Bush : le Moyen-Orient entre chaos et catastrophe (2ème partie)
En Irak, où plusieurs guerres civiles parallèles font rage, Il y a un risque d'effondrement et d'éclatement, écrit le centre de recherches britannique en relations internationales Chatham House dans un rapport publié le 17 mai 2007. "Il n'y a pas une guerre civile, ou une insurrection mais plusieurs guerres civiles et insurrections entre différentes communautés dans l'Irak d'aujourd'hui", note le rapport rédigé par Gareth Stansfield[1]. On peut considérer que "l'Irak est sur le point de devenir un Etat en déroute avec un risque conséquent d'effondrement et d'éclatement" en plusieurs entités distinctes, note le Chatham House. L’équilibre dans le déséquilibre Le chaos est synonyme de désordre,
de confusion et s’oppose à l’ordre et à la méthode. Contrairement
à ce que la pensée déterministe, paradigme dominant actuellement, martèle
depuis des lustres, il se pourrait qu’il y ait de l’équilibre dans le
déséquilibre, de l'organisation dans la désorganisation. Pour monter ce
à quoi fait référence la théorie de Bush du chaos, un petit détour
historique décrit quels étaient les signes en lien avec cette théorie.
Le non-équilibre pouvait jouer un rôle organisateur. Ce
point de bifurcation, le changement de cap, peut être provoqué par une
succession d’événements. Ceux-ci, en atteignant un point critique,
font prendre des proportions gigantesques à une petite perturbation et
rendent impossible toute prédiction quant à l'évolution du système. Un regard approfondi montre que les actions américaines sont plus
proches de la fameuse théorie du chaos et de ses incertitudes. Le
mérite de l'incertitude actuelle contre Téhéran et vis-à-vis de la
question irakienne est de nous remettre, si nous voulons l'accepter, en
situation grave. Bien que le vieux paradigme nous conduise à préférer
l'ordre et la logique, il a le défaut de laisser le champs libre
devant le désordre apparent du contexte actuel
d’anarchie régionale. La théorie du chaos nous enseigne qu'il est possible, à travers
le désordre apparent, d'extraire les signes qui nous permettront de
redessiner un nouvel ordre mondial ou régional[2].
Washington suppose que toute perturbation apportée peut être maîtrisée
car, selon Washington, ces changements ne sont que passagers. C'est la
pensée qui a prévalu jusque dans les années 90 et encore aujourd'hui,
à voir la façon dont les administrations abordent la question de la
conflictualité dans le Moyen-Orient. Washington,
l’Irak et l’Iran, entre bille et bouteille Avec l’invasion de l’Irak, Washington compte placer une bille au
fonds d'un puits et tente d’exercer une poussée pour la faire remonter,
pensant que la bille retombera dès que la poussée cessera ( selon la
conception de la situation d'équilibre stable)[3].
En réalité, la bille irakienne était en état d’équilibre sur
une pyramide dont la pointe est juste assez large pour la contenir, toute
poussée sur la bille a pour effet de provoquer un changement irréversible
de cet équilibre précaire. Appliqué à l'Iran, cet exemple montre combien nous serions
constamment en déséquilibre instable, si l’Iran était dans un état
de conflit avec Washington. Les événements qui peuvent se produire
affecteront la région et auront des effets néfastes ne permettront
jamais de revenir à l’état initial. La théorie du chaos montre
que l'excès d'ordre conduit au désordre, donc à un état de déséquilibre.
