Egypte: les raisons d’une régression constitutionnelle
Written by Mohamed Abdel Azim
Thursday, 29 March 2007
Alors que l’Europe, vient, le 6 mars 2007, d’allouer une aide économique de 558 millions d’euros (735 millions de dollars) au régime égyptien, afin d’entreprendre des réformes « politiques », la révision de la constitution égyptienne par référendum le 26 mars, et auquel seuls entre 5 et 10% des Egyptiens ont participé, provoque l’inquiétude quant aux choix de la nouvelle orientation du régime politique du Président Moubarak.
75,9 % des votants se sont prononcés en faveur de la réforme controversée, qui portait sur 34 amendements à la Constitution égyptienne. Entre 5 et 10% des Egyptiens ont participé au vote. "Ces changements sont déterminants pour le futur du pays", affirme le président Moubarak, 78 ans, au pouvoir depuis 26 ans. Mais pour l'opposition unie, comme pour les ONG des droits de l'homme et même pour les Etats-Unis, dont l'Egypte est l'alliée, cette réforme et le scrutin précipité constituent des revers pour la démocratie[1]. L’Europe, vient, le 6 mars 2007, d’allouer une aide économique de 558 millions d’euros (735 millions de dollars) au régime égyptien, afin d’entreprendre des réformes « politiques »[2]. Quelles sont donc les prochaines grandes étapes sous ces nouvelles réformes dites « démocratiques » ?
Très critiqué, l'article 179 permet la suspension des droits constitutionnels. Il permet aux autorités des perquisitions, l’ouverture du courrier, des arrestations, des fouilles domiciliaires ou des écoutes téléphoniques sans mandat judiciaire. Amnesty International dénonce la "plus grave atteinte" aux droits de l'Homme depuis l'instauration de l'état d'urgence en 1981[3]. Les articles les plus controversés portent sur la lutte anti-terroriste, avec élargissement du pouvoir de la police, et sur la supervision des élections, avec un écartement du contrôle exercé par les juges.
Le président peut aussi déférer un suspect présumé devant une cour martiale. Les amendements "donneront une impulsion à l'activité des partis" (…) "protégeront la nation du danger du terrorisme" et en finiront avec "le commerce de la religion et les activités politiques illégales" explique le président Moubarak.
La précipitation d’adoption
Le 20 mars, un jour avant la date prévue, lors d'une session tardive et de manière imprévue, le Parlement, contrôlé aux trois quarts par le Parti National Démocratique (PND) au pouvoir, adopte ce paquet de 34 amendements à la Constitution. Le président Hosni Moubarak arrête, au lendemain de l'adoption par le Parlement, la date du 26 mars pour le vote de la révision constitutionnelle au lieu de la date initiale fixée début avril. Surpris par ces changements, l’opposition est prise de court. Elle vote contre les modifications au parlement et appelle au boycott du référendum.
Affaiblie, divisée et quasi inexistante l’opposition boycotte ce référendum et le considère comme un "putsch" contre la Constitution. 74 millions d'Egyptiens sont concernés (41 millions en âge de voter). Sur les 32 millions d'électeurs inscrits, la révision constitutionnelle n’a pas mobilisé la foule. Pour dire non, une écrasante majorité s'est abstenue, comme ce fut le cas lors du précédent référendum constitutionnel, en mai 2005[4].
Le président Moubarak rejette les critiques internationales, notamment celles formulées par la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice. "Je n'accepterai pas de pression, diktat ou condition", déclare M. Moubarak. Mme Rice s'était déclarée "réellement préoccupée" par ce référendum. "Au moment où le Proche-Orient évolue vers plus de pluralisme et plus de démocratie, l'Egypte doit devenir un leader de cette évolution. Il est décevant que cela n'ait pas été le cas", déclare Mme Rice qui avait formulé les mêmes déclarations deux ans auparavant[5].
