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Démocratie et
stabilité en Égypte
Le
6 octobre 1981, l’Égypte, vit en direct à la télévision d’État,
l’assassinat de son Président Sadate, par un groupe d’intégristes.
Cet assassinat intervient lors des célébrations du 8ème
anniversaire de la guerre de 1973. Le vice-président Hosni Moubarak, un
militaire de l’armée de l’air, accède au pouvoir et devient
l’homme fort du pays. Les années qui suivent voient une montée de
l’intégrisme qui aboutit au durcissement social et religieux. L’Égypte
se trouve alors confrontée à une vague d’attentats sans précédent
qui secoue le pays durant les années 90. La démocratie n’est pas
alors à l’ordre du jour et la lutte contre les groupes terroristes
est la priorité d’un régime qui détient le pouvoir absolu.
Moubarak, qui ne trouve pas d’écho concernant son appel à la tenue
d’une conférence internationale sur le terrorisme, fait face aux intégristes
avec une main de fer. Il instaure le calme et rétablit la stabilité
dans son pays, puis il entame les réformes économiques voulues par la
Banque Mondiale. Moubarak, qui bénéficie du soutien de Washington,
n’a pas pour autant voulu engager son pays sur la voie de la démocratie.
L’Égypte
vit actuellement l’un des moments les plus cruciaux de son histoire
politique depuis l’indépendance. Ce pays s’interroge sur qui serait
son Président après
Moubarak. Le raïs est en fin de règne et sa succession est une
question qui n’a pas de réponse claire à l’heure actuelle. Agé de
78 ans, Mohamed Hosni Moubarak est le 3ème président à la
tête de la République Arabe d’Égypte depuis le coup d’état des
officiers libres conduit par Nasser en 1952. Depuis
son accession au pouvoir, il y a 25 ans, Moubarak, n’a jamais nommé
un vice-président. Opterait-il pour le scénario de l’héritage de
son fils au pouvoir ? On serait sans doute loin d’un héritage
paisible. Le scénario de l’héritage à la togolaise, avec le fils
Eyadema, ou celui de Joseph Kabila, en RDC, est déjà rodé dans un
pays arabe (la Syrie). Il
est prêt chez le voisin libyen pour le fils Kadhafi. Mais un tel scénario
aura certainement la couleur des troubles au Caire. En Égypte, pour un
tel scénario, se dessine l’ombre de l’inconnu politique. Depuis
l’assassinat de Sadate, l’Égypte, avec ses 70 millions
d’habitants, vit sous l’état d’urgence. Passer d’un régime
unique vers une pratique démocratique multipartite est l’étape la
plus difficile face à laquelle se trouve l’un des pays les plus peuplés
du continent africain. En
2005, l’article 76 de la constitution est modifié, mettant fin à 50
ans d’exercice d’un régime
unipartite. Cette modification, qui ouvre la voie au multipartisme,
n’a pas vraiment changé la vie politique des égyptiens. Selon les
dispositions actuelles de la loi électorale, aucun parti politique ne
peut présenter un candidat aux prochaines élections présidentielles.
La question que se posent les Égyptiens n’est alors pas “qui
succèdera à Moubarak”, car ils n’ont pas de doute sur la
question, c’est son fils. En revanche, la question qui s’impose est
celle du “comment cela pourrait se faire et quelles pourraient
être les conséquences politiques d’un tel scénario ?”
1/
La démocratie : persona non grata Les deux pays les plus importants dans la région (L’Égypte et l’Arabie Saoudite), sont farouchement opposés à la conception de George W. Bush d’un Grand Moyen-Orient. Ces deux pays se trouvent confrontés à des fortes pressions internes d’entamer les réformes démocratiques. Alors qu’à Riyad comme au Caire la question de succession commence à se poser de par l’age de leurs dirigeants, la stabilité est fragile dans ces deux pays. La préoccupation de la stabilité prévaut aux choix de démocratisation. Si la démocratie ne trouve pas sa place, c’est parce qu’il faut garder la stabilité dans une région propice à l’instabilité. Si l’administration Bush souhaite démocratiser le Moyen-Orient, il lui faut repenser la stabilité conçue depuis plus de 50 ans, lorsque Washington avait écarté les anciennes puissances coloniales à la sortie de la crise de Suez en 1956. Lors de sa visite au Caire en juin 2005, la secrétaire d’État Condoleezza Rice déclare que, pour le Moyen-Orient, son pays s’est rangé du côté de la stabilité au dépens de la démocratie. « Dans le passé, les États-Unis ont opté pour la stabilité au dépens de la démocratie, mais Washington n’a obtenu aucun des deux[1]. » Le
rapport entre le régime égyptien et Washington, en ce qui concerne les
reformes démocratiques, est basé, du côté américain, sur la
prudence. Washington, qui ne trouve pas d’alternative, craint, en cas
d’élections démocratiques, de se trouver avec les Frères musulmans
au pouvoir. Le régime au pouvoir au Caire use de cette crainte pour
mettre à mal le fameux MEPI (Middle East Partenership Initiative).