Washington se doit donc de revoir son scénario et son nouveau projet
visant le point d'équilibre, en présupposant qu'il s'agira maintenant
d'un équilibre instable qui mènera à l’état d’équilibre
stabilisateur. Changer l’axe pour arriver à l’équilibre L’Amérique pense pouvoir prendre les moyens d'assurer l’équilibre instable par le biais d'une reconfiguration moins rigide, moins hiérarchisée et par une modélisation qui s'apparente davantage à ce que Washington appelle le réseau démocratique, par opposition au Grand ou au Nouveau Moyen-Orient. Dans le Moyen-Orient, ce type de modélisation, sera basé sur la faille Chiite/sunnite. Il y aura d’un côté l’Iran et de l’autre côté, l’Arabie Saoudite Ce pôle d’équilibre instable entre l’Arabie et l’Iran, permet ainsi à une entreprise de mieux maîtriser la région et de mieux réagir aux changements qui peuvent arriver ou s’imposer du côté de la Chine ou de la Russie. Déstabiliser Téhéran porterait un coup dure à l’économie chinoise et russe. D’autre part, l’Iran a une position majeure dans le nouvel axe que Washington entend mettre en place : l’axe allant de l’Inde à la Pologne en passant par l’Irak. L’axe du Grand Moyen-Orient, basé sur une ligne horizontale du
Maroc au Pakistan, vient donc d’être abandonné par Washington. Bush
entend apporter des modifications sur cette
ligne et la déplacer verticalement. Le pivotement s’achemine
donc vers une orientation verticale. Cet axe part de l’Inde, passe par
le Pakistan, l’Iran, l’Irak, etc, et va jusqu’à la république Tchèque
et la Pologne. L’installation du bouclier américain, des radars d’Advanced
Woarning, et des missiles anti missiles est le signe parfait du début
d’un scénario avec une finalité non visible à l’heure actuelle. La
Russie voit peut-être la visée. C’est ce qui explique la divergence
profonde entre Moscou et Washington depuis la conférence de Munich sur la
sécurité globale en février 2007. Le 15 mai 2007,
la visite de la secrétaire d'État américaine, condoleezza Rice, se déroule
dans un climat de tension et de méfiance entre la Russie et l'Amérique
le plus haut depuis 1989[4]. En apprivoisant la gestion du chaos de la situation actuelle en Irak et la violence accrue, Washington, qui ne craignent pas l'incertitude, en vient à l'inclure dans son processus de planification en y intégrant un éventail plus grand de situations probables. Le vice-président américain Dick Cheney rencontre, le13 mai, au Caire le président égyptien Hosni Moubarak. Dans le cadre d'une tournée régionale consacrée au soutien à l'Irak et au rôle de l'Iran au Moyen-Orient, sa porte-parole, Lea Anne McBride fait part de la "volonté (américaine) d'avoir une discussion limitée sur les questions de l'Irak, au niveau des ambassadeurs” avec l'Iran[5]. "Ces discussions ne porteront pas sur les Etats-Unis et l'Iran mais sur l'Irak", (…). "Ce sera à propos de l'Iran et de son rôle politique constructif en Irak", explique le porte-parole du Conseil national de sécurité de la Maison Blanche, Gordon Johndroe. Ce dernier précise que ces discussions sur la sécurité en Irak auront lieu et seront conduites au niveau des ambassadeurs. L’Amérique pense donc gagner en favorisant des processus continuels d'adaptation qui lui permettent de contrôler au minimum la façon avec laquelle les changement par le chaos sont entraînées dans la mouvance et l'incertitude. Washington semble déterminé à pousser le col de la bouteille du Moyen-Orient le plus loin possible. En renversant la bouteille, un état de chaos global doit, selon la conception des néoconcervateurs américains, donner lieu à une meilleure visibilité dans la gestion de la région dans les décennies à venir. Les différentes couleurs du changement maîtrisé A la fin des années 90,
un mouvement sans dirigeants, sans programme politique et non-violent, la
génération des 20 ans a réveillé la société serbe de sa léthargie.
Entraînés et appuyés par la CIA[6], leurs seules armes sont
les bombes de peinture et le bouche-à-oreille. Le régime n’y a pas
survécu et les jeunes d’Otpor
« Résistance », emportent
Milosevic, écrit
Christophe Chiclet[7].
L’activité de ce mouvement de jeunes d’Otpor,
est financée par Freedom House[8],
une ONG américaine dirigée par l’ancien patron de la CIA, M. James
Woolsey[9],
opèrent en Yougoslavie depuis 1999. Il part de
la ville serbe Nis, un lieu symbolique pour le président Slobodan
Milsevic. Après avoir destitué Milosevic, ces jeunes préparent
le terrain à la chute de Chevardnadze. Trois jeunes Serbes ont monté la
première entreprise spécialisée dans l’organisation de révolutions
pacifiques comme en Géorgie, Ukraine ou la Biélorussie, écrit le
Courrier International[10]. Pour Washington, le scénario de la
transition à la géorgienne ou encore à l’ukrainienne aura encore plus
de difficultés que le scénario à la biélorussienne. L’arrivée du
pro américain Saakachvili[11]
au pouvoir passe par une marche nocturne symbolique aboutissant à la
prise du parlement et au départ
précipité du président Edouard Chevardnadze en avion, de Tbilissi vers
Moscou en novembre 2003[12].
On donne alors à cette transition le nom d’une révolution avec la
couleur de velours. Un an plus tard, le voisin ukrainien, Iouchtchenko déclenche
une série de manifestations, de grèves de travail et de grèves
d'occupation qui ont eu lieu suite à l'élection présidentielle fin
2004. On associe alors la couleur orange à ces
événements qui donnent lieu à une révolution orange[13].
