Mohamed Abdel Azim 

 

 

 

 

 

 

Newropeans Magazine

 

 

          Les deux portes du Moyen-Orient (3/3)   

PDF Print E-mail
Written by Mohamed Abdel Azim   
Monday, 31 March 2008

 


Iraqi artist, Sabah Majeed - http://arabwomanblues.blogspot.com/ 

 

Monde Arabe et néoconservateurs 

L’usage du chaos et fausses déclarations

 

Provoquer un état de chaos régional est l’hypothèse qui explique les raisons de la détermination américaine à secouer la bouteille du Moyen-Orient. Cela passe aussi par des déclarations erronées. « Où est-il allé chercher ça ?» se demandait un responsable de la CIA sur les propos de Dick Cheney qui, en août 2002, affirme : « Il n'y a pas de doute que Saddam Hussein a maintenant des armes de destruction massive ».

 

Les déclarations de George W. Bush et de ses proches collaborateurs sur le danger que représentait l'Irak entre 2001 et 2003 sont pointées du doigt par une étude publiée le Center for Public Integrity et du Fund for Independence in Journalism, avec 935 fausses déclarations.

 

Dans les 935 fausses déclarations du président Bush, on compte 231 concernant les armes de destruction massive en Irak et 28 sur les liens de l'Irak avec Al-Qaïda. Pour Colin Powell, l'étude recense 244 fausses déclarations sur les armes de destruction massive en Irak et dix sur l'Iran et Al-Qaïda[6]. En dehors du président Bush, l'étude cite plusieurs hauts responsables américains qui occupaient à l'époque des fonctions diverses: le vice-président Dick Cheney, la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice, aujourd'hui à la tête de la diplomatie américaine, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, le secrétaire d'Etat Colin Powell, le vice-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz et les porte-parole de la Maison Blanche Ari Fleischer et Scott McClellan.

 

Deux années qui ont suivi les attentats terroristes de 2001 aux Etats-Unis, le président George W. Bush et de hauts responsables de l'administration américaine ont fait 935 fausses déclarations sur l'Irak et sur la menace supposée qu'il faisait peser sur la sécurité des Etats-Unis, écrit  l’étude du Center for Public Integrity[7].

 

D'après cette étude réalisée par deux organisations -à but non lucratif- de journalistes aux Etats-Unis, ces déclarations « faisaient partie d'une campagne orchestrée qui a galvanisé efficacement l'opinion publique et, dans ce processus, a conduit la nation vers la guerre, incontestablement sous de faux prétextes. »

 

« Il n'est maintenant plus contesté que l'Irak ne possédait pas d'armes de  destruction massive et n'avait pas de liens significatifs avec Al-Qaïda » (…) « En bref, l'administration Bush a mené la nation vers la guerre sur la base d'informations erronées qu'elle avait propagées méthodiquement, et cela s'est terminé par une action militaire contre l'Irak le 19 mars 2003 », souligne l’étude de Charles Lewis et Mark Reading-Smith, membres du Fonds pour l'indépendance en journalisme.

 

A/ L'affaire poétique

 

"L'Iran, l'Arabie saoudite ont toutes des raisons pour que l'instabilité en Irak continue" (…) "Chacun utilise des méthodes différentes pour influer sur la situation", note le centre de recherches britannique en relations internationales Chatham House[8]. Est-ce vrai ? Sont-ils les seuls à avoir ces raisons ? Quelles sont les logiques pour lesquelles les acteurs peuvent rechercher le chaos ou lieu de trouver la stabilité ?

 

« Quelles sont les origines de ces conflits et comment influent-ils sur la potentialité d'une coalition entre sunnites radicaux d'al-Qa'ida et chi'ites radicaux du camp iranien ? se demande Ely Karmon. Pour répondre à cette question ô combien complexe, Ely Karmon s’appuie sur les propos d’un poète syrien : Ali Ahmad Saïd Isb. L’affaire devient alors, pour Ely Karmon, poétique. Ne parlons donc pas des sciences sociales ou politiques car ses lecteurs ne s’intéressent apparemment pas à la philosophie ou à l’histoire, mais au discursif poétique[9].

