Guerre de Gaza : Colonnes de Nuages
Par
Mohamed Abdel Azim
A la
mi-novembre 2012 et lorsque l’opération israélienne « colonne
de nuages » avait commencé, le porte-parole de Tsahal déclarait
: « nous
partons pour une opération d’envergure au vu de la situation
insupportable au sud d’Israël ».
Tsahal comptait éradiquer
des sites, éliminer des responsables du
Hamas et du Jihad islamique. La première cible était Ahmed
Al-Jabari, chef de la branche militaire du Hamas (les brigades
Ezz Eddine El-Qassam). En Israël, la police israélienne était
en état d’alerte totale et les habitants du sud ont reçu les
instructions de rester dans les abris.
Après
8 jours de bombardements intensifs, une trêve est conclue. Les
Gazaouis
ont
alors commencé à déblayer les décombres et inspecter les
dommages infligées à des nombreux bâtiments officiels, de
commerces et de maisons. Durant les affrontements, 161
Palestiniens et cinq Israéliens ont été tués.
Les Gazaouis, qui s’étaient
blottis dans leurs maisons, se sont précipités dans les rues
pour célébrer le cessez-le-feu. Avec des drapeaux vert du
Hamas ou jaunes de Hezbollah, des piétons mêlés à des
voitures se sont rassemblés dans les rues de la ville de Gaza.
La trêve a suscité l'espoir d'une nouvelle ère dans les
relations entre Israël et le Hamas. Cet accord conduirait a
l’ouverture des frontières de la bande de Gaza sous blocus.
L’opération
a duré 8 jours et le
gouvernement israélien a rappelé 75000 réservistes. L’histoire
retiendra de cette opération l’exemple de l’érosion
effectif de la force de dissuasion israélienne envers les
groupes armés. Cette hypothèse, maintes fois débattue, avait
été abordée lors de la guerre contre le Hezbollah libanais en
2006. L’opération « colonne de nuage » est aussi
le premier test des équations de l’équilibre des puissances
régionales après le Printemps arabe.
Depuis
quelques années, Israël, qui avait pu faire face aux armées régulières
arabes durant 50 ans,
se trouve face à des groupes armés, sans pour autant
pouvoir réellement trouver comment faire face. Les stratèges
militaires et politiques ont conclu que la solution pouvait être
militaire par l’usage de
la force de frappe excessive. L’expérience montre que
le militaire seul ne peut pas être le dernier recours et que
d’autres moyens doivent être déployés.
Il
y a, inévitablement, une différence entre l’opération de
Sharon en 1956, celle des six jours en 1967,
les 33 jours de 2006 et les 8 jours de Gaza en 2012. En
1956, Sharon se trouvait face à une armée égyptienne désorganisée,
il s’est emparé du Sinaï. Sharon se trouvait alors à 40 km
du Caire. Mais, l’union soviétique et entrée en scène.
Khrouchtchev avait menacé Ben Gourion d’usage d’armes
puissantes et
Tsahal avait évacué le Sinaï, suite à la pression de
Washington. Nasser était alors sorti gagnant politiquement. En
1967, Israël met la main sur le Cisjordanie, Gaza et le Golan.
Mais en 2006, Tsahal n’a pas pu obtenir l’élimination de
Hezbollah.
Les
paradoxes du Moyen-Orient
Netanyahu et son gouvernement ont dû faire
appel au président égyptien Mohamed Morsi en tant que médiateur.
L’un des résultats de cette guerre sera celui de faire du président
égyptien une figure clé dans le Moyen-Orient d’aujourd'hui.
Du coup, le fil rouge qui lie le Hamas et les Frères musulmans
égyptiens risque, dans l’avenir, de devenir brûlant pour
Israël. Ce ne sont
certainement pas les intentions de départ de Netanyahu
lorsqu’il a décidé d’impliquer
Tsahal dans une opération de cette nature à Gaza.