Entre velours, orange et sang Les néoconservateurs n’ont pas opté pour les mêmes scénarios dans des régions dont le Think Tank américain souhaite apporter des changements. En Géorgie, on choisit la couleur de velours, en Ukraine celle d’orange, dans le Moyen-Orient c’est la couleur du sang qui est retenue. Le seul inconvénient de cette orientation de l’administration Bush est qu’il ne tient pas compte des leçons de l’histoire régionale et des conséquences des ruptures accidentelles par les guerres. L’état de catastrophe recherché après avoir épuisé tous les scénarios du chaos régional aura pour effet la généralisation du scénario irakien un peu partout dans la région. Deux scénarios sortiront de l’état du chaos régional par les secousses actuelles et accélérées apportés au col de la bouteille, qui reste malgré tout débout sans se renverser. Le premier est l’embrasement de la région par une violence extrême qui se généralise entre les pays par l’affrontement des deux camps chiites/sunnites impliquant l’Iran contre l’Arabie Saoudite en première ligne. Le deuxième est l’attaque américaine ou israélienne des installations nucléaires iraniennes. L’un comme l’autre, provoqué ou non par Washington, renversera définitivement la bouteille. L’état de catastrophe accidentelle aura lieu. Seuls les enchaînement des événements par le jeu d’interaction improvisée pourrait dire ce qui donnerait un tel scénario. La rationalité pure impose à ne surtout pas tenter l’aventure, ni pour le premier ni pour le deuxième scénario. Sinon, tout en restant rationnel, Bush tentera de provoquer le changement par la voie brutale : celle de laisser l’affrontement confessionnel ou d élargir le front catastrophique par une attaque aérienne contre les installations nucléaires iraniennes. Reste donc la voie d’une issue de sortie pour surmonter le dilemme irakien et iranien. Avec le dialogue préconisé par le rapport
Baker-Hamilton, amorcé par Washington envers Damas et Téhéran, les
rencontres de la Secrétaire d’Etat Condi Rice et ses homologues syriens
et iraniens, les rencontres des ambassadeurs américains et iraniens dans
un proche avenir, Washington est peut-être dans une phase de changement
de cap afin d’opérer autrement que par les guerres. Les conséquences
des deux scénarios, à la fois sur le plan régional et mondial, imposent
à l’administration Bush de réévaluer les actions et de privilégier
la diplomatie au lieu de continuer la
politique par d’autres moyens en suivant la conception basée sur la
dialectique clausewitzienne. Il est peut être un peu tard mais mieux vaut
tard que jamais. Sinon la voie sera ouverte devant l’un de deux scénarios ;
le premier sera géré dans des condition de chaos le deuxième
dans des conditions de catastrophe. [1]
Gareth Stansfield, "Accepting Realities in Iraq - new briefing paper",
Chatham House Papers, 17 mai 2007. [2] François Brune, De l'idéologie, aujourd'hui : Analyses, parfois désobligeantes, Paris, Parangon, 2004. [3] Michel Forsé, L'ordre improbable, Paris, P.U.F, 1989. [4] Fabrice Nodé-Langlois, Rice à Moscou pour prévenir une nouvelle guerre froide, Le Figaro, 15 mai 2007. [5] “ Les Etats-Unis se disent prêts à discuter avec l'Iran sur l'Irak ”, Le Monde, 13 mai 2007. [6]
“CIA
is tutoring Serbian group, Otpor”, The Monitor, 9 août 2000.
Voir à ce propos, Exporteure
des sanften Umsturzes,
Otpor - oder wie wird man Revolutionär ?, Tagesschau, 17 mars 2006. [7] Christophe Chiclet, les jeunes d’Otpor emportent Milosevic, Le Courrier de l’Unesco, mars 2001. [8]
“Serbia and Montenegro (2004), Country Report”,
The Freedom House, 2004 Edition. [9] Régis Genté et Laurent Rouy, “ Dans l’ombre des « révolutions spontanées”, Le Monde diplomatique, janvier 2005. [10] Besoin d’une révolution ? Contactez Otpor !, Courrier Internationale, n° 727 - 7 octobre 2004. [11] Mikhaïl Saakachvili, actuel président géorgien, ancien ministre de la justice, en 2004, il a 36 ans,.avocat à New York il rentre en Géorgie en 1995. [12] Vicken Cheterian, “Le Caucase malade de ses conflits nationaux et régionaux”, Le Monde diplomatique, décembre 1998. [13] Sylvaine Pasquier, “ Ukraine, La «révolution orange», et après ? », L'Express, 20 décembre 2004. |