 

Aujourd’hui, il y a un malentendu historique profond entre les chercheurs issus de ce contexte historique arabe et les orientalistes qui ignorent l’aspect fondamental de la rupture dans la continuité historique du monde arabe. Le monde arabe a oublié le principe de la choura (concertation) et fait souvent appel à l’usage de la notion de la fitna (divisions internes). Analyser le type d’évolution des pays arabes, comme le font les sciences sociales, aussi bien du côté arabe (avec la notion du complot) que du côté occidental (avec la notion d’un choc de civilisations), est biaisé.

 

Les sciences sociales ont surtout concentré leurs efforts sur comment définir ou comment comprendre le monde arabe. Or, les questions relevant des raisons historiques propres au monde arabe sont souvent ignorées. On a tendance à évoquer les fameux  charia et jihad, comme source de tout malheur au détriment de la choura et ijtihad comme porte d’issue ou de formulation d’un modèle politique arabe passant par la voie de l’islah (réforme). 

 

 

B/ Le contraste historique et la chose terroriste

 

La philosophie arabe du Xème siècle, interprète les questions religieuses et l’intègre dans la philosophie. Durant le Xe, les philosophes arabes comme le philosophe Tawhidi  ou encore Al-Hamiri, sont des penseurs qui pratiquent la critique philosophique. Ils pensent les  questions religieuses à la manière kantienne. Comme Kant, qui définit la religion dans les limites de la raison, les penseurs arabes appliquent une démarche logocentrique du logos aristotélicien pour définir la religion, ils posent ainsi la question du sacré et de la vérité, de la justice et de l’existence, écrit Mohamed Arkoun[10]. Le contraste est visible avec le schéma et le  discours simplistes de Ben Laden ou autres. 

 

Toutes les puissances, ont toujours fait usage du triangulaire géographique (Bagdad ; Téhéran, le Caire) et de sa proximité pour accomplir une mission d’affaiblissement de l’un ou de l’autre. L’armée mongole après avoir franchi le seuil de la Perse et lorsqu’elle l’envahit, entre en Irak, en Syrie et occupe l’Egypte. Traduit dans notre vocabulaire actuel, les néoconservateurs américains suivent un schéma tiré de l’histoire régionale en y ajoutant la nouveauté des sunnites et chiites. Donald Rumsfeld comme représentant de la ligne des néoconservateurs durant 30 ans met en place un scénario linéaire, impliquant l’usage de la particularité du triangle Bagdad-Téhéran-Riyad. Cet envoyé spécial du président Ronald Reagan au Moyen-Orient des années 1980, conclut que la porte de la Perse se trouve à Bagdad. Il tente son premier scénario à la grecque (affaiblir l’Iran par Bagdad) qui échoue et qui donne lieu au deuxième scénario : affronter l’Arabie saoudite à l’Iran avec ce qu’il appelle un croissant sunnite (englobant l’Egypte et le Jordanie).

 

La construction des faits actuels se base sur le phénomène de violence qui se généralise un peu partout dans le monde arabe. Orientalistes ou islamistes, politologues ou sociologues donnent des interprétations schématisées. Construits sur une vue instantanée sans référence philosophique ou sociologique, ces schémas consistent à dire : voilà ce qu’est ce monde et voila comment ce monde arabe pense. 

 

« L'un des faits particulièrement inquiétants liés à l'avenir des relations entre Sunnites et Chi'ites est l'augmentation alarmante du nombre de militants jihadistes saoudiens envoyés en Irak. L'hostilité envers les Chi'ites et leur rôle croissant en Irak est également important, alors que beaucoup de jihadistes saoudiens se rendent en Irak afin de  tuer des Chi'ites" », écrit Ely Karmon[11].

