1- Aperçu historique
(retour
partie 1)
Pour mieux
comprendre ce qui oppose ou ce qui réunit les Arabes et les
Iraniens, il est important de revenir à la source des rapports
entre ces deux peuples. L'islam sunnite est le principal courant
dans les pays musulmans et constitue environ 80 à 85% des
populations, alors que la branches des chiites, regroupe autour
de 15 à 20 %.
A/ Arabes
et Iraniens
L’Iran a, depuis
des siècles, subi les effets de l’extension arabe sans mener
une agression envers ses voisins. Le constat historique montre
que lorsque l’Iran est conquis militairement par les Arabes,
il va à son tour conquérir son vainqueur, par sa culture.
Depuis que les Arabes islamisent la Perse, cette dernière garde
sa particularité en établissant une cohabitation historique
avec ses voisins arabes. Contrairement aux autres régions
conquises par les califes, l’Iran est islamisé, mais n’a
jamais été arabisé. Les penseurs persans ont même réussi à
se distinguer au sein du monde musulman en apportant un aspect
culturel d’une importance fondamentale. On peut citer comme
exemple des écrivains, poètes, philosophes et savants comme
Omar El-Khayam, Avicenne, Farabi, sans oublier la fabuleuse
Mille et une nuits.
En 359, l’armée
du roi Sapor II (309-379) a envahi la Syrie. Après une dure
bataille, ce roi de la dynastie sassanide de Perse, prend la
ville romaine d'Amida. Pendant son règne, l'Empire Sassanide
vit le second âge d'or, après celui du roi Shapur 1er
(241–272). Cette dynastie constitue l’âge rayonnant des
Perses tant sur le plan artistique, politique que
religieux. Deux siècles plus tard, l’année 632, est le début
du règne du dernier roi sassanide de Perse[1]. Cette même année,
l’armée du premier calife, qui soumet les tribus arabes révoltées,
progresse vers quatre directions : la Syrie, l’Irak, l’Iran
et l’Egypte. Les années qui suivent la mort du prophète
Mohammed, voient l'expansion arabe dans les pays voisins de l’Arabie
Saoudite, notamment l’Irak. La conquête de la Mésopotamie se
fait aux dépens de la dynastie perse des Sassanides.
Dès 633, le roi
des Perses, doit faire face à l’arrivée des armées arabes.
L’armée perse est vaincue dans plusieurs batailles notamment
celle de Quadissiya (sud de la ville de Najaf) en 634. Quatre
ans plus tard, les Arabes sont victorieux contre les armées
perses et la conquête arabe de l’Iran commence en 637.
Lorsque les Arabes battent l’armée sassanide à Nihawend en
642, l’Iran est rapidement conquis. La Perse devient un pays
musulman et la conversion à l’islam est progressive. Elle
s’étale sur plusieurs siècles, jusqu’au IXe.
Peu après la mort
du prophète, l'Islam (sunnite) s’étend et pénètre
rapidement le monde chrétien, gréco-romain et persan. Le deuxième
calife Omar ordonne la conquête de l'Irak et de la Perse. Une
armée quitte l’Irak et profite alors de la faiblesse relative
de la Perse. Un combat a lieu à Namraq (proche de Koufa
en Irak). Elle se termine par une victoire arabe, qui leur donne
le contrôle de la Mésopotamie. Le second Calife Omar est
assassiné en 644, par un persan.
Suite à
l’assassinat du 2ème calife Omar (en 644), le troisième
calife, Osman, est nommé par un Conseil. Il est à son tour
assassiné en 656, par un groupe d’opposants. Ces derniers
nomment le quatrième calife en l’appelant Imam (guide des
croyants). Face aux porteurs du titre calife[2], comme
commandeur des croyants, les figures importantes des chiites
sont des Imams[3]. Ce quatrième calife, Ali, qui déplace son
quartier général à Koufa en Irak, se prépare à une bataille
contre une révolte qui éclate en Syrie.
