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L’Europe absente au Soudan, la Chine arrive PDF Print E-mail
Written by Mohamed Abdel Azim   
Monday, 12 February 2007

 

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Le président chinois Hu Jintao vient d’effectuer une visite de deux jours au Soudan. Axée sur les liens économiques bilatéraux et le conflit sanglant au Darfour, cette visite est la première étape  de sa tournée en Afrique. La Chine pourrait réussir là où Européens et Américains, après des longs mois de pressions, ont échoué.


ImageDans ce cas, Pékin pourra alors renforcer durablement sa place en Afrique. La Chine mène  ces dernières années une grande offensive diplomatique et économique en Afrique. Son président sera le premier à pouvoir mettre fin au conflit sanglant au Darfour. 

Un nouveau rapport entre Washington et Pékin est en train de se mettre en place. La Chine arrive suite à un échec de la politique européenne et américaine à trouver une solution à la crise de Darfour. Washington laisse la place vacante à la Chine. Cette dernière opère déjà sur le terrain économique en Afrique. Pékin, qui a déjà conquis ce terrain dans de nombreux pays du continent, émerge avec un nouveau rôle politique, remédiant ainsi aux carences de l’Europe pour trouver une issue à cette guerre oubliée. Avec cette tournée, la Chine accélère sa vitesse de croisière dans l’expansion de son influence.

Lors de sa tournée marathon de 12 jours, en plus du Soudan,  Hu Jintao s’est rendu dans sept autres pays africains (le Liberia, le Cameroun, la Zambie, la Namibie, l'Afrique du Sud, le Mozambique et les Seychelles). Cette tournée survient après le sommet sino-africain de Pékin en novembre 2006, qui a réuni 48 nations africaines et 41 chefs d'Etat ou de gouvernement. La Chine a ses intérêts économiques au Soudan, mais elle a aussi établi des relations diplomatiques avec des voisins comme le Tchad et investi dans son secteur pétrolier. La stabilité au Soudan est donc son intérêt.

On assistera alors à l’inauguration d’une nouvelle ère avec une approche de Crisis Resolution à la chinoise. Cette quatrième puissance économique mondiale, qui semble de plus en plus préoccupée par son image, paraît chercher à s'affirmer sur la scène diplomatique internationale en passant pas les points chauds en Afrique. Pékin use de son influence économique et prend l’initiative pour contenir la violence au Darfour due aux combats entre rebelles et forces gouvernementales. Ces combats auraient fait depuis février 2003, environ 200.000 morts et 2 millions de déplacés selon l'ONU.

L'émissaire du président américain George W. Bush pour le Darfour, Andrew Natsios, avait indiqué en janvier que Washington et Pékin avaient décidé de coopérer pour obtenir une paix négociée. La traduction de cette décision montre que Washington ne peut pas assurer, à lui seul, la gestion de cette crise et ne peut (ou ne veut) pas compter sur l’Europe.

La position de Washington et sa crédibilité sont largement entamées depuis l’invasion de l’Irak et la gestion bancale de la guerre qui a opposé Israël au Hezbollah l’été 2006. L’Amérique, déjà mal appréciée par Khartoum depuis plusieurs années, est de plus en plus contestée à la suite des récentes attaques américaines contre les milices islamistes en Somalie, pays à majorité musulmane.

Khartoum s'était dit surpris par la volonté américaine de pousser la Chine, au lieu de l’écarter. La Chine sera donc le premier acteur économique étranger au Soudan, à intervenir dans les efforts de paix au Darfour. On assiste à un repositionnement de la Chine par rapport aux Etats-Unis. La Chine a vu la machine de guerre se mettre en marche contre l’Irak en 2003. Pékin renforce alors durant deux années sa présence en Afrique et notamment au Soudan pour utiliser ses ressources pétrolières.

La Chine opère avec méthode et son influence s’est peu à peu étendue en Afrique depuis le début du millénaire. En 2001, Pékin voit que Washington se trouve à ses portes en Afghanistan. Dès 2002, la Chine pressent que l’Amérique est sur le point d’entrer en guerre en Irak et  prévoit le bourbier irakien. Pékin accélère, comme jamais auparavant, son influence économique dans le continent africain et notamment dans le secteur pétrolier.

Trois ans après le début de la guerre, l’Amérique reste en difficulté. Washington voit l’ampleur de la montée en puissance de la Chine et se précipite pour nouer des relations de coopération nucléaire avec l’Inde en 2005 (un pays non signataire du traité de la non prolifération nucléaire).

