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Bush : Moyen-Orient, entre le chaos et la catastrophe (1ère partie)

Bush : Moyen-Orient, entre le chaos et la catastrophe (1ère partie)

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Written by Mohamed Abdel Azim   

Sunday, 27 May 2007

 

  • Image L'activité d'Al-Qaïda est en progression malgré le renforcement de l'engagement militaire américain à Bagdad. Le nombre de soldats américains tués depuis janvier 2007 est aussi en progression, avec 104 morts sur le seul mois d'avril. "L'Iran, l'Arabie saoudite et la Turquie ont tous des raisons pour que l'instabilité en Irak continue. Sont-ils les seuls à avoir ces raisons ?"Chacun utilise des méthodes différentes pour influer sur la situation", note le centre de recherches britannique en relations internationales Chatham House[1]. Quelles sont les raisons pour lesquelles les acteurs peuvent rechercher le chaos ou lieu de trouver la stabilité ?


Les néo-conservateurs entre chaos et catastrophes

  • L’administration Bush et les néo-conservateurs américains sont les usagers et les praticiens des principes des deux grandes théories en matière des relations internationales : la théorie du chaos et celle des catastrophes. Après l’Afghanistan, l’invasion de l’Irak, la gestion de la violence durant quatre longues années est essentiellement gérée selon les bases de la théorie du chaos. Le déclenchement des attaques contre Téhéran sera certainement géré selon les principes de la théorie des catastrophes. Le triangle Afghanistan, Irak, Iran pourrait alors devenir le triangle de la mort.


  • Certes, cette administration américaine dispose entre ses mains d’un pays hyper puissant, ses faucons se montrent  arrogants et agressifs depuis le début du siècle. Cette Amérique ne sait plus comment gérer les conséquences des changements ou des guerres qu’elle a elle-même initiés. Elle perd de plus en plus sa route pour combattre le terrorisme international, sans pour autant mettre fin aux conflits qu’elle a elle même fabriqués.


  • Les questions relatives aux raisons pour lesquelles Washington se trouve impliqué en Irak et en Afghanistan sont largement débattues dans des quantités considérables d’explications et d’analyses depuis les attaques du 11 septembre 2001. L’Amérique, déjà dix ans plus tôt, décide de ne plus subir des conséquences et cherche, depuis 1991, à provoquer un état régional dit de la bouteille tremblante. Dans cet état, et après la chute de l’Union soviétique, Washington vise à mettre en place un ordre nouveau qui pourrait se dégager de l’état du chaos, sans renverser complètement la bouteille. Le terrain trouvé est celui du Moyen-Orient.


  • Ce terrain est prêt, le tout est de trouver, dans un premier temps, le moment de provoquer une situation fortement perturbée et instable par un état de chaos. Durant cette période, la bouteille est secouée très fort sans pour autant se renverser (l’état irakien actuel). Puis, le passage à la deuxième phase qui se traduit par le renversement de la bouteille afin de provoquer la rupture accidentelle (une guerre contre l’Iran). Cette rupture passe par le déclenchement des guerres. La gestion de cet état implique le recours aux principes de la théorie des catastrophes, contrairement au scénario de changements apportés à Belgrade, à Tbilissi, à Kiev et qui se préparent à Minsk.


  • Le triangle Afghanistan, Iran, Irak en tant que triangle particulièrement propice aux secousses n’est pas nouveau. Durant les années 70 et 80, ce triangle tremble déjà. Les Moudjahiddines mènent un combat contre les troupes de l’Union soviétique à partir de 1979. La guerre entre l’Irak et l’Iran commence en 1980. Washington aide Saddam Hussein contre le régime islamique de Téhéran et apporte son soutien logistique aux combattants afghans. Ces scénarios prévoyaient déjà, depuis l’administration Reagan dans laquelle Ronald Rumsfeld se chargeait du dossier afghan et irakien, la gestion d’un état de tension permanent. Saddam Hussein envahit le Koweït en 1990, la suite, on la connaît…


  • La seule variable non calculée à l’époque est celle de la transformation donnant naissance aux Talibans et à Al-Qaïda. Depuis peu, cette vision est considérée comme naïve et des questions se posent sur les raisons pour lesquelles Oussama Ben Laden n’a jamais été trouvé, les raisons pour lesquelles l’armée américaine s’arrête aux portes de Bagdad en 1991, les défaillances dans le système de sécurité américain lors des attaques du 11 septembre en 2001, sans oublier les armes nucléaires de Saddam Hussein qui sont devenues un mythe, etc... Les tenants de la théorie du complot, la fameuse Conspiracy Theory, disent qu’il y a bien une raison et un lien.


