Monde
Arabe et néoconservateurs
L’usage
du chaos et fausses déclarations
Provoquer
un état de chaos régional est l’hypothèse qui explique les
raisons de la détermination américaine à secouer la bouteille
du Moyen-Orient. Cela passe aussi par des déclarations erronées.
« Où est-il allé chercher ça ?» se demandait un
responsable de la CIA sur les propos de Dick Cheney qui, en août
2002, affirme : « Il n'y a pas de doute que Saddam Hussein a
maintenant des armes de destruction massive ».
Les
déclarations de George W. Bush et de ses proches collaborateurs
sur le danger que représentait l'Irak entre 2001 et 2003 sont
pointées du doigt par une étude publiée le Center for Public
Integrity et du Fund for Independence in Journalism, avec 935
fausses déclarations.
Dans
les 935 fausses déclarations du président Bush, on compte 231
concernant les armes de destruction massive en Irak et 28 sur
les liens de l'Irak avec Al-Qaïda. Pour Colin Powell, l'étude
recense 244 fausses déclarations sur les armes de destruction
massive en Irak et dix sur l'Iran et Al-Qaïda[6]. En dehors du
président Bush, l'étude cite plusieurs hauts responsables américains
qui occupaient à l'époque des fonctions diverses: le vice-président
Dick Cheney, la conseillère à la sécurité nationale
Condoleezza Rice, aujourd'hui à la tête de la diplomatie américaine,
le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, le secrétaire d'Etat
Colin Powell, le vice-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz
et les porte-parole de la Maison Blanche Ari Fleischer et Scott
McClellan.
Deux
années qui ont suivi les attentats terroristes de 2001 aux
Etats-Unis, le président George W. Bush et de hauts
responsables de l'administration américaine ont fait 935
fausses déclarations sur l'Irak et sur la menace supposée
qu'il faisait peser sur la sécurité des Etats-Unis, écrit
l’étude du Center for Public Integrity[7].
D'après
cette étude réalisée par deux organisations -à but non
lucratif- de journalistes aux Etats-Unis, ces déclarations
« faisaient partie d'une campagne orchestrée qui a
galvanisé efficacement l'opinion publique et, dans ce
processus, a conduit la nation vers la guerre, incontestablement
sous de faux prétextes. »
« Il
n'est maintenant plus contesté que l'Irak ne possédait pas
d'armes de destruction massive et n'avait pas de liens
significatifs avec Al-Qaïda » (…) « En bref,
l'administration Bush a mené la nation vers la guerre sur la
base d'informations erronées qu'elle avait propagées méthodiquement,
et cela s'est terminé par une action militaire contre l'Irak le
19 mars 2003 », souligne l’étude de Charles Lewis et
Mark Reading-Smith, membres du Fonds pour l'indépendance en
journalisme.
A/
L'affaire poétique
"L'Iran,
l'Arabie saoudite ont toutes des raisons pour que l'instabilité
en Irak continue" (…) "Chacun utilise des méthodes
différentes pour influer sur la situation", note le centre
de recherches britannique en relations internationales Chatham
House[8]. Est-ce vrai ? Sont-ils les seuls à avoir ces
raisons ? Quelles sont les logiques pour lesquelles les
acteurs peuvent rechercher le chaos ou lieu de trouver la
stabilité ?
« Quelles
sont les origines de ces conflits et comment influent-ils sur la
potentialité d'une coalition entre sunnites radicaux d'al-Qa'ida
et chi'ites radicaux du camp iranien ? se demande Ely Karmon.
Pour répondre à cette question ô combien complexe, Ely Karmon
s’appuie sur les propos d’un poète syrien : Ali Ahmad
Saïd Isb. L’affaire devient alors, pour Ely Karmon, poétique.
Ne parlons donc pas des sciences sociales ou politiques car ses
lecteurs ne s’intéressent apparemment pas à la philosophie
ou à l’histoire, mais au discursif poétique[9].