Nous sommes en 657
et une armée venant de la Syrie, sous le commandement du
gouverneur de Damas[4], se prépare à affronter l’armée du 4ème
calife Ali. Ce dernier perd la bataille. Une perte qui
provoque sa chute. Ali conserve alors un certain pouvoir et se
replie à Koufa dont il fait sa capitale. Parmi ses fidèles,
certains lui reprochèrent d'avoir accepté de se soumettre et
quittent ses rangs. Plus tard ces mêmes fidèles
l’assassinent en 661.
Les chiites,
partisans du quatrième calife Ali, ne reconnaissent que lui. De
plus, ils estiment que le 2ème calife de la dynastie des
Omeyyades, a été coupable de la mort de Hussein, fils d’Ali
et petit-fils du prophète Mohammed (lors de la bataille de
Kerbala en 680). Toute succession de califes perd donc sa légitimité.
B/ Les
dynasties
L’Islam chiite se
propage alors en Irak et en Iran, contestant ainsi la succession
par nomination de la part d’un Conseil, revendiquant depuis la
légitimité de l’héritage du pouvoir. Se forment alors des
dynasties. Tous ceux qui étaient liés au 3ème calife Osman,
assassiné par des opposants qui portent Ali au pouvoir, crient
vengeance, notamment les Omeyyades (première dynastie sunnite).
Le gouverneur de Damas se proclame alors premier calife de cette
dynastie.
Les Omeyyades
gouvernent le monde arabe de 661 à 750, et établissant leur
capitale à Damas. Ils sont détrônés en 750 par la dynastie
des Abbassides. Profitant de divers troubles, liés notamment
aux impôts, cette famille descendant de l'oncle du prophète,
prend progressivement le pouvoir en Irak puis dans les régions
les plus orientales des Omeyyades. Les Omeyyades cèdent la
place à la dynastie des Abbassides. Ces derniers prennent
Bagdad comme capitale entre 750 et 1260. Sous leur règne, la
culture arabe connaîtra un immense essor, intégrant les
cultures perses et grecques. Les Mongols, venant de la région
du sud de la Russie et du nord de la Chine, s'emparent de la
Perse et mettent la main sur Bagdad, en 1258. En exécutant
le dernier calife, ils mettent fin aux Abbassides.
L’ère de prospérité
intellectuelle arabe, mise à mal par les Mongoles, se termine
suite à l’arrivée de l’empire Ottoman en 1517. Les
Ottomans mettent la main sur tous les pays du monde arabe durant
cinq siècles, jusqu’en 1920. Cette longue période est caractérisée
par une stagnation dans tous les domaines. Durant la présence
ottomane, ce monde est fragilisé et fragmenté. Il se replie
sur lui-même. Quelques siècles passent et le sort de ce monde
se trouve entre les mains des puissances coloniales, françaises
et britanniques. La vague de l’indépendance donne lieu à des
multiples structures étatiques. Ces derniers se trouvent entre
les mains des familles monarchiques ou des régimes nouvellement
formés, sans expérience ni pratique, adoptant des modèles
calqués sur les démocraties occidentales, enfantés par Athènes
et Rome.
C/
L’absence de la choura est la raison de division
La relation entre
l’Iran et ses voisins du monde arabe évoque une analogie.
Celle des rapports antiques et historiques entre les Grecs et
les Romains. Mais dans son cheminement historique, le monde
arabe n’a pas pu mettre en place une conception de la chose
publique à la romaine. Depuis son islamisation, le monde arabe
dispose du principe et de la méthode de concertation. Le
concept et les outils existent alors que la pratique manquait.
Depuis le XIVe, ce monde vit dans un état de stagnation
politique et intellectuelle. Dans le vocabulaire du monde arabe,
depuis des siècles, il manque des mots qui commencent par
« re » comme reformes.
