance donne lieu à des multiples structures étatiques. Ces derniers se trouvent entre les mains des familles monarchiques ou des régimes nouvellement formés, sans expérience ni pratique, adoptant des modèles calqués sur les démocraties occidentales, enfantés par Athènes et Rome. 

 

 

C/ L’absence de la choura est la raison de division

 

La relation entre l’Iran et ses voisins du monde arabe évoque une analogie. Celle des rapports antiques et historiques entre les Grecs et les Romains. Mais dans son cheminement historique, le monde arabe n’a pas pu mettre en place une conception de la chose publique à la romaine. Depuis son islamisation, le monde arabe dispose du principe et de la méthode de concertation. Le concept et les outils existent alors que la pratique manquait. Depuis le XIVe, ce monde vit dans un état de stagnation politique et intellectuelle. Dans le vocabulaire du monde arabe, depuis des siècles, il  manque des mots qui commencent par « re » comme reformes.

 

En effet, un certain nombre de valeurs musulmanes prône dès le départ la concertation mais il n’y a pas eu la pratique ni  l’expérience de socialisation ou l’adoption du principe de la choura, (consultation) comme principe de débat, à l’image d’une agora athénienne. Depuis le début, surgit une division sunnite/chiite qui n’a jamais été un frein ou une raison de la confrontation. Par ailleurs, il y a bien eu abandon du principe de la concertation. Depuis le passage de l’ère mobile de la tente vers les périodes stable des palais dynastiques, la pratique de consultation a été oubliée.

 

L’adoption des valeurs dans la cité athénienne ou la chose publique à la roumaine, s’est essentiellement faite par une voie d’évolution d’idées intégrant le christianisme via des vagues successives de débats houleux ou amicaux remontant pour Athènes aux réformes de Dracon en l’an 620 avant J.-C. Dracon est mandaté pour proposer des lois ne s'appliquant qu'aux affaires de meurtre et dont la dureté devait rester légendaire (d'où l'adjectif draconien).  Le Dracon arabe n’a pas existé, mais la cour sacrée a été présente sans jamais être l’objet de contestation. 

 

Depuis le XIVe, le monde arabe n’a pas encore assimilé les raisons de son repli et a du mal à clarifier les racines de ses divisions. La notion de la fitna (divisions internes)[5] apparaît et ouvre la voie à la crainte d’un complot. Ces différences ne sont pas vécues comme enrichissantes et pouvant donner lieu à l’émergence d’un modèle politique arabe. Elles sont au contraire mal vécues et ont toujours fragmenté ce monde. Aucune de ces périodes de prospérité intellectuelle, n’a laissé derrière elle un modèle politique basé sur la valeur de la choura (concertation).

 

Au lieu de donner lieu à une richesse par le débat contradictoire, amical ou houleux, ces divisions ont abouti à la confrontation intérieure. La conception graduelle d’un modèle de gouvernance basé sur la concertation et la consultation (choura) n’a pas eu lieu. Une attribution causale est alors généralisée, tendant à dire que tout ce qui s’est passé n’est pas le fait interne à ce monde mais au contraire, le produit des facteurs externes.

 

L’un des aspects historiques du monde arabe est sa fragilité du point de vue structures et sa faiblesse du point de vue étatique. C’est sur ce côté que les néoconservateurs américains appuient avec véhémence afin de faire sortir à la surface cette profonde division sunnite/chiite. Il s’agit d’un terrain propice pour le recours à la théorie du chaos et celle de la catastrophe.

Parler d’un affrontement entre sunnites et chiites ou deux visions qui s’affrontent, c’est vouloir totalement gommer une partie essentielle dans la compréhension et dans la démarche de clarifier l’histoire. C’est aussi transformer la genèse historique et la manière dont ont été programmées et conditionnées les politiques arabes depuis la fin des dynasties durant le XIIIe et surtout depuis le départ des Ottomans début du 20e et l’accession de ce monde à son indépendance à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale. (A suivre ...)

 

retour partie 1

 

 

Mohamed Abdel Azim*
Lyon - France

 


* Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews, membre du Comité Directeur Newropeans en charge des affaires méditerranéennes et arabes. Il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, publié aux éditions l’Harmattan, 2006.

[1] Le roi Yazdgard III. Il est assassiné en 651.

[2] Le mot calife  (successeur)  sous-entend succéder au prophète. Ce titre est porté par les successeurs du prophète Mohammed depuis sa mort en 632, jusqu’à l’abolition de cette fonction en 1924, par le turc Mustapha Kemal Atatürk.

[3] Le premier (père tout Imam) est Ali (le quatrième et dernier des califes entre le prophète et les dynasties). Il accède au pouvoir suite à l’assassinat du troisième calife en 652, Lorsque Ali accède au pouvoir il se heurte  à des multiples revendications.

[4] Ce gouverneur est membre de la famille du troisième calife assassiné.

[5] Gilles Kepel, Fitna : Guerre au cœur de l'islam, Paris, Gallimard, 2004.

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Last Updated ( Thursday, 27 March 2008 )
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