Aujourd’hui,
il y a un malentendu historique profond entre les chercheurs
issus de ce contexte historique arabe et les orientalistes qui
ignorent l’aspect fondamental de la rupture dans la continuité
historique du monde arabe. Le monde arabe a oublié le principe
de la choura (concertation) et fait souvent appel à l’usage
de la notion de la fitna (divisions internes). Analyser le type
d’évolution des pays arabes, comme le font les sciences
sociales, aussi bien du côté arabe (avec la notion du complot)
que du côté occidental (avec la notion d’un choc de
civilisations), est biaisé.
Les
sciences sociales ont surtout concentré leurs efforts sur
comment définir ou comment comprendre le monde arabe. Or, les
questions relevant des raisons historiques propres au monde
arabe sont souvent ignorées. On a tendance à évoquer les
fameux charia et jihad, comme source de tout malheur au détriment
de la choura et ijtihad comme porte d’issue ou de formulation
d’un modèle politique arabe passant par la voie de l’islah
(réforme).
B/
Le contraste historique et la chose terroriste
La
philosophie arabe du Xème siècle, interprète les questions
religieuses et l’intègre dans la philosophie. Durant le Xe,
les philosophes arabes comme le philosophe Tawhidi ou
encore Al-Hamiri, sont des penseurs qui pratiquent la critique
philosophique. Ils pensent les questions religieuses à la
manière kantienne. Comme Kant, qui définit la religion dans
les limites de la raison, les penseurs arabes appliquent une démarche
logocentrique du logos aristotélicien pour définir la
religion, ils posent ainsi la question du sacré et de la vérité,
de la justice et de l’existence, écrit Mohamed Arkoun[10]. Le
contraste est visible avec le schéma et le discours
simplistes de Ben Laden ou autres.
Toutes
les puissances, ont toujours fait usage du triangulaire géographique
(Bagdad ; Téhéran, le Caire) et de sa proximité pour
accomplir une mission d’affaiblissement de l’un ou de
l’autre. L’armée mongole après avoir franchi le seuil de
la Perse et lorsqu’elle l’envahit, entre en Irak, en Syrie
et occupe l’Egypte. Traduit dans notre vocabulaire actuel, les
néoconservateurs américains suivent un schéma tiré de
l’histoire régionale en y ajoutant la nouveauté des sunnites
et chiites. Donald Rumsfeld comme représentant de la ligne des
néoconservateurs durant 30 ans met en place un scénario linéaire,
impliquant l’usage de la particularité du triangle Bagdad-Téhéran-Riyad.
Cet envoyé spécial du président Ronald Reagan au Moyen-Orient
des années 1980, conclut que la porte de la Perse se trouve à
Bagdad. Il tente son premier scénario à la grecque (affaiblir
l’Iran par Bagdad) qui échoue et qui donne lieu au deuxième
scénario : affronter l’Arabie saoudite à l’Iran avec
ce qu’il appelle un croissant sunnite (englobant l’Egypte et
le Jordanie).
La
construction des faits actuels se base sur le phénomène de
violence qui se généralise un peu partout dans le monde arabe.
Orientalistes ou islamistes, politologues ou sociologues donnent
des interprétations schématisées. Construits sur une vue
instantanée sans référence philosophique ou sociologique, ces
schémas consistent à dire : voilà ce qu’est ce monde
et voila comment ce monde arabe pense.
« L'un
des faits particulièrement inquiétants liés à l'avenir des
relations entre Sunnites et Chi'ites est l'augmentation
alarmante du nombre de militants jihadistes saoudiens envoyés
en Irak. L'hostilité envers les Chi'ites et leur rôle
croissant en Irak est également important, alors que beaucoup
de jihadistes saoudiens se rendent en Irak afin de tuer
des Chi'ites" », écrit Ely Karmon[11].