Cette invention de l’administration de Georges W. Bush, a pour
objectif de modeler la région. Le rêve d’un Grand Moyen-Orient basé
sur la liberté, est trouvé après quelques hésitations, suite à
la guerre contre Saddam Hussein, en 2003. Depuis, ce projet se
volatilise et perd son élan. Washington,
qui exerce une pression sur le Caire durant l’année 2004, recule
devant les craintes d’une possible arrivée des formations à tendance
religieuse dans l’exécutif en Égypte. Le raïs ne trouve donc aucune
difficulté de faire replier l’ambition de Washington et revoir ses
exigences à la baisse. Le Caire oppose alors les choix de la stabilité
au choix de la démocratie. Face à ces alternatives, les signes
montrent de quel côté les Américains se sont rangés. Le Grand
Moyen-Orient, basé sur une pratique démocratique et rêvé par
l’administration Bush, est d’ailleurs mal accueilli de la part de
l’homme fort d’Égypte.
Il s’oppose clairement à une telle conception et explique que la démocratie
ne peut pas être imposée par l’extérieur. C’est
en 2005, que les États-Unis exercent de nouveau une sérieuse pression
sans précédant sur le Caire afin d’initier des reformes démocratiques
et de permettre la tenue des élections libres. La secrétaire d’État
Condoleezza Rice va même rencontrer les membres de l’opposition en
juin 2005, afin d’inciter le pouvoir à accélérer les reformes démocratiques[2]. La pression de Washington
monte et le régime de Moubarak se voit contraint de se plier devant la
menace de réduire, voire d’arrêter
l’aide américaine. Cette aide américaine accordée à l’Égypte
est de l’ordre de 2 Milliards de Dollars. L’Égypte est le deuxième
pays dans la région qui bénéficie d’une aide annuelle aussi
importante après celle de l’État hébreu. Suite à ces pressions, le
gouvernement modifie l’article 76 de la constitution en février 2005.
L’opposition croit alors à un exercice de vote libre et au changement
dans la transparence. L’amendement de
l’article 76 de la Constitution donne lieu à l’organisation d’une
élection présidentielle à candidatures multiples et ouvre la voie au
premier exercice de vote depuis l’indépendance. C’est
alors qu’un événement majeur se produit et change toutes les donnes.
Les pression et l’exigence américaine se transforment par la suite en
un soutien plus fort au régime en Égypte, comme ce fut le cas durant
un quart de siècle. A deux mois des élections présidentielles, en
juillet 2005, trois bombes explosent à Charm el-Cheikh. On compte alors
60 victimes qui sont majoritairement des égyptiens. L’administration
Bush recommande d’intensifier la lutte anti-terroriste tout en
affirmant sa volonté de voir continuer les reformes démocratiques.
Depuis la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes,
les craintes de Washington se confortent et prennent une dimension de
peur. Moubarak,
qui avait renouvelé ses quatre précédents mandats par referendum se
trouve alors face à 9 autres candidats, dont deux sérieux conquérants.
