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L’Europe et le monde arabe : où est la démocratie ? PDF Print E-mail
Written by Mohamed Abdel Azim   
Wednesday, 31 January 2007

 

ImageDans la première partie de cette analyse "Le monde arabe est une chance pour l’Europe"  (NM - 29.01.07) Mohamed Abdel Azim concluait que l'Europe bénéficiait aujourd'hui de la chance unique de  pouvoir aider le monde arabe à vivre la renaissance d’une culture politique pluraliste. Car, il serait temps, comme le souligne l'auteur dans cette deuxième partie, que l'Europe se préoccupe non seulement d'envoyer des fonds, mais aussi de l'aspect démocratique pour sortir le monde arabe de son isolement intellectuel, de l’exclusion sociale et de la pauvreté économique. Un choix historique pour faire barrage à l’intégrisme, au fanatisme et à l’extrémisme qui y trouvent leurs racines.


ImageL’Europe se trouve face à une nécessité historique en s’impliquant davantage dans le Moyen-Orient. Un rôle politique de l’Europe s’impose et le monde arabe a besoin de ses voisins européens afin de se restructurer politiquement, ce qui pourrait donner lieu à une coopération durable et mutuelle. La peur pourrait alors se  dissiper.

La restructuration politique longuement ignorée donnerait  lieu à des bases et  à des nouvelles orientations sociales et politiques, aboutirait à stabiliser le socle historique arabe, actuellement morcelé voire perturbé. L’homogénéisation politique de son ensemble serait un facteur stabilisateur pour toute la région du Moyen-Orient.

Un modèle politique, qui peut voir le jour dans l’un des pays arabes, reste à inventer car les éléments nécessaires à ce modèle par exemple, le pluralisme politique, la liberté de la presse ou encore les respects des droits de l’homme, sont, entre autres, des éléments encore manquants. Ils sont évidemment à la base de tout modèle politique durable. Le monde arabe détient pourtant des bases communes : linguistique, historiques et sociales. La continuité géographique facilite la fluidité sociale, économique et politique. Avec sa diversité, l’Europe s’est réunie. Elle donne ainsi le modèle à ses voisins arabes.

Le terrain d’une pratique réellement démocratique dans le monde arabe existe. Mais les sociétés arabes n’ont toujours pas pu pratiquer une expérience réellement démocratique. On peut déceler deux raisons majeures pour lesquelles le monde arabe se trouve dans son état actuel : des raisons relavant de la pratique politique et des raisons d’ordre social.

1/ Politiquement, le monde arabe, dans son ensemble, n’a, jusqu’à présent, pas eu l’occasion de vivre une expérience de la pratique démocratique issue d’un pluralisme politique tel qu’on le connaît en Occident. Ce que nous voyons, c’est la forme de la pratique démocratique qui ne contient pas le principe du pluralisme politique. Par exemple, la pratique du vote consiste essentiellement à dire oui ou non à un seul candidat. Détenant tous les pouvoirs et les appareils de l’Etat, ce candidat est toujours élu avec plus de 90% du suffrage. Le manque de pluralisme aboutit donc à une désorientation et à une confusion dans l’exercice du rôle politique au sein des structures étatiques du monde arabe.

2/ Socialement, ce même monde arabe, qui n’a pas eu l’occasion de mettre en cause les décisions de ses dirigeants,  n’a pas eu l’habitude de débattre les questions de son existence sociale. Cela  aboutit à une absence du rôle des institutions étatiques cédant ainsi la place au seul pouvoir religieux. Accepté comme une référence qui ne peut être mis en cause, ce pouvoir impose un climat de soumission de la part de toute la société. La confusion entre ce qui est de l’ordre de la pratique sociale et ce qui est de l’ordre de la croyance religieuse donne lieu à une zone de non clarté généralisée dans les choix des orientations sociales importantes. La société s’est alors trouvée déstructurée. Elle s’est  organisée sur des bases floues dans un espace public de désordre. Cet espace public confusionnel s’est construit sur des bases de non droit qui prime sur les droits. Alors que la forme semble être convenable à tous, l’état de droit cède la place à des Etats policiers source de conflictualité continuelle sur le plan de la pratique politique et de l’organisation de la vie sociale du monde arabe.