Le
Hamas, qui a terminé ses liens avec le régime syrien, garde
toujours le soutien de Téhéran. Le mouvement de la résistance
islamique se tourne alors vers le grand frère égyptien. En
l’absence de Moubarak et d’Omar Souleiman (ex chef de
renseignements égyptiens), Israël pensait que le Caire perdait
toute influence sur le Hamas mais aussi testait la ligne dure de
la
confrérie avec sa position envers les accords de paix.
Israël comptait de laisser le Caire toujours à l’écart
par rapport à ce qui se passe à gaza.
Mais
le Moyen-Orient nous a toujours habitué aux revers et aux
paradoxes Après la fin de l’opération, nous avons assisté a
des conséquences non attendues. Les décisions prises par
Netanyahu lui ont échappé et les résultats ne sont pas ceux
qu’il attendait Lorsque Netanyahu et Barak ont décidé de
lancer l’attaque, ils comptaient sur une opération rapide,
concluante et ne présentant pas de vagues régionales ni
internationales. Mais, aucun des deux, ni le chef de
gouvernement ni son ministre de la Défense, n’avait pris en
considération le fait
que le contexte régional a changé et qu’il pourrait
changer les résultats.
La recette
chimique des guerres ne fonctionne déjà plus comme dans le
passé et l’armada ne dissuade plus, tout comme la machine
diplomatique israélienne. Cette dernière ne peut plus imposer
sa logique du fait accompli. Israël a alors abandonné l’option
de la guerre terrestre. Cette option avait été brandit par
l’État hébreu et a été utilisé comme un couteau sur la
gorge de Gaza. C’est peut-être en raison de la surprise causée
par les roquettes Qassam qui sont tombés sur les villes israéliennes.
Cette surprise fait que
Tsahal prenne en considération l’éventualité
de l’usage de missiles anti-chars contre les fameux
Merkava, mis à mal par le Hezbollah en 2006. C’est sans
oublier la probabilité croissante de capture de soldats israéliens
impliqués dans une telle opération.
Israël, qui
a imposé
le blocus de la bande de Gaza sous prétexte d'empêcher les
tirs de roquettes d'atteindre les villes israéliennes, a découvert,
que dans la pratique, le blocus a échoué dans cette mission.
De plus,
Tsahal conclut que les roquettes sont devenus de types
plus puissants et s’utilisent à de grande envergure et
n’exclut pas que ces missiles pourraient toucher des avions de
chasse survolant Gaza
Le
contexte régional
Il
faut dire que l’opération a lieu dans un contexte qui voit
une faiblesse
dans
le rôle de la Turquie d’Erdogan, en raison des événements
en Syrie qui affecte son champ d’action dans la région. Elle
a aussi lieu alors que les Iraniens montent en puissance dans
leurs efforts d’enrichissement de l’uranium. Sans oublier le
voisin égyptien qui tente de regagner sa place historique et de
jouer un nouveau rôle dans le vide politique. Le Caire
recherche à affirmer son statut de l’acteur actif et
influent et qui cherche à gagner la confiance et
l’appui de Washington en tant que relais de régulation des
conflits dans la région.
L’opération
« colonnes
de nuages » sert alors le leadership du président égyptien
dans la réussite de la diplomatie du Caire en temps réel et
lui donne des
gains non attendus à la fois régionaux et
internationaux. Rappelons que, durant des années, la région
n’a pas bénéficié d’un rôle actif de la part de
Washington et que le rôle de l'Europe a été au point mort. Côté
turc, le rôle d’Ankara s’était peu à peu éclipsé. Alors
que le Qatar, qui avait tenté de s’imposer, n’ a pas pu
trouver sa place. La visite, en octobre 2012, de
son émir n’a alors pas pu donner des résultats
diplomatiques. Le rôle de Doha s’est montré, lui aussi,
limité, malgré le 400 millions d’euros d’aide promis au
Hamas. Morsi devient alors le nouveau garant de la stabilité au
Moyen-Orient
Politiquement, l’opération se
révèle une opération à somme nulle voire mauvaise sur le
plan régional pour Netanyahu. Sur le plan intérieur, nous
pourrons voir les conséquences de cette opération en janvier
2013, suite aux élections. Militairement, cela revèle tout de
même un malaise au sein de Tsahal qui commence à tirer une
conclusion de taille : La dissuasion qui n’a pas
fonctionné contre le Hezbollah, échoue aussi contre le Hamas.