Le premier est Noman Gomaa, un candidat issue du parti libéral
historique Wafd (délégation), dissout sous Nasser en 1952 et rétablit
sous Sadate en 1983. Le deuxième est Ayman Nour, un avocat et ancien
journaliste, qui quitte le néo Wafd et crée son propre parti libéral
El-Ghad (demain) en octobre 2004. L’Égypte vit trois
semaines de campagne autorisée dans laquelle le Parti National Démocrate
de Moubarak est largement favorisé par une machine de campagne médiatique
inégalée. Les
premières élections multipartites ont lieu en septembre 2005, sans présence
d’observateurs indépendants dans les bureaux de vote. Des fraudes massives sont pratiquées à très grande échelle
et les résultats donnent 88% pour Moubarak, contre 7% pour Nour et 2%
pour Gomaa. Nous ne sommes donc pas loin des 95 à 99%, que les précédents
référendums donnaient pour Moubarak. Les élections législatives ont
à leur tour eu lieu, en décembre 2005. Le mouvement des Frères
musulmans, mouvement toléré mais non autorisé à la fondation d’un
parti politique, remporte 88 des 454 sièges au Parlement (Assemblée du
peuple). La contestation grandissante des fraudes lors des élections présidentielles
et législatives fait naître les prémices d’un climat de tension et
annoncent la couleur des élections municipales qui devaient avoir lieu
courant 2006. Malgré l’opposition américaine, ces élections sont
alors repoussées de deux ans, par décret présidentiel et approuvé
par le parlement en février 2006. Deux mois plus tard, le Premier
ministre Nazif demande au Parlement le renouvellement de l’état
d’urgence pour deux ans supplémentaires, malgré la promesse faite
par Moubarak lors de la compagne électorale de mettre fin à la loi
d’urgence. Le 30 avril 2006, le Parlement vote son extension
jusqu’en 2008. Cette
loi, qui étend le pouvoir au ministère de l’Intérieur et aux forces
de sécurité, autorise l’arrestation,
la détention sans accusation et limite drastiquement la liberté civile
de chaque citoyen. Cette situation place le pays dans un étau sécuritaire
qui dure depuis un quart de
siècle. Cet étau s’est encore serré davantage depuis que des
tentatives d’assassinat ont été commises contre le Président
Moubarak[3].
2/
Le nouveau Pharaon Durant
25 ans, Moubarak est au pouvoir sans nommer un vice-président. Cette
situation d’homme seul au pouvoir fait que les Égyptiens voient en
lui un Pharaon qui n’accepte pas l’idée d’être un jour succédé
par un homme issue du peuple. Le Président Moubarak est désigné par
certains égyptiens comme un grand Pharaon. Parmi eux, on trouve le
sociologue égyptien Saad Eddine Ibrahim[4]
qui voit en Moubarak un homme qui se place au rang du sacré, ou encore
de semi-dieu et que le pouvoir lui est destiné par la divinité. La
famille Moubarak est désignée comme une dynastie qui détient un bien :
le pouvoir. Ce patrimoine familial est donc un objet transmissible
du père en fils. Ce fils, Gamal, se voit attribuer le rôle d’un
gardien du temple de gouvernance par le parti unique au pouvoir : le PND
(Parti National Démocrate). Il doit donc veiller à sa continuité. La
famille, soutenue par un entourage solide, prépare le terrain à la
succession et au transfert du patrimoine. La
préparation à l’héritage de Gamal Moubarak
se déroule sur deux fronts : national (au sein du NPD)
et international (envers Washington). a)
Sur le plan national, c’est au sein du NPD que la préparation est la
plus visible. En l’absence de concurrents sérieux, puisque systématiquement
éliminés de la course, cette préparation commence par
la nomination de Gamal
Moubarak en tant que secrétaire général de la commission politique du
parti qui règne sur l’Égypte depuis
plus de 30 ans. Il est le plus jeune qui accède à une telle
fonction dans un parti habituellement dirigé par ce que les Égyptiens
appellent les vieux rouquins (Hitanes). L’accession
au pouvoir se précise peu à peu. La position de Gamal au sein du
parti, même en tant que numéro deux, ne lui permet pas d’avoir la légitimité
requise afin de briguer le poste le plus haut de l’État. Sa
nomination en tant que secrétaire général susciterait un conflit
majeur au sein du PND. C’est pourquoi on parle d’un possible
changement radical dans l’orientation du Président Moubarak dans les
mois à venir. Le premier étant la nomination de l’actuel chef de
renseignement, Omar Solayman, comme son vice-président. Puis, la deuxième
étape serait le choix de Gamal Moubarak comme Premier ministre. Ce
dernier serait alors en position d’apporter les modifications nécessaires
à la constitution et de faciliter ainsi sa candidature pour le poste de
chef de l’État[5].