En effet, un
certain nombre de valeurs musulmanes prône dès le départ la
concertation mais il n’y a pas eu la pratique ni l’expérience
de socialisation ou l’adoption du principe de la choura,
(consultation) comme principe de débat, à l’image d’une
agora athénienne. Depuis le début, surgit une division
sunnite/chiite qui n’a jamais été un frein ou une raison de
la confrontation. Par ailleurs, il y a bien eu abandon du
principe de la concertation. Depuis le passage de l’ère
mobile de la tente vers les périodes stable des palais
dynastiques, la pratique de consultation a été oubliée.
L’adoption des
valeurs dans la cité athénienne ou la chose publique à la
roumaine, s’est essentiellement faite par une voie d’évolution
d’idées intégrant le christianisme via des vagues
successives de débats houleux ou amicaux remontant pour Athènes
aux réformes de Dracon en l’an 620 avant J.-C. Dracon est
mandaté pour proposer des lois ne s'appliquant qu'aux affaires
de meurtre et dont la dureté devait rester légendaire (d'où
l'adjectif draconien). Le Dracon arabe n’a pas existé,
mais la cour sacrée a été présente sans jamais être
l’objet de contestation.
Depuis le XIVe, le monde arabe n’a pas
encore assimilé les raisons de son repli et a du mal à
clarifier les racines de ses divisions. La notion de la fitna
(divisions internes)[5] apparaît et ouvre la voie à la crainte
d’un complot. Ces différences ne sont pas vécues comme
enrichissantes et pouvant donner lieu à l’émergence d’un
modèle politique arabe. Elles sont au contraire mal vécues et
ont toujours fragmenté ce monde. Aucune de ces périodes de
prospérité intellectuelle, n’a laissé derrière elle un modèle
politique basé sur la valeur de la choura (concertation).
Au lieu de donner lieu à une richesse par le
débat contradictoire, amical ou houleux, ces divisions ont
abouti à la confrontation intérieure. La conception graduelle
d’un modèle de gouvernance basé sur la concertation et la
consultation (choura) n’a pas eu lieu. Une attribution causale
est alors généralisée, tendant à dire que tout ce qui
s’est passé n’est pas le fait interne à ce monde mais au
contraire, le produit des facteurs externes.
L’un des aspects
historiques du monde arabe est sa fragilité du point de vue
structures et sa faiblesse du point de vue étatique. C’est
sur ce côté que les néoconservateurs américains appuient
avec véhémence afin de faire sortir à la surface cette
profonde division sunnite/chiite. Il s’agit d’un terrain
propice pour le recours à la théorie du chaos et celle de la
catastrophe.
Parler d’un
affrontement entre sunnites et chiites ou deux visions qui
s’affrontent, c’est vouloir totalement gommer une partie
essentielle dans la compréhension et dans la démarche de
clarifier l’histoire. C’est aussi transformer la genèse
historique et la manière dont ont été programmées et
conditionnées les politiques arabes depuis la fin des dynasties
durant le XIIIe et surtout depuis le départ des Ottomans début
du 20e et l’accession de ce monde à son indépendance à la
sortie de la Deuxième Guerre mondiale. (A suivre ...)
retour
partie 1

Mohamed
Abdel Azim*
Lyon - France
* Mohamed
Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à
EuroNews, membre du Comité Directeur Newropeans
en charge des affaires méditerranéennes et arabes. Il est
l’auteur du livre : Israël
et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine,
Paris, publié aux éditions l’Harmattan, 2006.
[1] Le
roi Yazdgard III. Il est assassiné en 651.
[2]
Le mot calife (successeur) sous-entend succéder au
prophète. Ce titre est porté par les successeurs du prophète
Mohammed depuis sa mort en 632, jusqu’à l’abolition de
cette fonction en 1924, par le turc Mustapha Kemal Atatürk.
[3]
Le premier (père tout Imam) est Ali (le quatrième et dernier
des califes entre le prophète et les dynasties). Il accède au
pouvoir suite à l’assassinat du troisième calife en 652,
Lorsque Ali accède au pouvoir il se heurte à des
multiples revendications.
[4]
Ce gouverneur est membre de la famille du troisième calife
assassiné.
[5]
Gilles Kepel, Fitna : Guerre au cœur de l'islam, Paris,
Gallimard, 2004.