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Bush
et Ahmadinejad naviguent-ils à l’estime ? |
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Written
by Mohamed Abdel Azim |
Friday,
28 September 2007
Newropeans
Magazine
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Le
président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, affirme "officiellement",
le 25 septembre 2007, que "la question nucléaire
de l'Iran est close" et relève désormais "des
affaires ordinaires" de l'AIEA[1].
Loin de la question de la portée de cette phrase, il y a
la question du comment peut-on la lire ? Peut-on dire
que l’Iran navigue à l’estime dans la gestion du
dossier nucléaire ? La réponse est certainement non.
D’après les explications de Raiffa Howard[2],
la question de ce que peut faire un adversaire peut être
résolue suite à des calculs et à des estimations sur ce
qu’un acteur unitaire, rationnel et génial ferait dans
une situation donnée. Qu’est ce que Bush peut donc
faire face à Ahadinejad ?
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Nous nous trouvons dans une situation de
compétition des risques entre nos deux hommes : Bush
et Ahmadinejad. Deux joueurs auxquels on peut appliquer la
notion du dilemme du prisonnier ou celui de la poule
mouillée que la théorie des Jeux a largement exposés.
Dans les deux cas, il n’y a ni gagnant ni perdant quelle
que soit la configuration du jeux. L’issue du jeu se
trouve dans la coopération de nos deux joueurs, sinon le
crash est assuré.
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L’acceptable et le regrettable
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Mais il y a aussi une autre notion
applicable à nos deux acteurs : celle de la compétition
de risque. Cette notion est liée à la gestion des
crises et utilisée par Herman Kahn[3].
Ce dernier est l’un des stratèges les plus influents
de la guerre froide. Il est l’auteur de Thinking
about the unthinkable. Lorsque Herman Kahn aborde
le problème des crises, il prend pour point de départ
la notion de la compétition des risques.
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Développée par Thomas Schelling[4],
cette notion aide Herman Kahn à formuler des principes
généraux applicables à toute interaction, caractérisée
à la fois par la crainte de l’escalade, la volonté
d’éviter des précédents regrettables et la
décision de maintenir des limites acceptables.
Herman Kahn[5],
avec le concept de navigation à l’estime, élabore
une échelle de six paliers et de quarante-quatre échelons
pour expliquer les actions et les réactions étatiques
dans toute une série de scénarios, avec une logique
claire permettant à un analyste de passer d’une étape
à l’autre car il détermine, à l’avance, comment
agirait un acteur calculateur maximisant son utilité.
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La spécificité de son analyse apparaît
le plus clairement lorsqu’il examine comment un État
pourrait conduire une crise nucléaire. Le brouillard de
la guerre (Fog of War), soulevé avant la
guerre contre l’Irak, n’a fait qu’aboutir à des
erreurs mutuelles et à des inerties internationales
menant au chaos général dans le pays.
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Le manque de clarté dans les objectifs
de la guerre et l’invasion de l’Irak, la gestion du
dossier nord-coréen et l’hésitation de Washington
entre 2002 et 2006, donne de l’élasticité décisionnelle
sur laquelle compte le régime de Téhéran. Le
brouillard de la guerre en Irak ne clarifie en rien la
façon dont Washington entend orienter la politique
contre la prolifération. Ce Fog of War,
soulève une fissure triangulaire entre Washington, Pékin
et Moscou, visible suite à l’essai nucléaire
nord-coréen. Cette fissure risque de dessiner un
blocage dans la gestion du dossier iranien.
L’Iran et l’usage de l’incertitude
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Du côté iranien, on fait usage systématiquement
de l’incertitude, de la désorganisation et de la
paralysie de la politique américaine du moment. Téhéran
maintient une position de défi en développant son
programme d'enrichissement d'uranium malgré les
menaces de sanctions du Conseil de sécurité et
procède, en octobre 2006, à la mise en route de la
seconde cascade de 164 centrifugeuses dans les
installations d'enrichissement de Natanz (centre de
l'Iran). Un mois plus tard, le président
AhmadiNejad annonce que son pays est en phase de
passer à plusieurs milliers de centrifugeuse pour
l’enrichissement de l’uranium.