Gamal
Moubarak est l’un des deux fils du Président Moubarak. Il a 43 ans et
vient d’être fiancé à l’unique fille de l’un des richissimes
hommes d’affaire et parmi les plus influents promoteurs immobiliers en
Égypte. Gamal est désigné par les Égyptiens comme le président
parallèle. Il supervise toutes les orientations politiques du
parti, ainsi que la nouvelle réorganisation au sein de cette structure,
notamment la campagne présidentielle et les élections législatives de
2005. Il place ses hommes au sein du gouvernement comme le Premier
ministre Nazif, et élimine la vieille garde des postes clés. Diplômé
de l’université américaine au Caire, il est passé, en quelques
mois, de la commission jeunesse, à l’exercice de la fonction la plus
importante au sein de l’immense machine du parti unique au pouvoir. Il
se base pour cela sur deux hommes, le Premier ministre actuel, Ahmad
Nazif et le ministre de l’Intérieur Habib El-Adli. Le reste de l’ancienne garde des hommes politiques est peu à peu écarté
comme notamment l’ancien ministre de l’Information Safwat El-Sherif.
Gamal réorganise le parti et promet de nommer Habib El-Adli comme son
premier Premier ministre lorsqu’il accède au pouvoir. Ce dernier, qui
use de la loi d’urgence, impose la pratique de l’intimidation sous
toutes ses formes contre les opposants au régime lors de arrestations
ainsi que l’emprisonnement. Cette pratique de l’oppression contre
l’opposition, comprenant la torture, le viol des femmes mais aussi des
hommes, est étendue aux manifestants et aux journalistes[6]. La tradition forme une
chape lourde de silence sur ces pratiques. En effet la honte des
victimes les empêche d’en parler. Mais cette pratique commence à être
dénoncée par les organisations des droits de l’homme et certaines
victimes, comme la journaliste Abeir El-Askari, qui fait éclater
l’affaire au grand jour, ou encore celui de Mohamed El-Charqaoui[7].
« En l’absence des institutions, l’État est absent
», explique M. H. Haikal. D’après cet ancien ministre sous Nasser,
« un coup d’état est possible et le pays retourne alors à la
case départ, dans la même
situation vécue en 1952[8].
» b)
La préparation de la succession de Hosni
Moubarak par son fils Gamal, se prépare aussi sur le plan
international. Cette préparation commence par la prise de contact avec
Washington comme la visite
secrète effectuée par Gamal Moubarak à la Maison-Blanche[9].
Cette visite surprise à Washington, qui a eu lieu les 12 et 13 mai
2006, place la société égyptienne dans un état de fièvre. Elle est
interprétée comme le signe tangible de l’héritage du pouvoir,
puisque c’est le Président Hosni Moubarak, ou son Premier ministre,
qui se rendent habituellement à Washington. C’est
la première fois qu’une personnalité égyptienne qui n’exerce pas
l’une de ces deux fonctions, rencontre le vice-président américain
Dick Cheney et le conseiller de sécurité nationale Stephen
J. Hadley. Gamal a eu l’occasion de rencontrer la secrétaire d’État
Condoleezza Rice et a même pu discuter avec le Président Bush quelques
minutes. Ce dernier demande alors à Gamal de transmettre les
salutations de Bush au Président Moubarak.
C’est inhabituel qu’un citoyen non américain soit reçu au
plus haut rang de l’administration américaine à la Maison-Blanche. La visite devait rester secrète
mais elle est rendue publique à la mi-mai, suite à des fuites révélées
par la chaîne de télévision Al-Jazira[10].
Selon
les proches de Gamal, cette visite avait comme visée d’échanger les
points de vues et d’exposer la position du parti national démocrate
à l’administration Bush. Cette explication se contredit avec les
accusations faites par le régime contre l’opposition selon lesquelles
toute rencontre de cette nature signifie une trahison à la
patrie. C’est notamment le cas lors de la rencontre au Caire entre
Condoleezza Rice avec l’opposant Ayman Nour en juin 2005. Ce dernier est
par la suite accusé de falsification de documents pour la création de
son parti et condamné à la prison ferme pour cinq ans. On
est ainsi dans un mode de monopole du patriotisme. Cet usage donne au
PND et à ses membres l’exclusivité de citoyens patriotes et
incrimine les autres. L’opposition est ainsi écartée du champ
patriotique et renvoyée dans la zone de trahison à la patrie. Ces
accusations marginalisent son action.