  • Depuis longtemps, l’action de Washington est ambiguë. Pour la comprendre, nous trouvons entre autres des démarches explicatives ou analytiques. On trouve aussi la notion de la rationalité qui tente de poser la question de la démarche compréhensive. Une manière qui nous aide à mieux comprendre la vraie nature de l’expérience américaine dans la gestion ou encore dans la provocation du ou des changements. Cette activité dangereuse a des conséquences difficilement calculables et des résultats généralement loin des attentes initiales. Loin de la question relative à la visée et à la finalité des actions américaines, émerge alors la question concernant le début de ces changements.

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  • Le contraste dans les actions
    Comment interpréter le contraste entre l’action de Condi Rice et celles de Dick Cheney ? Rice rencontre son homologue syrien Moalem[1] ainsi que son homologue iranien Mottaki[2], début du mois de mai en Egypte. Ces rencontres témoignent une volonté de dialogue par le State Department. Quelques jours plus tard, on assiste à la visite du vice-président américain aux porte-avions américains stationnés dans le Golfe[3]. Il dit vouloir «empêcher l'Iran d'avoir des armes nucléaires». Des sources hautement placées expliquent que suite à la visite de Dick Cheney dans la région, les probabilités de la guerre sont plus importantes que celles du dialogue. Y a-t-il un nouveau changement dont nous devrions nous attendre ? L’Amérique a t-elle la volonté de pousser le col de la bouteille encore plus loin, passant du stade du chaos annoncé à l’état de la catastrophe régionale ?


  • L’administration américaine semble en apparence hésiter à emprunter le chemin de la guerre contre Téhéran. Toutefois,  suite à la tournée du vice président Dick Cheney dans la région, il est de plus en plus probable que ce chemin va être emprunté. Mais le trio comprenant la Maison Blanche, le State Department et le Congrès montre des défaillances et des dysfonctionnements depuis l’élection des Démocrates lors des élections de mi-mandant fin 2006. Puis, il y a, en apparence, des signes de divergences d’actions entre le Vice-président Dick Cheney et la Secrétaire d’Etat Condolezza Rice. Ils ne partagent pas les mêmes visions sur les choix entre les options envers Téhéran. Mais l’Amérique nous a toujours habitué à avoir des orientations affichées de son  marketing politique, qui contrastent ensuite souvent avec d’autres choix qui se font dans l’ombre et qui se montrent dans l’action. 


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    Washington : à  la recherche du chaos régional
    L’administration Bush considère que les changements dans le Moyen-Orient ne peuvent pas être gérés sur les bases de transitions souples. Elle renonce à son orientation d’un Grand Moyen-Orient avant de parler d’un nouveau Moyen-Orient. Cette orientation est à son tour abandonnée. Les changements selon les néo-conservateurs américains se font essentiellement à la suite d’un état de chaos.


  • Le regard en rétro montre que Washington opère pour apporter des changements dans le Moyen-Orient après avoir subi directement les conséquences de l’évolution des événements depuis la fin de l’influence des anciennes puissances coloniales dans cette région. Ce repère se situe autour des années 50. L’Amérique subit alors, sans pouvoir intervenir, le déclenchement du conflit de 1956, par la France et la Grande-Bretagne qui s’associent à Israël pour attaquer l’Egypte suite à la nationalisation du canal de Suez. La crise de Suez coïncide avec l’implication de l’Union soviétique en Hongrie.


  • Lors de la crise de Suez, Washington subit la pression soviétique suite aux menaces nucléaires de la part de Moscou de brûler Londres et Paris. L’administration Eisenhower demande aux Israéliens de se retirer immédiatement et sans condition du Sinaï. En 1962, L’administration Kennedy vit la crise des missiles de Cuba qui marque un tournant dans les rapports entre Moscou et Washington. Puis en 1973, le président égyptien Sadate déclenche une guerre inattendue contre Israël. Cette guerre ouvre les portes à la volonté américaine d’influencer les changements. Dès 1978, l’Amérique œuvre pour les accords de paix qui sont signés lors de l’administration Carter en 1979. Mais cette année est l’année du retour de Khomeiny en Iran, et l’Amérique connaît la prise d’otages dans l’ambassade américaine à Téhéran.


  • Depuis le début des années 80 du siècle dernier, l’Amérique suit une politique de la bouteille. En poussant de temps à autre son col sans la renverser, Washington provoque des Small Chaos, plus ou moins maîtrisés afin d’apporter des changements selon des scénarios dessinés à l’avance, dont seul Washington voit sa finalité et les moyens de sa réalisation. La linéarité de Washington se met donc en place et des multiples plans sont initiés. Il y a tout d’abord le plan Bush des années 90, visant à établir un  Nouvel Ordre mondial. Dans cette phase, Washington aide Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran, qui a coûté la vie à un million d’hommes et de femmes (1981-1988). Plusieurs documents montrent que Washington a encouragé Saddam à déclencher ce conflit. Le 20 décembre 1983, c’est Rumsfeld, en tant qu’envoyé spécial du président Reagan, qui rencontre Saddam et lui apporte le soutien américain. Washington est par la suite informé de l’usage des armes chimiques par Saddam mais reste sans réaction[4].


