Newropeans Magazine

L'effondrement du mythe de Tsahal face au Hezbollah

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Written by Mohamed Abdel Azim   

Wednesday, 17 January 2007

 

Le chef d'état-major israélien, le général Dan Haloutz, vient de démissionner à la suite des ratés de la guerre du Liban durant l'été dernier. Il s'agit du plus haut responsable militaire ou politique à quitter ses fonctions depuis la guerre contre le Hezbollah au Sud Liben. Depuis, il y a eu des pressions fortes exercées par l'opinion publique pour obtenir le départ du chef d'état major, du Premier ministre Ehud Olmert et du ministre de la Défense Amir Peretz, tenus pour responsables des revers subis par l'armée israélienne face à la milice chiite du Hezbollah. Cette décision signifie qu’Israël n’avait pas gagné la guerre. Il signifie aussi l’ampleur de la crise politique soulevée par cette guerre ainsi que la profondeur du doute que les Israéliens peuvent avoir autour du mythe des forces armées israéliennes.



ImageReconnaissant pour la première fois les "échecs"  d'Israël dans la guerre au Liban, Ehoud Olmert annonce le 28 août 2006, la création d'une commission d'enquête publique sur les ratés de la guerre au Liban, plutôt que la création d'une commission d'Etat indépendante, dont les pouvoirs auraient été plus larges.  « Nous avons fini plus ou moins vainqueurs sur le plan politique et militaire », déclare Shimon Pérès. Le tout est dans le « plus ou moins » de l’ancien Premier ministre Shimon Pérès. Du point de vue gains et pertes, le moins sera du côté des Israéliens, des Américains et des régimes arabes modérés, tandis que le plus sera du côté du Hezbollah, des Iraniens et des Russes.

Tsahal a mené 34 jours d’opérations et une offensive terrestre au Sud Liban, sans vraiment mettre fin aux 3500 Katiouchas tirés par les combattants de Hezbollah. L’ennemi de Tsahal, qui a pu tirer sur les populations jusqu'à Haïfa, la troisième ville du pays, et qui a fait des victimes, a pu toucher des navires israéliens au large des côtes libanaises. Les combats contre le Hezbollah ont coûté la vie à 119 soldats et 41 civils. Une vingtaine de chars de la quatrième armée la plus puissante sur terre sont détruits. Pour la première fois depuis la guerre israélo-arabe, survenue suite à la création d’Israël en 1948, les autorités décident d'évacuer les arrières.

Le 11 août 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte, sa 1701ème résolution. Élaborée par Paris et Washington, cette résolution appelle à un cessez-le-feu au Sud Liban. Le conflit éclate le 12 juillet. Le Premier ministre israélien Ehud Olmert ordonne à l'armée, le jour même de la résolution de l’ONU, de lancer une offensive terrestre en profondeur au Liban. Israël met fin à son offensive, contre les milices de Hezbollah, le 14 août au matin. Cette deuxième guerre de Tsahal au Liban est la sixième qui l’implique dans une guerre directe contre l’un des pays voisins.

La ville frontalière de Kyriat Shmona, est alors quasiment vidée de ses 24.000 habitants. La tâche semblait si compliquée que le cabinet de sécurité a décidé d'élargir son offensive terrestre et de déverser des milliers de soldats au Liban pour tenter de prendre le contrôle d'une zone de sécurité "nettoyée" des nids de résistance chiite.  Les difficultés de Tsahal au Sud Liban déclenche des divisions dans la classe politique israélienne. Au sein même du gouvernement, de graves dissensions sont apparues lors du débat du cabinet de sécurité le 10 août 2006, entre d’une part les partisans d'une ligne dure soutenue par l'armée et d’autre part les plus modérés. Autre indice de malaise, la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, qui devait se rendre à New York pour des discussions sur un cessez-le-feu, a dû y renoncer sur ordre de M. Olmert.