3/
Les Frères musulmans comme instrument pour casser l’opposition. La
trahison (Khiana), ou l’infidélité (Koufr), sont deux
axes sur un continuum de patriotisme utilisés respectivement par le
pouvoir et les Frères musulmans[11],
pour désigner toute forme d’opposition. Traîtres, manipulées,
sont les termes utilisés par le parti au pouvoir contre l’opposition.
C’est par opposition au patriotisme, réservé uniquement au PND. Par
ces accusations, ils se réfèrent ainsi à une possible collaboration
entre l’opposition et ce qu’ils appellent des forces étrangères,
qui veulent renverser le régime et s’emparer du pouvoir. Infidèles
est le terme utilisé par la confrérie islamiste contre l’opposition
en référence à l’Islam. L’Islam est la solution, est
d’ailleurs le slogan de la confrérie durant la campagne des élections
législatives en décembre 2005. Qui oserait donc parler de liberté et
pourrait alors viser la démocratie ? La
confrérie islamiste est vue comme un outil à double usage entre les
mains du pouvoir égyptien .
Le premier est interne le deuxième est externe. Premièrement ce
mouvement, a une fonction de fractionnement de l’opposition,
par son appui sur des bases religieuses. Alors qu’il ne représente
pas une formation politique reconnue, il affaiblit les partis politiques
traditionnels qui ont déjà du mal à convaincre l’électorat de les
rejoindre. En l’absence d’un débat sur les questions essentielles
dans la société, la rue égyptienne fonctionne à l’économie
d’effort et le mouvement séduit plus que
les formations politiques toutes tendances confondues. D’autre
part, cet outil a une fonction à vocation externe de la part du
pouvoir égyptien : dissuader l’occident par la peur et notamment
Washington. La logique est basée sur le constat de rationalité. Un
choix rationnel, de la part de l’occident, tend à favoriser toute
autre formation politique se situant loin des Frères musulmans. Mais
puisque cette opposition est manquante voire quasi inexistante,
l’alternative qui s’offre est le seul parti national démocrate. En
l’absence d’une opposition forte avec une alternative basée sur un
vrai projet politique solide, le
pouvoir égyptien tend à miser sur la politique de la carotte et du bâton.
Le pouvoir relâche de temps en temps la pression pour utiliser les
Frères musulmans comme une soupape à
la colère populaire contre sa politique.
Puis, il resserre la vis, en arrêtant, en torturant ou en éliminant
plusieurs des membres de la confrérie islamiste. Ce mouvement boycotte ainsi les élections présidentielles
et refuse de prendre parti pour l’un ou l’autre des deux candidats
opposés à Moubarak. Ce dernier libère les figures du mouvement
quelques semaines avant le vote. Cette
libération permet au mouvement de mener sa campagne pour les législatives
et empêche alors les formations politiques traditionnelles, notamment
le Wafd (délégation) ou les formations nouvelles, comme El-Ghad
(demain) de bénéficier d’une majorité au parlement. On parle alors
d’un accord secret entre la confrérie et le pouvoir égyptien. Derrière
cet accord se trouverait un homme : le jeune Gamal Moubarak. L’hebdomadaire
égyptien Al-Maydan, parle, dans son 1er numéro du mois de
juin 2006, d’une volonté américaine de rapprochement entre Gamal
Moubarak et le mouvement des Frères musulmans. Les deux sont invités
à l’ambassade américaine au Caire lors de la célébration de la fête
nationale le 4 juillet. Cette volonté vient appuyer les soupçons
autour du soutien, voire de l’imposition, de Gamal comme le seul
successeur à son père. En
l’état actuel des choses aucun parti politique ne peut présenter un
candidat lors des prochaines élections présidentielles. En effet,
aucune formation politique ne dispose d’un quart des sièges à l'Assemblée
du peuple
- 454 au total - afin de pouvoir le faire comme le stipule la loi électorale
égyptienne. Le champ est
donc ouvert devant le seul et unique parti de Moubarak qui dispose de
338 sièges. Les Frères musulmans constituent le seul groupe qui
dispose de 88 sièges au parlement. Ce mouvement est toléré mais non légal.
