Newropeans Magazine

Allez, Yallah PDF Print E-mail
Written by Mohamed Abdel Azim   
Wednesday, 14 March 2007

 

ImageYallah, Allez, il est temps de faire quelques chose. Notre monde arabe va mal, il a besoin d’aide. A l’image du monde arabe confronté à des difficultés sociales majeures, je prends l’exemple de deux jeunes filles, deux personnes âgées et d’une femme. Mes personnages sont réels. Ils se livrent à la caméra dans un document plus vrai que le vrai réalité : Yallah, un film de Jean-Pierre THORN, distribution Cargo Films.

ImageD’abord la femme qui ne choisit pas de mettre le voile mais qui le porte pour avoir la paix. Elle le porte et sent qu’elle est déguisée. Elle porte un voile qui ne lui plait pas mais malgré sa souffrance de le porter, ce voile devient protecteur, un écran ou un cache qui la protège contre l’hostilité du regard. Ainsi se trouve la société du monde arabe. Elle opte pour le voile par résignation et sans débat. Le voile n’est pas une conviction historique mais une façon de cacher des faiblesses temporelles de toute une société.

Parmi mes quatre autres personnages, deux sont âgées. Un Imam qui explique que l’Islam est ouvert et invite au respect de l’autre, à l’ouverture, à la sagesse et à l’apprentissage. Les sociétés arabes ont ses représentations comme références. Puis une femme âgée qui se livre à la caméra dans un bus. Elle évoque une contradiction totale entre le présent et le passé de sa vie, entre elle même et son propre passé. C’est aussi le cas du monde arabe, son présent ne colle pas avec son passé. Ce clivage est caché. Le voile devient alors une métaphore historique par laquelle cette société ne souhaite pas se voir dans son état actuel. Elle préfère se voiler la face et refuse de se poser la question sur ce qui lui arrive. Cette femme n’est pas voilée mais elle souffre elle aussi du regard des autres. Elle termine en disant : ici c’est la schizophrénie. Ici est donc le lieu physique et l’espace symbolique de son temps, le maintenant

Une schizophrénie sociale ? Oui, en effet, cela me renvoie vers le reste de mes cinq personnages, deux jeunes adolescentes. La première accuse la religion de l’empêcher d’intégrer l’Occident.. La deuxième est, par ailleurs, provocatrice dans son attitude vestimentaire et dans ses paroles. Habillée en pantalon bien serré, tee-shirt blanc et casquette de rappeur, avec des cheveux bien raidis, elle s’adresse à la caméra et explique que la femme est inférieure à l’homme. Elle légitime la violence et souhaite rester à la maison sans travailler. De plus, elle veut servir un homme. Ce dernier peut avoir 4 femmes etc. C’est, d’après elle, l’Islam qui le veut car c’est l’Imam qui le dit. Et c’est tout le malheur de la jeunesse du monde arabe à la fois de ceux qui vivent en Occident ainsi que ceux qui vivent dans les pays arabes. La  mauvaise compréhension de l’Islam, de l’Occident et le manque de volonté de changer les choses.


J’ai vu le monde changer
J’ai vu ce monde passer peu à peu vers la schizophrénie. Je ne reconnais pas mon propre pays. Depuis 30 ans les choses reculent et le navire du pays chavire vers une voie sans issue. Nous sommes dans les années 70. Il y a à peine deux décennies que l’Égypte, comme la majorité des pays arabes, vient d’être indépendante. Elle a donc son sort politique, social et historique entre ses mains. Cette Égypte renonce à la dureté, opte pour l’ouverture et met à l’écart les Frères musulmans. Nous avions l’espoir. Tout était possible et la prospérité intellectuelle commençait à rayonner. Quand tout d’un coup, un événement majeur se produit. 

La société, se trouve face à un phénomène non visible à l’œil nu. Il éclate en octobre 1981, lorsque le président Sadate est assassiné devant ses yeux en direct à la télévision. Ce traumatisme social annonce une perturbation qui donne lieu à une vague de violence extrême qui se généralise et finit par viser les ressortissants occidentaux. C’est alors que ce phénomène, considéré par l’Occident comme mineur, s’exporte vers l’Algérie dans les années 90, puis au Soudan etc. La suite on la connaît...

L’Occident n’a pas vu et ne voit toujours pas encore l’ampleur des dégâts. Les mots ne peuvent pas décrire de façon exacte cette situation ô combien dramatique. L’Occident ne peut pas ignorer, mais par économie d’efforts, on considère que ce n’est pas si grave. Or, c’est extrêmement grave et les choses ne sont pas prêtes de se terminer. La logique occidentale est bien loin de la réalité dans ce monde arabe, souffrant de corruption sociale et religieuse.

La réalité sociale arabe, montre que ce monde est devenu une société en mal être. La réalité religieuse montre que la société a des difficultés de références pour situer l’extrémisme. Le mot schizophrénie exprimé par le témoignage d’une femme de 50 ans, est donc le bon. Il y a le visible et le caché. La société se montre voilée pour cacher ses défauts. Elle a choisi le voile car, comme la femme citée plus haut, elle se protège. Ce n’est donc pas par conviction profonde.

Les problèmes sont multiples : pauvreté, manque d’éducation, manque de pluralisme, manque de débat, corruption et autres maux, cette société fonctionne sur la base d’un schéma de complot. Ce complot étant, pour elle, un complot occidental, tout lui est donc permis. Ce schéma de complot permet a accuser toute action de reforme d’être l’outil de cet Occident qui veut interférer voire des accusations de trahison à toute personne ou organisme qui dénonce ou qui parle de changement.

Etant étudiant à l’Université du Caire, j’ai vu le début du fanatisme. Nous étions une promotion de 50 étudiants et c’est seulement en quatrième année (1981), qu’une étudiante commence d’être voilé. Peu à peu le voile est devenu un signe, un symbole ou un instrument. Peu à peu, la société glisse et ne se pose plus de questions. Un durcissement total survient et le prêt-à-penser se généralise. La société ne se rend plus compte du danger. Ce que j’ai vu n’est pas de l’Islam. Il s’agit d’un phénomène qui utilise l’Islam comme instrument. La pauvreté, visible dans le document est à la base de tout.

Ces sociétés sont en danger. Mon côté optimiste égyptien me dit qu’il est peut être encore temps, mais connaissant ce terrain je crains qu’il ne soit déjà trop tard. Ce monde n’a pas besoin d’aide économique mais surtout d’une aide pour faire face à une longue liste des carences due au manque d’évolution basée sur le pluralisme démocratique. La situation risque de s’aggraver si cette société ne commence pas à débattre et à se poser la vraie question : où allons nous ? La société est devenue aveugle et ne voit pas. Elle se laisse guider par le vent de la terreur politique mais aussi fanatique. L’Europe peut aider à l’émergence de cette question, autrement,  ce serait de la non assistance à une société en danger.

Mohamed Abdel Azim
Lyon (France)


*Mohamed Abdel Azim est docteur en Science politique, journaliste à EuroNews il est l’auteur du livre : Israël et la bombe atomique, la face cachée de la politique américaine, Paris, l’Harmattan, 2006.

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