L'opposition de droite, qui s'était rangée derrière le gouvernement, a, un mois après le début de la guerre, repris ses attaques contre le Premier ministre Ehud Olmert, auquel elle impute les revers militaires et diplomatiques de la campagne. Dès le début de la guerre, la presse israélienne est critique, l'opinion est devenue peu à peu très sceptique et au sein même du pouvoir, les frictions apparaissent au grand jour. « Olmert doit démissionner », écrit Ari Shavit dans le quotidien Haaretz. « Il n'y a pas une seule erreur qu'Ehud Olmert n'ait commise . Il est entré avec arrogance en guerre sans en peser les conséquences. Il a suivi aveuglément les militaires (..) et après s'être précipité dans le conflit il l'a géré avec hésitation » note Ari Shavit.

Le quotidien à grand tirage Yediot Aharonot donne pour sa part un large écho aux interrogations des soldats en campagne au Liban sud. « On ne nous a fixé aucun objectif clair. Les soldats n'ont pas la moindre idée de ce qu'on attend d'eux, alors les rumeurs vont bon train. Un jour, il s'agit d'attaquer Tyr, un autre de rentrer à la maison », confie un capitaine de réserve au Yediot Aharonot. « Le plus dur, c'est l'incertitude », en référence au feu vert annoncé début août par le gouvernement, à une extension de l'offensive, qui n'a pas été suivi d'effet immédiat.

Cette sixième guerre que mène l’État hébreu, s’est terminée sans vainqueur ni vaincu. Elle marquera le point de départ d’un changement dans les rapports avec les groupes armés au Moyen-Orient. Ce conflit laisse son impact sur l’équilibre fragile des forces dans la région car elle modifie les rapports avec les  groupes armés au Liban, en Palestine en Irak, voire ailleurs. « C’est une guerre à somme nulle », écrit Ephraim Lavie dans un article  publié le par le JCSS (N. 182).

Les paradoxes de cette guerre sont multiples. Au lieu d’être une guerre courte et rapide, elle s’installe dans la durée et altère l’image puissante du Tsahal. Les forces israéliennes sont confrontées au défi des milices chiites. Cette puissance se trouve impuissante face à quelques combattants du Hezbollah. La grosse machine de guerre israélienne n’a pas pu écraser ce petit groupe d’une armée de l’ombre. Au lieu de renforcer la puissance israélienne, cette guerre a créé une fissure dans le solide mythe de Tsahal. Elle fait aussi surgir l’évidence de l’érosion de la dissuasion israélienne. Nous assistons pour la première fois au fait que la doctrine de la dissuasion israélienne est brisée par le défi d’un groupe armé.

Cette guerre a affaibli l’image de la puissante armée israélienne, elle a aussi affaibli plus d’un régime arabe modéré dans la région. C’est le cas en Egypte, en Jordanie ou encore en Arabie Saoudite. Les populations arabes interprètent la modération de ces régimes comme une soumission à un projet américain dans la région. Au Liban comme dans le monde arabe, Nassrallah est, depuis le début de cette guerre, considéré comme un héros qui tient tête aux Israéliens. Les liens sont de plus en plus tissés entre les chiites libanais, irakiens et iraniens qui ont depuis gagné la sympathie des populations arabes sunnites. Au niveau, régional, l’Iran prend une place prépondérante et montre sa capacité à troubler la sécurité israélienne à travers le mouvement chiite au Liban. C’est déjà ce scénario qui se joue par les chiites irakiens avec Moqtada Al-Sadr, contre les troupes américaines et britanniques à Bagdad et à Bassora. C’est la même tactique utilisée par les Talibans contre les troupes américaines en Afghanistan.

L’image de Tsahal est alors affaiblie et les forces israéliennes sont montrées du doigt suite aux différentes bavures commises contre la population civile, et notamment à Cana. Je tente d’analyser l’impact de cette guerre sur le plan régional. D’abord  l’effet néfaste de cette guerre sur la dissuasion israélienne puis les profits que le Hezbollah attendait et qu’il a pu relever. En troisième lieu, le renforcement du rôle de Téhéran dans la sécurité régionale. Enfin, l’affaiblissement des régimes arabes modérés, l’affaiblissement de l’influence américaine et le possible retour des Russes dans la gestion des crises au Moyen-Orient.

Mohamed Abdel Azim*
Lyon (France)


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*Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.

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