Individualisme et holisme
Individualisme, Holisme et Interaction Le symbole, pour Sapir, 1934, p493,
« l’individu et la société en
une interaction incessante », et « construit la structure
pyramidale que l’on appelle civilisation. Bien peu de briques de cette
structure reposent sur le sol ». M. Grawitz, 1985, (T3), p250. Nous plaçons ce travail dans un cadre
d’un parallélisme ou plutôt d’une homologie et d’une « métaphore
scientifique » entre individualisme et collectivisme « holisme ».
La saisie des homologies structurales n’a pas toujours besoin de recourir au
formalisme pour se fonder et pour se faire la preuve de sa rigueur, explique
P. Bourdieu, 1983. Pour Bourdieu, il suffit de suivre la démarche qui conduit
E. Panofsky à comparer la Somme de
Thomas d’Aquin ( in Summa Theologia)
et la cathédrale gothique ( la période qui va de 1130-1140 environ jusqu’à
1270), pour percevoir les conditions qui rendent possible , légitime et féconde
une telle opération. Pour accéder
à l’analogie, il faut renoncer à trouver dans les données de l’intuition
sensible, le principe capable de les unifier réellement et soumettre les réalités
comparées à un traitement qui les rende identiquement disponibles pour la
comparaison. L’analogie ne s’établit pas entre la Somme
et la cathédrale prises, si l’on
peut dire, à leur valeur faciale, mais entre deux systèmes de relations
intelligibles ( ... ). Dans la mesure où
ces « métaphores scientifiques » conduisent aux principes des
homologies structurales qui se trouvent noyées dans les différences phénoménales
, elles sont, comme on l’a dit, des « théories miniatures ».
Pierre Bourdieu, 1983, p78. Durkheim, Mauss ou Lévi-Strauss, l’« école
naturaliste » dont parle Leach
( Leach 1976, p;4-5), nous ont habitués, en France à penser l’espèce
avant ses classes, la catégorie avant la singularité, M. Grawitz, 1985,(T 3),p273.
Dans son ouvrage, les méthodes en sociologie, Raymond Boudon classe trois grandes catégories
de champs d’études : études du cadre de la société globale ( thème du
changement et thème du système), études
du cadre de l’individu ( individu et individu + milieu), et enfin, études du
cadre unité (unités naturelles,
groupes, institutions, communautés), R. Boudon, 1984. Nous plaçons ce travail au carrefour
de ces trois champs d’études de R. Boudon ; nous essayons de transposer une
homologie non pas entre structures ou entre systèmes sociaux, mais plutôt
entre individuel et collectif, par rapport à un objet : la mort. Cet objet,
nous supposons qu’il fait partie d’un même traitement de la part de
l’individu et de la société ; nous supposons donc qu’il peut être regardé
sous un angle personnel ou collectif. Ainsi, l’objet peut être vu séparement,
selon le cadre société globale, avec le thème de changement ou le thème de
système ; il peut être aussi vu selon le cadre individu ou individu et milieu.
Raymond Aron, 1955 écrit que les
sociologues ont une fâcheuse tendance à s'enfermer dans leur système, à
exclure les autres. Il vaut mieux, note Aron, reconnaître que la sociologie
repose sur un ensemble de paradigmes distincts plutôt que de vouloir, comme
Parsons, les mélanger en une fragile synthèse. Le domaine de la sociologie est
suffisament vaste pour que, suivant les tendances personnelles des chercheurs et
le champ de leurs études, ils puissent utiliser l'un ou l'autre paradigme, à
condition de savoir qu'il n'est pas le seul utilisable ni le meilleur sur le
plan heuristique. Sous des formes différentes, suivant les époques, ressurgit
le vieux débat en sociologie: les rapports de l'individu et de la société. Ce
débat existe aussi en psychologie et s’articule autour de l’inné et de
l'acquis. Le débat en sociologie, entre holisme et individualisme méthodologique
après les anglo-saxons, est parvenu en France et a provoqué de nombreuses
discussions. Pour R. Boudon, 1982, il s'agit du principal débat méthodologique
de notre temps. L'individualisation bénéficierait d'un regain d'intérêt dû
aux impasses auxquelles aurait abouti le holisme. Le holisme semble avoir été
utilisé pour la première fois par le général Jean Christian Smuts, homme