Au niveau
palestinien, on assiste à l’affaiblissement, comme jamais
auparavant, de l’autorité palestinienne de Mahmoud Abbas et
à la montée en puissance du Hamas comme challenger
incontournable dans l’équation palestinienne. On voit peu à
peu l’apparition d’une rébellion
en
Cisjordanie contre l'impasse imposée par l'autorité nationale
de Ramallah. Ce qui signifie que le gouvernement Fayyad risque
de partir en éclat et que la culture de Dayton ou celle d’Annapolis
avec la paix par l’aide économique a commencé à
s'effondrer.
Le « sauve
qui peut » a poussé
et a motivé la présence de Hillary Clinton avec la diplomatie
de la navette régionale entre Israël et l’Égypte (inspirée
de celle de Kissinger dans les années 70, entre Tel-Aviv et Le
Caire) La
chef de la diplomatie américaine s'est envolée pour la région,
pour la première fois en vingt mois. Elle obtient l’accord
d’une trêve après un marathon de deux jours, couplé de la
présence du secrétaire générale de l’ONU Ban Ki Moon. Le
jour même, avant l’annonce de la trêve, le phénomène
des opérations de martyr au cœur de Tel Aviv revient. Les
attaques suicides contre les bus israéliens reprennent, alors
que ce phénomène avait disparu depuis plusieurs années.
Terminer
une guerre
Contrairement
aux opérations du passé, l’opération de Tsahal sur Gaza
s’est distinguée par des différences majeures. Cette
opération nous apporte bien des surprises.
Le Premier ministre Netanyahu et son ministre de la Défense
Ehud Barak ont déclenché le feu de la guerre sans pour autant
penser à une stratégie de sortie. Une semaine de guerre est
une semaine de plus et c’est généralement long pour la
population du sud d’Israël. Cette dernière a pu sentir la
menace de la roulette russe provoquée par les roquettes Qassam,
peut se demander si Israël est vraiment un sanctuaire.
Mais lorsque Netanyahu et Barak ont commencé à regarder
comment mettre fin à cette guerre, ils ne trouvent que la porte
du Caire
sur laquelle frapper.
Dans
l’avenir, les Israéliens risquent de ne plus croire
Netanyahu
lorsqu’il parlera, comme auparavant, de frapper les
installations nucléaires iraniennes ou de détruire les capacités
militaires du Hezbollah au Sud-Liban. Le risque pour Netanyahu
est devenu plus grand. La trêve peut ne pas être considérée
comme la fin d’une guerre et les Israéliens peuvent voir
Netanyahu comme l’homme qui déclenche des guerres sans
pouvoir les terminer. De plus, Netanyahu n’a pas mené
une incursion terrestre, au moins partielle, dans la
bande de Gaza ; cela pourrait être interprété comme un
pas en arrière devant les roquettes Qssam.
L’opération
Gaza 2012, risque d’être une opération périlleuse pour
Netanyahu au prochaines élections. Sa logique de guerre électorale
s’inscrit dans la lignée des stratèges du Likud (Ben Gourion
l’a utilisé en 1954, dans l’affaire Lavon et Begin à son
tour en 1981, contre le réacteur irakien Osirak). Cette fois
les calcules de Netanyahu se sont révélés illogiques et
viennent confirmer l’érosion de la politique du passé.
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