Lorsque la Corée du Nord effectue son premier essai nucléaire en octobre 2006, Washington découvre, l’opposition de la Chine au projet de sanctions contre Pyongyang, et le fait que Pékin peut menacer l’Amérique sur la terre africaine. Les sanctions contre la Corée du Nord sont alors révisées à la baisse et l’ONU ne peut obtenir que des sanctions à la carte avec la résolution 1718. Ce même scénario se répète lors de longs mois de tractations, entre Européens et Américains d’un côté, Russes et Chinois de l’autre,  en vue de l’adoption de la résolution 1737, contre l’Iran. Cette résolution, à la carte, impose des sanctions limitées à l'Iran qui refuse toujours de suspendre son enrichissement d'uranium.

Cette offensive chinoise en Afrique, intervient alors que trois semaines avant cette visite,  des agences de renseignement américaines, parmi lesquelles la CIA et la NSA, confirment qu’un essai de missile anti-satellite a bien été effectué par la Chine le 11 janvier, écrit l'hebdomadaire Aviation Week, dans son numéro du 17 janvier. Les Chinois ont alors détruit un vieux satellite météo chinois avec une charge lancée par un missile balistique, un événement majeur qui met un coup d’arrêt sur la suprématie américaine dans l’espace.

Face au constat d’échec de la part des Européens et des Américains, le nouveau secrétaire des Nations unies Ban Ki Moon exhorte à la "patience" dans le règlement de la crise au Darfour". La communauté internationale, qui assiste impuissante à ce génocide, n’a pas pu convaincre le président Béchir d'accepter une mission de l'ONU ou au moins une force hybride ONU-Union africaine, pour remplacer ou renforcer la mission africaine déployée au Darfour, mal équipée et sous-financée. La Chine, elle,  va pouvoir le faire.

En langage politique, cela signifie qu’à la recherche d’un acteur, l’ONU ne trouve que la Chine qui peut prendre en charge les efforts de paix pour le Darfour. Pékin est de loin le premier acteur économique étranger au Soudan qui pourrait réussir là où l’Europe aurait pu jouer un rôle.

La Chine absorbe 60% de la production pétrolière totale du Soudan et a, à maintes reprises, utilisé son droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU pour bloquer des sanctions supplémentaires contre le régime du général Béchir. Les échanges entre la Chine et le Soudan ont atteint 2,9 milliards de dollars au cours des 11 premiers mois de 2006. La coopération bilatérale touche les secteurs de la construction, l'agriculture, l'éducation et la santé avec, à la clé, une aide  financière sans conditions.

La Chine peut-elle alors parler avec les Soudanais de la démocratie, des droits de l’homme ou de la liberté de la presse sachant que la Chine est elle-même critiquée sur le plan international à ce propos. Au même moment de la visite du chef d’Etat chinois, un journal soudanais est suspendu. La parution du quotidien indépendant soudanais Al-Sudani, qui avait bravé une interdiction officielle de publier des informations au sujet de l'enquête sur le meurtre d'un journaliste, a été suspendue indéfiniment par les autorités.

L’Europe ne peut que déplorer, à l’image de la France, la "généralisation des violences et du banditisme" à l'encontre des ONG au Darfour. C’est ce que déclare le ministère des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy. Ces déclarations interviennent au lendemain de l'annonce par Médecins du Monde-France de la suspension de ses activités dans cette région du Soudan.

Les travailleurs humanitaires doivent aujourd'hui faire face à une  violence jamais atteinte dans le Darfour, qui a conduit à réduire au minimum les opérations d'aide aux populations. Parmi ces organisations, figurent Médecins sans frontières, Action contre la Faim, CARE International, Oxfam International, Norwegian Refugee Council, World Vision et Save the Children.

Les Chinois renforcent de plus en plus leur position sur la scène internationale. Ce sera la première fois que Pékin joue un rôle politique majeur en Afrique et dans un pays qui a des liens historique avec l’Europe. La Chine qui se dit prête à utiliser ses relations solides avec Khartoum pour tenter de mettre fin aux conflits qui ravagent le pays, ôte la parole non seulement à Washington mais à l’Europe qui n’ont rien  vu venir.

C’est peut être un autre rendez-vous avec l’histoire que l’Europe a encore manqué. Elle n’est pas parvenue à  user de son rapport historique et de proximité avec le Soudan. Le Monstre venu de loin remplira la mission impossible de contenir la violence au Darfour. Dans ces conditions, l’absente Europe, et la puissante Amérique  peuvent avoir la peur bleue du monstre jaune.

Mohamed Abdel Azim
Lyon (France)



*Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.

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