d'Etat sud-africain ( 1870-1950 ). Raymond Boudon, 1988, précise que la
notion de l’individualisme méthodologique a une signification différente de
celle de l'individualisme sur le plan éthique ou même sociologique ( large
autonomie consentie aux individus par les lois et les moeurs ). Pour Boudon,
dans ses critiques à l’égard des économistes- et de leur notion de
l'utilitarisme dans laquelle l'individu est rationnel -, note que ces
explications limitent l'application du paradigme. Le holisme s'efforce
d'analyser directement les conséquences des
données structurelles ou culturelles, supposées éléments actifs et ignore
l'analyse des motivations individuelles ; il se prive ainsi d'explications
souvent essentielles. Le danger du paradigme holiste est la simplification, qui
fait son succès. Comme tout phénomène social est le résultat d'actions
individuelles, un moment essentiel de toute analyse sociologique consiste à
comprendre ces actions, explique Raymond Boudon, 1995, p254-259. Cette approche comprehensive est celle
de Max Weber, celle de la "
comprehension du sens". Il est vra que le comportement qui se laisse
interpréter rationnellement, constitue le plupart du temps l' "Idéaltype"
le plus approprié dans les analyses sociologiques d'enchaînements
comprehensibles. M. Weber, 1992, p305. La première règle et la plus
fondamentale est de considérer les phénomènes et les faits sociaux comme des
choses. explique E. Durkheim dans les règles
de la méthode sociologique. Pour
Durkheim, les phénomènes sociaux sont des choses
et doivent être traités comme des choses. Pour démontrer cette proposition,
il n’est pas nécessaire de philosopher sur leur nature, de discuter les
analogies qu’il présentent avec les phénomènes des règnes inférieurs. Il
suffit de constater qu’ils sont l’unique datum
offert au sociologue. E. Durkeim, 1973. Le succès du paradigme holiste face à
l'individualisme s'explique selon R. Boudon,
par une conception "hypersocialisée" de l'homme, dont
l'influence du positivisme est en partie responsable. La difficulté
d'application du paradigme individualiste est la cause essentielle de sa moindre
utilisation, R. Boudon, 1988. Max Weber,
dans « Essais sur la théorie
de la science », explique que dès lors que nous cherchons à prendre
conscience de la manière dont la vie se présente immédiatement à nous, nous
constatons qu’elle se manifeste « en » nous et « hors »
de nous par une diversité absolument infinie de coexistenceset de successions d’événements qui apparaissent et
disparaissent. Max Weber, 1992. Même lorsque nous considérons
isolément un « objet » singulier
- par exemple un acte d’échange concret- l’absolue infinité de cette
diversité ne diminue aucunement en intensité, dès que nous essayons sérieusement
de décrire d’une façon exhaustive
sa singulartié dans la totalité de ces éléments individuels. Pierre
Bourdieu, 1983. Cette notion de système « d'action
concrète » que l'on trouve chez J-W Lapierre, est le centre des travaux
de Michel Crozier, qui trouve sa place dans la sociologie des organisations, en
essayant d'expliquer le système social. Comme sociologue, Crozier ne s'intéresse
pas aux structures comme Parsons, mais au fonctionnement des organisations. Ceci
l'amène à étudier la stratégie des acteurs au sein de ces organisations.
Crozier se révèle individualiste, notion de « l'acteur », et antidéterministe,
puisque l'acteur choisit sa stratégie. M. Mauss 1950, neveu de Durkheim,
ethnologue et sociologue, utilise des faits bien délimités, étudiés dans
leurs cadre, permettant d'établir des rapports d'une certaine généralité.
Adoptant le point de vue de Durkheim, il s'oppose aux ethnologues anglais qui
accumulent des observations sans tirer des conclusions. Pour Mauss, c'est une
erreur de croire que le crédit auquel a droit une proposition scientifique, dépend
étroitement du nombre de cas où l'on croit pouvoir la vérifier. Pour C. Lévi-
Strauss, 1973, Mauss a vu que le social est à la fois signifiant et médiateur
de l'intention personnelle. Le petit nombre de cas judicieusement choisis par
Mauss, donne naissance à la notion de " faits sociaux totaux".