 
Changements Made in USA

L’Amérique avait tout à gagner à la suite d’une attaque de Saddam Hussein contre la très menaçante révolution islamique de l’ayatollah Khomeiny de retour à Téhéran en 1979. Un document gouvernemental américain top secret, daté de 1984, révèle : « Le président Carter a fait passer à Saddam Hussein un feu vert pour déclencher la guerre contre l’Iran[5] ».  En 1986 le chef de la CIA William Casey, apporte le soutien de son agence aux groupes du djihad afghan[6] au Pakistan.  En 1990, huit jours avant l’invasion du Koweït, Saddam Hussein convoque Mme April Glaspie, l’ambassadrice américaine à Bagdad. Mme Glaspie lui explique que les Etats-Unis ne prendraient « aucune position sur un conflit de frontières entre l’Irak et le Koweït[7] ». La première guerre contre l’Irak a lieu en 1991. A cette période, Washington continue à apporter son aide logistique aux combattants afghans. Washington qui secoue la bouteille mondiale, arrive à la chute de l’Union soviétique en 1991. Les moudjahiddines, qui mènent les combats contre les troupes soviétiques[8], s’emparent de Kaboul en 1992. Mais Washington n’avait pas prévu que la bouteille qui tombe cacherait Oussama Ben Laden. C’est durant l’été 1988, lors des attaques au Kenya et en Tanzanie, que Washington est touché pour la première fois par les conséquences de l’orientation made in USA. Al-Qaïda se montre cinq ans plus tard. Le 26 février 1993, à midi, une voiture piégée explose dans le sous-sol du World Trade Center, à New York En 2001, l’attentat contre les tours jumelles du World Trade Center provoque un choc planétaire. La suite, on la connaît : la guerre contre le terrorisme est déclenchée par George W. Bush. D’abord en Afghanistan en 2001, puis en Irak en 2003. Depuis, les choses ne sont pas rentrées dans l’ordre et l’Amérique ne sait pas mener une politique cohérente dans le Moyen-Orient.


  • Le système international ainsi que la région se trouvent dans un état de repos et ne subissent pas de changement : c’est ce qu’on appelle l’état stable préféré. Malgré la précarité, cette bouteille se trouve dans un état relativement stable, ne changeant pas : c’est l’état d’équilibre stable. Or, les Etats-Unis poussent lentement, mais pas trop loin, le col de la bouteille en 1991. Soumis aux pressions des forces de changement, le système essaie par la suite de réagir pour absorber les contraintes et regagner son état stable préféré. Ces pressions sont si fortes et n’ont pas pu être absorbées ni par la Russie, ni par l’Europe et encore moins par des pays de la région. La catastrophe peut alors se produire.
     
    En 2000, un nouvel état stable ou gamme d’états préférés est rétabli. Aucune possibilité de retourner à son vieil état stable mais les perturbations ont commencé. Alors qu’il se trouve dans un état d’équilibre instable, le système absorbe les changements de façon continue. La bouteille retourne peu à peu à sa position initiale. Pour arriver à la deuxième phase (la bouteille tombe), les Etats-Unis essayent de pousser le col de la bouteille le plus loin possible afin de la renverser (c’est le cas envers Saddam Hussein) : provoquer l’état de catastrophe. L’Équilibre instable commence par l’invasion de l’Irak en 2003. La suite on la connaît. 

    Bush : Moyen-Orient, entre le chaos et la catastrophe (2ème partie)


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Mohamed Abdel Azim*
Lyon (France)


*Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.



[1] Gareth Stansfield, "Accepting Realities in Iraq - new briefing paper", Chatham House Papers, 17 mai 2007

2] “ Condoleezza Rice discute avec son homologue syrien”, L’Express, 3 mai 2007.

[3] “  Ouverture en Egypte d'une conférence internationale sur l'Irak réunissant Téhéran et Washington”, Le Monde, 3 mai, 2007.
[4] “  Dick Cheney hausse le ton face à Téhéran”, Libération, 12 mai 2007.

[5] "Iraq Use of Chemical Weapons",  Department of State, Bureau of Politico-Military Affairs Information  Memorandum from Jonathan T. Howe to George P. Shultz. November 1, 1983. Source : National Security Archive, Declassified under the Freedom of Information Act. Voir aussi : Shaking Hands with Saddam Hussein : The U.S. Tilts toward Iraq, 1980-1984, National Security Archive Electronic Briefing Book No. 82, Edited by Joyce Battle, February 25, 2003.

[6] “ Quand les Etats-Unis et la France s’alliaient à la dictature, Notre ami Saddam », Le Monde diplomatique, novembre 2004.[7] Steve Galster,  Afghanistan: Lessons from the Last War,  Afghanistan: The Making of U.S policy, 1973-1990, octobre 2001.

[9] “ Michel Despratx et Barry Lando,  Le Monde diplomatique, novembre 2004.

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