La phase critique
Avec ces amendements, l’Égypte entre dans la phase la plus difficile de son histoire politique depuis l’indépendance. Ce pays s’interroge sur qui serait son Président après Moubarak. Le raïs est en fin de règne et sa succession est une question qui n’a pas de réponse claire à l’heure actuelle. Agé de 78 ans, Mohamed Hosni Moubarak est le 3ème président à la tête de la République Arabe d’Égypte depuis le coup d’état des officiers libres conduit par Nasser en 1952.
Depuis son accession au pouvoir, il y a 26 ans, Moubarak, n’a jamais nommé un vice-président. Avec ce référendum, le scénario de l’héritage de son fils au pouvoir devient clair. On sera sans doute loin d’un héritage paisible. Le scénario de l’héritage à la togolaise, avec le fils Eyadema, ou celui de Joseph Kabila, en RDC, est déjà rodé dans un pays arabe (la Syrie). Il est prêt chez le voisin libyen pour le fils Kadhafi.
Mais un tel scénario aura certainement la couleur des troubles au Caire. En Égypte, pour un tel scénario, se dessine l’ombre de l’inconnu politique. Depuis l’assassinat de Sadate, l’Égypte, avec ses 74 millions d’habitants, vivait sous l’état d’urgence. Passer d’un régime unique vers une pratique démocratique multipartite est l’étape la plus difficile face à laquelle se trouve l’un des pays les plus peuplés du continent africain.
En 2005, l’article 76 de la constitution est modifié, mettant fin à 50 ans d’exercice d’un régime unique. Cette modification, qui ouvre la voie au multipartisme, n’a pas vraiment changé la vie politique des égyptiens. Selon les dispositions actuelles de la loi électorale, aucun parti politique ne peut présenter un candidat aux prochaines élections présidentielles.
Du viol de la Constitution à la Constitution de viol
Le dernier référendum s’inscrit dans une série de modifications ouvrant la voie au fils de Moubarak[6]. Il y a un an, et malgré l’opposition américaine, les élections municipales, prévues en 2006, sont repoussées de deux ans, par décret présidentiel. Le parlement approuve ce décret en février 2006. Deux mois plus tard, le Premier ministre Nazif demande au Parlement le renouvellement de l’état d’urgence pour deux ans supplémentaires, malgré la promesse faite par Moubarak lors de la compagne électorale de mettre fin à la loi d’urgence. Le 30 avril 2006, le Parlement vote son extension jusqu’en 2008.
La révision prévoit une commission électorale "indépendante et impartiale" pour superviser les élections à la place de juges. Les juges égyptiens déclinent toute responsabilité lors des élections futures et ne cautionnent pas les résultats du référendum[7]. Les amendements constitutionnels apportés à la Constitution ôtent aux juges tout contrôle du vote. Ces réformes donnent plus de pouvoir au poste du Premier ministre et la presse égyptienne parle d’une analogie entre le président Moubarak et Louis XVI[8]. On évoque une hystérie qui passe du « viol de la Constitution » à une « constitution de viol ».
Cette loi, qui étend le pouvoir au ministère de l’Intérieur et aux forces de sécurité, autorise l’arrestation, la détention sans accusation, et limite drastiquement la liberté civile de chaque citoyen. Cette situation place le pays dans un état policier. Avec la loi d’urgence, l’Egypte se trouvait déjà dans un étau sécuritaire qui dure depuis plus d’un quart de siècle. Cet étau s’est encore serré davantage depuis que des tentatives d’assassinat ont été commises contre le Président Moubarak[9].
Avec les modifications de certains articles de la Constitution, les dernières garanties de libertés individuelles et de protections constitutionnelles se sont à leur tour volatilisées. C’est pour ces raisons que la majorité des Egyptiens s’attendent à vivre les moments les plus noirs dans l’histoire récente du pays. Le clivage dévie clairement entre l’Egypte et le régime au pouvoir qui devient, avec ces modifications, plus fermé et prêt à tout pour la mise en place du scénario de l’héritage.