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Tablant sur les divergences entre les
grandes puissances autour des sanctions, les
Iraniens font usage de la position de la Russie et
de la Chine. Ces derniers privilégient la voie des
négociations. Ces divergences de vue, entre les
Etats-Unis et les Européens d'un côté, et la
Russie et la Chine de l'autre, sont les signes des
difficultés pour aboutir à un accord. Moscou, par
la voix de son ministre des Affaires étrangères
Sergueï Lavrov rejette fin octobre 2006, le projet
de résolution préparé par les Européens,
affirmant qu'il « ne correspondait pas aux
objectifs fixés préalablement par les grandes
puissances ».
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Pour sa part, Pékin -tout comme
Moscou- est un partenaire économique de taille de
l'Iran et est traditionnellement réticent face à
l'utilisation des sanctions. Moscou et Pékin
entretiennent d'importants liens commerciaux avec
l'Iran. Le 5 décembre 2006, les représentants des
Six chargés du dossier nucléaire iranien (Etats-Unis,
Russie, Chine, France, Allemagne et Royaume-Uni)
n'ont donc pas réussi à se mettre d'accord, à
Paris, sur la nature et l'ampleur des sanctions à
infliger à l'Iran, en raison de réticences exprimées
par la Russie.
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Les divergences sur les sanctions à
imposer à l'Iran donnent lieu à une nouvelle
version de résolution à la carte. Moscou et Pékin,
qui ont d'importants intérêts économiques en
Iran, rechignent à lui imposer des sanctions trop sévères.
Cette nouvelle version prévoit certes des sanctions
économiques et commerciales contre l'Iran dans des
domaines liés "aux activités nucléaires de
nature à favoriser la prolifération" ou
"au développement de systèmes de lancement
d'armes nucléaires", mais le nouveau texte ne
comporte plus aucune mention de la centrale nucléaire
civile iranienne de Bouchehr, à laquelle la Russie
coopère. C’est ce qui correspond à une demande
russe. Elle ne comporte pas non plus de mention
explicite sur le fait que le programme nucléaire
iranien constitue une menace à la paix et la sécurité
internationale, ce que Washington avait demandé.
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Le jeu entre Téhéran et l’AIEA
continue. Le 21 août 2007, l'Iran s'est mis
d’accord avec le directeur de l'AIEA, Mohamed El
Baradei, pour répondre, jusqu'en décembre, aux
questions qui demeurent en suspend depuis près de
vingt années d'activités nucléaires secrètes.
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Téhéran est ainsi parvenu à entraver les efforts
des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France, qui
souhaitent obtenir une nouvelle vague de sanctions
au Conseil de sécurité. Bien que Téhéran
poursuive l'enrichissement d'uranium, en violation
des résolutions de l'ONU. La Russie et la Chine
veulent donner une chance à ce processus, alors que
dans les coulisses de la Maison Blanche, un plan de
guerre est en préparation. Mais ça… c’est une
autre histoire.
Mohamed
Abdel Azim*
Lyon - France
>> Lire aussi: Bush
le capitaine du navire Moyen-Orient
(27/09)
*Mohamed
Abdel Azim
est docteur en Science politique,
journaliste à EuroNews, membre du
Comité Directeur Newropeans
en charge des affaires méditerranéennes
et arabes. Il est l’auteur du livre :
Israël
et la bombe atomique, la face cachée
de la politique américaine,
Paris, publié aux éditions l’Harmattan,
2006.
[1]
M. Sarkozy s'oppose à M.
Ahmadinejad sur le dossier nucléaire
iranien, Le Monde, 26
septembre 2007.
[2]
Raiffa Howard, Decision Analysis :
Introductory Lectures on Choices
under Uncertainty, NY, Random House,
1968.
[3]
Herman Kahn, Thinking about the
unthinkable, New York, 1962.
[4]
Thomas Schelling, The Strategy of
Conflict, New York, Harvard
University Press, 1960.
[5]
Herman Kahn, On Escalation :
Metaphors and Scenarios, New York,
Prager, 1965, (p. 25).
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