Le social, écrit Claude Lévi-Strauss
n'est réel qu'intégré en système, et c'est là un premier aspect de la
notion de fait total " après avoir
forcément un peu trop divisé et abstrait, il faut que les sociologues
s'efforcent de recomposer le tout ", explique M. Mauss. C. Lévi-Strauss
ajoute que le « fait total » ne réussit pas à être tel, par
simple réintégration des aspects discontinus: familiaux, économiques etc,
sous lesquels on est tenté de l'apprehender
exclusivement. Il faut aussi, ajoute C. Levi-Strauss 1950, qu'il s'incarne dans
une expérience individuelle. C. Levi-Strauss note qu'une histoire individuelle
permet d' "observer les comportements d'êtres totaux et non divisés en
facultés. Le tout est pour nous, dans ce travail
de recherche, de pouvoir passer du jeu partiel de " je" - un "
moi " englobé dans un " tout " social-, vers un total de "
nous" - un "global"
qui est le produit d'une somme de parties donnant ainsi lieu à la "société"-.
C'est dans un jeu symbolique d'homologie entre individu et société, dont nous
trouverons peut être l'illustration. L'individu pour nous, est une « entité »,
qui fait de lui une « partie » participant à la constitution du
"tout" social. C’est par le biais de la supposée relation entre
vivants et morts, par une intention individuelle ou collective, que « l’entité »
et le « tout » ont une action homologue qui se base sur les mêmes
essences face à la disparition et à la mort. C’est cette homologie que
l’on essaie de suivre. Appelé une commémoration, cet acte ou cette
intention, permettent d’atteindre un équilibre perdu suite à la mort, ou de
maintenir un équilibre qui risque de se perdre si on ne le fait pas
intentionnelement.Ce geste de la part des vivants est dédié, à travers un
rituel de reconnaissance, aux morts. Cette intention personnelle est le
centre des études et des observations d'Erving Goffman, et c'est ce qui le
pousse à ouvrir un nouveau domaine dans la sociologie. Il est celui qui pousse
le plus loin une approche des phénomènes sociaux, qu'on appelle
interactionniste, Erving Goffman, 1974.Ces interactions sont étudiées dans un
cadre naturel c'est-à-dire dans la vie quotidienne lorsque les personnes, les
individus se rencontrent, échangent, produisent leur vie sociale ( cérémonial
des rencontres). Goffman, 1974, s'intéresse, non pas
aux hommes et à leurs moments, mais plutôt aux moments et leurs hommes. Pour
lui, de la même façon que chez
les Grecs, la tragédie n'est pas tant destinée à mettre en scène le "héros"
magique, mais d'abord la situation dans laquelle la tragédie s'inscrit. Ainsi,
c'est la situation sociale dans laquelle se nouent des interactions que Goffman
étudie. C'est ainsi que ces situations offrent, pour Goffman, un intérêt
sociologique.1973. Pour Goffman, nous sommes des êtres publics produisant des
interactions en public, avec un ordre spécifique. Cet "ordre public"
est un cas particulier de " l'ordre social", au même titre que
l'ordre économique ou l'ordre judiciaire. La vie sociale est une gigantesque
"scène de théatre", et nous nous conduisons comme de véritables
"acteurs" selon une dramaturgie établie notamment par des
"codes" moraux, par des ruses, par des calculs des intentions, qui
constituent les cadres dans lesquels nous élaborons notre "face" vis-à-vis d'autrui, par lesquels nous
produisons des "rôles" que
le sociologue est invité à analyser. Les situations étudiées par Goffman
sont des situations sociales dans lesquelles deux ou plusieurs individus ( des
interactants), sont suffisament rapprochés dans l'espace. Ainsi, il y a une
interdépendance des actions, mutuellement constituées. Chaque partie constitue
une source d'information pour l'autre. Goffman, 1974,
dans son analyse des éléments rituels inhérents aux interactions
sociales, développe ce qu'il appelle "perdre la face ou faire bonne
figure", défendre sa propre face vis-à-vis de l’autre. D'autre part, on
rencontre aussi chez Goffman la
notion de sauver la face par "l'évitement",
se retirer élégamment pour se sauver la face. Il y a aussi la notion de la
"réparation" par voie d'attention "directe et officielle".
A ce stade, un ou plusieurs participants se trouvent ouvertement en déséquilibre,
ou en disgrace. Il leur faut essayer de rétablir entre eux un état
" rituel" satisfaisant. Le "rituel" chez Goffman, est
un acte dont le composant "symbolique" sert à montrer combien la
personne agissante est digne de respect et combien elle estime que les autres
sont dignes. L'équilibre est une image adéquate car la durée et l'intensité
de l'effort de " réparation " s'ajustent exactement à la persistance
et à la gravité du danger. La force est donc un objet " sacré", et
il s'en suit que l'ordre " expressif" nécessaire à sa préservation
est un ordre "rituel", E. Goffman, 1974. |
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