Le scénario de l’héritage
Durant 26 ans, Moubarak est au pouvoir sans nommer de vice-président. Cette situation d’homme seul au pouvoir fait que les Égyptiens voient en lui un Pharaon qui n’accepte pas l’idée d’être un jour succédé par un homme issu du peuple. Parmi eux, on trouve le sociologue égyptien Saad Eddine Ibrahim, qui voit en Moubarak un homme qui se place au rang du sacré, ou encore de semi-dieu et pour qui le pouvoir est destiné par la divinité[10].
La famille Moubarak est désignée comme une dynastie qui détient un bien : le pouvoir. Ce patrimoine familial est donc un objet transmissible du père au fils. Ce fils, Gamal, se voit attribuer le rôle d’un gardien du temple de la gouvernance par le parti unique au pouvoir : le PND (Parti National Démocrate). Il doit donc veiller à sa continuité. La famille, soutenue par un entourage solide, prépare le terrain à la succession et au transfert du patrimoine. La préparation à l’héritage de Gamal Moubarak se précise et sa nomination comme Premier ministre peut avoir lieu cet été.
Depuis son accession au pouvoir en 1981, le président Moubarak n’a jamais nommé son vice-président. Avec la révision de l’article 82, le Premier ministre détient les responsabilités d’un vice-président. La désignation de Gamal Moubarak à ce poste se précise peu à peu. Gamal Moubarak est l’un des deux fils du Président Moubarak. Il a 45 ans et est désigné par les Égyptiens comme le président parallèle. Il supervise toutes les orientations politiques du parti, ainsi que la nouvelle réorganisation au sein de cette structure. Il place ses hommes au sein du gouvernement et élimine la vieille garde des postes clés. Il se base pour cela sur deux hommes, le Premier ministre actuel, Ahmad Nazif et le ministre de l’Intérieur Habib El-Adli.
La position de Gamal au sein du parti, même en tant que numéro deux, ne lui permet pas d’avoir la légitimité requise afin de briguer le poste le plus haut de l’État. Avec de telles modifications, on parle d’un possible changement radical dans l’orientation du Président Moubarak. Dans les mois à venir, interviendrait la nomination de Gamal Moubarak au poste du Premier ministre. Ce dernier serait alors en position d’apporter toutes les modifications nécessaires à la loi électorale et de faciliter ainsi sa candidature pour le poste de chef de l’État.
Mohamed Abdel Azim*
Lyon (France)
*Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.
Notes:
[1] "Référendum controversé en Egypte", Les Echos, 26 mars 2007.
[2] Voir à ce propos : Mohamed Abdel Azim, "L’Europe veut-elle la démocratie dans le monde arabe ? ", Newropeans Magazine, 20 mars 2007.[3] Amnesty International, "Égypte : Le référendum ne doit pas servir à légitimer l'érosion des droits humains", Déclaration publique, Index AI : MDE 12/009/2007 (Public), Bulletin n° : 059, ÉFAI, 22 mars 2007
[4] "Les Egyptiens ne croient pas au langage des urnes", Le Monde, 27 03 2007.[5] “Rice Criticizes U.S. Allies in Mideast Over Democracy”, Washington Post, 20 juin 2005.
[6] Ian Black, "Muslim Brotherhood decries Egyptian 'anti-terrorism' referendum", The Guardian, 20 mars 2007.
[7] Al-Quds AL-Aabi, du 28 mars 2007.
[8] Hasaneen Kroom, Al-Quds Al-Arabi, 28 mars 2007.
[9] Le premier a lieu à l’étranger, à Addis-Abeba (le 26 juin 1995). Le deuxième a lieu en Égypte, le 6 septembre 1999, dans la ville portuaire de Port Saïd.[10] Saad Eddin Ibrahim, “Egypt needs a President not a Pharaoh”, Daily Times, Pakistan, 9 novembre 2004. Voir aussi : Saad Ibrahim, “Promises To Keep In Egypt”, Washington Post, 24 spetembre 2005, p. a23.
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