C/
La chose mystérieuse
« L’organisation
Al-Qaida existe-t-elle vraiment ? », se demande
Olivier Roy[12]. Cette question surprenante est sérieusement évoquée
par Jason Burke, l’un des reporters de The Observer, qui écrit
son ouvrage durant la guerre des forces de l’OTAN contre les
Talibans en Afghanistan en 2001[13]. Cette question mérite d’être
posée, écrit Olivier Roy dans le Monde Diplomatique, un an après
l’invasion américaine de l’Irak. « Le phénomène
Al-Qaïda, comme ses avatars, apparaît avant tout transnational
et n’a que des liens circonstanciels avec le Proche-Orient
(…) On tend à « sur-islamiser » Al-Qaïda et à négliger
sa dimension globale, anti-impérialiste et tiers-mondiste. La
logique du mouvement sera sans doute d’incarner moins la défense
de l’islam que l’avant-garde de mouvements de contestation
de l’ordre établi et de l’hyperpuissance américaine »,
conclut Olivier Roy.
L’apparition
des acteurs non étatiques perturbe drastiquement le jeu déjà
non clarifié entre les Etats arabes et le monde extérieur. Le
monde arabe, fragilisé et fragmenté par sa faiblesse
historique depuis le XIIIème siècle, manque l’étape de la
mise en lace d’un modèle politique basé sur des valeurs
fondamentales de consultation. Il devient fertile aux tendances
extrémistes. Les faits sont là, mais comment peut-on les
interpréter et les comprendre ? L’un des acteurs non étatiques
les plus mystérieux est celui d’AL-Qaïda. Si nous la considérons
comme un phénomène (social, religieux ou politique), peut-on
parler de ce phénomène comme une chose selon les concepts
durkheimiens ?De là, nous pouvons poser les questions la
concernant. Puisque la chose existe par le recours à la forme
la plus violente avec l’acte de terreur, de suicide, de mort
et de la destruction, c'est sans aucun doute l’un des phénomènes
les plus complexes de notre temps.
De
plus, il se manifeste de plus en plus dans de nombreuses sociétés.
Son caractère d’Organisation polymorphe et invisible rend cet
objet insaisissable. Tandis que son aspect visiblement religieux
fait recours à des vocabulaires, à des rites et à des
principes religieux. Ils sont utilisés pour exprimer une
protestation politique contre les Etats à parti unique et
contre des régimes qui onT vu le jour dans plusieurs
ex-colonies. Il y a là une vision religieuse qui prend le
relais des rôles de la militance nationaliste;
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PARTIE
1) - PARTIE
2)

Mohamed
Abdel Azim*
Lyon - France
Mohamed
Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à
EuroNews, membre du Comité Directeur Newropeans
en charge des affaires méditerranéennes et arabes. Il est
l’auteur du livre : Israël
et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine,
Paris, publié aux éditions l’Harmattan, 2006.
[7]
Charles Lewis, Mark Reading-Smith, “Did the Unites States go to
War Under False Pretenses ?”, The Center for Public
Integrity, 23 janvier 2008. http://www.publicintegrity.org/WarCard/Default.aspx?src=home&context=overview&id=945
Voir aussi : “Les 935 mensonges de l'administration Bush”, Le
Figaro, 23.01.2008.
[8]
Gareth Stansfield, "Accepting Realities in Iraq - new
briefing paper", Chatham House Papers, 17 mai 2007.
[9]
Ely Karmon, “Chi’isme et sunnisme : vers une
radicalisation des discours”, Journal d’études des
relations internationales au Moyen-Orient, V. 2, N. 1, janvier
2007.
[10]
Mohamed Arkoun, “Islam-Occident : la confrontation ?,
Clarifier le passé pour construire le futur”, Confluences Méditerranée,
N. 16, hiver 1995-1996.
[11]
Ely Karmon, “Chi’isme et sunnisme : vers une
radicalisation des discours”, Journal d’études des
relations internationales au Moyen-Orient, V. 2, N. 1, janvier
2007. voire aussi : Ely Karmon, " Al-Qa'ida et la guerre
contre le terrorisme - Après la guerre en Iraq ", The Middle
East Review of International Affairs (MERIA) Journal, V. 10, N. 1,
mars 2006.
[12]
Olivier Roy, “AL-Qaïda, Label ou Organisation ?’’, Le
Monde Diplomatique, septembre 2004.
[13]
Jason Burke, Al Qaeda, Casting a shadow of Terror, Londres, I. B.
Tauris, 2004, 304 pages.
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