 

 

C/ La chose mystérieuse

 

« L’organisation Al-Qaida existe-t-elle vraiment ? », se demande Olivier Roy[12]. Cette question surprenante est sérieusement évoquée par Jason Burke, l’un des reporters de The Observer, qui écrit son ouvrage durant la guerre des forces de l’OTAN contre les Talibans en Afghanistan en 2001[13]. Cette question mérite d’être posée, écrit Olivier Roy dans le Monde Diplomatique, un an après l’invasion américaine de l’Irak. « Le phénomène Al-Qaïda, comme ses avatars, apparaît avant tout transnational et n’a que des liens circonstanciels avec le Proche-Orient (…) On tend à « sur-islamiser » Al-Qaïda et à négliger sa dimension globale, anti-impérialiste et tiers-mondiste. La logique du mouvement sera sans doute d’incarner moins la défense de l’islam que l’avant-garde de mouvements de contestation de l’ordre établi et de l’hyperpuissance américaine », conclut Olivier Roy.

 

L’apparition des acteurs non étatiques perturbe drastiquement le jeu déjà non clarifié entre les Etats arabes et le monde extérieur. Le monde arabe, fragilisé et fragmenté par sa faiblesse historique depuis le XIIIème siècle, manque l’étape de la mise en lace d’un modèle politique basé sur des valeurs fondamentales de consultation. Il devient fertile aux tendances extrémistes. Les faits sont là, mais comment peut-on les interpréter et les comprendre ? L’un des acteurs non étatiques les plus mystérieux est celui d’AL-Qaïda. Si nous la considérons comme un phénomène (social, religieux ou politique), peut-on parler de ce phénomène comme une chose selon les concepts durkheimiens ?De là, nous pouvons poser les questions la concernant. Puisque la chose existe par le recours à la forme la plus violente avec l’acte de terreur, de suicide, de mort et de la destruction, c'est sans aucun doute l’un des phénomènes les plus complexes de notre temps.

 

De plus, il se manifeste de plus en plus dans de nombreuses sociétés. Son caractère d’Organisation polymorphe et invisible rend cet objet insaisissable. Tandis que son aspect visiblement religieux fait recours à des vocabulaires, à des rites et à des principes religieux. Ils sont utilisés pour exprimer une protestation politique contre les Etats à parti unique et contre des régimes qui onT vu le jour dans plusieurs ex-colonies. Il y a là une vision religieuse qui prend le relais des rôles de la militance nationaliste;

 

 

Retour: PARTIE 1) - PARTIE 2)

 

 

Mohamed Abdel Azim*
Lyon - France
 


Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews, membre du Comité Directeur Newropeans en charge des affaires méditerranéennes et arabes. Il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, publié aux éditions l’Harmattan, 2006.

[7] Charles Lewis, Mark Reading-Smith, “Did the Unites States go to War Under False Pretenses ?”,  The Center for Public Integrity, 23 janvier 2008. http://www.publicintegrity.org/WarCard/Default.aspx?src=home&context=overview&id=945 Voir aussi : “Les 935 mensonges de l'administration Bush”, Le Figaro, 23.01.2008.

 

[8] Gareth Stansfield, "Accepting Realities in Iraq - new briefing paper", Chatham House Papers, 17 mai 2007.

 

[9] Ely Karmon, “Chi’isme et sunnisme : vers une radicalisation des discours”,  Journal d’études des relations internationales au Moyen-Orient, V. 2, N. 1, janvier 2007.

 

[10] Mohamed Arkoun, “Islam-Occident : la confrontation ?, Clarifier le passé pour construire le futur”, Confluences Méditerranée, N. 16, hiver 1995-1996.

 

[11] Ely Karmon, “Chi’isme et sunnisme : vers une radicalisation des discours”,  Journal d’études des relations internationales au Moyen-Orient, V. 2, N. 1, janvier 2007. voire aussi : Ely Karmon, " Al-Qa'ida et la guerre contre le terrorisme - Après la guerre en Iraq ", The Middle East Review of International Affairs (MERIA) Journal, V. 10, N. 1, mars 2006.

 

[12] Olivier Roy, “AL-Qaïda, Label ou Organisation ?’’, Le Monde Diplomatique, septembre 2004.

 

[13] Jason Burke, Al Qaeda, Casting a shadow of Terror, Londres, I. B. Tauris, 2004, 304 pages.

 

Commentaires:  comment@newropeans-magazine.org This e-mail address is being protected from spam bots, you need JavaScript enabled to view it
Last Updated ( Tuesday, 01 April 2008 )
< Prev   Next >
                                                                        [ Back ]

 

____________________________________