C’est en raison notamment d’une longue histoire de colonisation, qu’au Caire à Damas ou à Bagdad, la pensée politique arabe a été ramenée à son plus bas niveau. Ce monde détient pourtant un potentiel intellectuel historiquement prouvé. La société arabe d’avant la colonisation connaît une richesse considérable sur le plan du droit social, culturel et scientifique. La colonisation marque la rupture avec ce passé et provoque la privation d’une pratique de libre pensée politique dans les pays arabes. Depuis la fin de la colonisation durant les années 50 et 60 du siècle dernier, cette libre pensée politique est toujours inexistante. Elle est à la racine de l’absence d’une expression politique ou sociale authentique ou encore la production d’un modèle politique arabe.

Une évolution vers un modèle issue de la pratique démocratique n’a pas eu lieu. Depuis des décennies, l’évolution politique du monde arabe ne s’est pas faite dans une zone socialement stable permettant un débat politique libre comme facteur majeur et nécessaire pour la naissance d’un modèle politique ou démocratique arabe. Au contraire, son évolution s’est faite dans des zones de turbulences guerrières et des bouleversements sociaux majeurs à répétition. Ces sociétés vivent sous des régimes totalitaires qui détiennent un pouvoir absolu et qui font recours à des pratiques massives d’oppressions de toute sorte. Une société, qui se trouve dans des telles conditions sociales et politiques, en plus de la  pauvreté économique critique et un manque intellectuel et éducatif drastique, est alors affaiblie.

Les pratiques démocratiques étant absentes, la société perd confiance dans ses ressources et dans son avenir. Le constat montre qu’au lieu de refuser ces régimes répressifs, au contraire la société arabe choisit l’isolement intellectuel et la passivité. Cette fuite empêche l’apparition des forces productrices d’idées politiques et d’innovations sociales. Elle pousse aussi à l’apparition d’un durcissement de ton envers la société elle-même et envers les anciens colonisateurs considérés par ces sociétés comme source de son mal être.

D’un autre côté, l’absence de soutien des pays industriels et la volonté de l’Occident de maintenir une stabilité économique font, à leur tour, barrage à l’émergence des mouvements démocratiques un peu partout dans les pays arabes. Se forme alors les tendances accusatrices du complot occidental ou encore de trahison envers ceux qui souhaitent sortir de ce système. Nous nous trouvons dans un état de peur de l’avenir. La pratique prolongée d’oppression donne naissance à un état de paranoïa politique généralisée et l’introduction de la notion d’assurance “sociétale”demandera du temps.

Surgit alors le constat d’une absence d’exigences démocratiques. Le terrain s’apprête donc à un clivage social entre une richesse économique d’une classe de minorité et un appauvrissement drastique de la grande majorité des populations arabes. Cette réalité bancale, qui représente une apparence de stabilité en Occident, aboutit à la naissance de l’intégrisme à partir des années 80.

Du nouvel ordre mondial évoqué par Bush père durant les années 90, au nouveau Moyen-Orient en passant par le Grand Moyen-Orient de Bush junior, l’Amérique oscille et hésite, en ce début de millénaire, à s’impliquer dans une orientation claire pour sortir la région d’un chaos généralisé. L’Amérique,  traumatisée par les attaques du 11 septembre, ne montre pas une volonté de jouer un rôle aboutissant à des solutions d’apaisement. Au contraire, cette Amérique semble ignorer les vraies raisons de la situation actuelle et montre déterminée à apporter de plus en plus d’orages et non pas le beau temps.

La conception future du rapport entre l’Europe et le monde arabe s’impose plus que jamais. Une démarche immédiate est à trouver car c’est l’Europe est la première concernée par l’état de chaos qui se dessine et vers lequel nous nous dirigeons. Le monde arabe actuel présente des symptômes de dérives et le remède n’est pas dans l’injection d’aides économiques comme c’est le cas jusqu’à présent.

L’Europe,  depuis des décennies, ne cesse d’envoyer des fonds sans se soucier de l’aspect démocratique dans ces pays. La corruption dans le monde arabe est forte et empêche toute distribution équitable ou correcte de ces fonds. L’Europe doit opter pour un choix historique. Celui d’œuvrer pour une aide urgente, non pas économique, mais plutôt dans le secteur de l’éducation et dans l’introduction d’une pratique démocratique au sein du monde arabe. C’est une nécessité. On pourra alors faire barrage à l’intégrisme, au fanatisme et à l’extrémisme qui trouvent leurs racines dans l’isolement intellectuel, l’exclusion sociale et la pauvreté économique.  Il est peut-être un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais.

Mohamed Abdel Azim*
Lyon (France)


→ 1ère Partie:  
Le monde arabe est une chance pour l’Europe, de Mohamed Abdel Azim (NM - 29.01.07)


*Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.

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