Cela lui permet de présenter des
candidats indépendants aux élections législatives mais jamais sous
son étiquette car le mouvement n’est pas autorisé à
former un parti ou exercer une activité politique. Ies
Frères musulmans, qui refusent les règles démocratiques, concluent
que la démocratie est le seul moyen pour arriver au pouvoir. Lors des
élections législatives, en l’absence d’observateurs dans les
bureaux de vote, ils bénéficient de l’œil fermé de la part du
pouvoir et font recours à la pratique de la fraude électorale. Le
guide de la confrérie islamiste, Mahdi Akef, qui a été libéré de la
prison en septembre 2005, avant les élections présidentielles, déclare
en mai 2006, que son mouvement combattra toute forme d’opposition. « Si
nous étions au pouvoir, personne ne pourrait nous opposer (…)
Nous aurons nous chaussures pour les taire[12]
», déclare-t-il.
4/ La grogne ne fait pas le poids Le régime est confronté à une vague de protestation sans précédent en Egypte. Il y a d’une part la protestation de l'opposition et d’autre part les protestations des juges. Le rapport entre le pouvoir et ces deux pôles de protestations est de plus en plus tendu. La situation s’est compliquée lorsque deux magistrats, sur fond d'intimidation, sont accusés et introduits devant la justice. L’affaire remonte aux élections présidentielles et législatives en 2005, depuis lesquelles on parle de trucage des résultats de ces deux élections. Suite à ces
contestations, on a largement évoqué le cas de la fin des régimes
provoquées par ces mouvements de protestations internes et paisibles
contrairement à un passé révolutionnaire qui a marqué l’histoire du
pays. On s’attendait à la mobilisation générale. La faiblesse et la
division entre les forces de l’opposition égyptienne, voire au sein même
de chaque formation politique, explique le fait qu’une mobilisation générale
n’a pas pu avoir lieu. La grogne gagne du terrain et se heurte à un
durcissement de ton de la part des services de sécurité. La répression
prend le dessus et l’affrontement monte d’un cran. C’est alors que le parallèle avait été fait avec la Géorgie et l'arrivée de Mikhail Saakachvili au pouvoir en 2004, et également avec l’Ukraine et l’arrivée de Viktor Youchenko. Mais il y le cas de la Biélorussie et la résistance du régime d’Alexandre Loukachenko à l’opposition interne conduite par Alexandre Milinkevitch. L’opposition égyptienne est fragile. Elle n’arrive pas à s’imposer car elle est largement dispersée et divisée. De plus, le régime au pouvoir, soutenu par Washington, maîtrise l’art du bâton et de la carotte envers les forces qui l’opposent. C’est d’abord le cas
envers l’opposant Ayman Nour. Il est accusé d'avoir falsifié des
documents pour la création de son parti El-Ghad. Il est détenu durant
six semaines et relâché avant la tenue des premières élections présidentielles
multipartite dans le pays. Il mène la campagne électorale et termine en
seconde position lors des l'élections présidentielles derrière Hosni
Moubarak. Nour est par la suite condamné en décembre 2005. Il dénonce
un “verdict politique” et
fait appel. Nour voit son pourvoi en cassation rejeté. Il reste en
prison ferme pour 5 ans et est privé de ses droits civiques. Cette décision
reçoit de vives critiques de la part des États-Unis qui la qualifient d'
« erreur judiciaire. » L’art du bâton et de la carotte est aussi pratiqué envers les
manifestations tenues par les forces de changement. Ces derniers bénéficient,
provisoirement et avant les élections en 2005, d'une tolérance hors de
commun de la part des services de sécurité. Les services d’ordre, qui
n'autorisaient aucune forme de protestation ou de rassemblement contre le
régime, se montre tolérants envers les manifestants. Ce climat fait naître
une impression d'un vent de démocratie. Contrairement au passé, le début de l'année 2005, voit une accélération
des manifestations dans les rues du Caire contre le régime de Moubarak.
D'abord par le mouvement Kefaya (assez), doublé par les mouvement
qui prônent le changement, puis par ceux qui demandent la libération de
Ayman Nour de sa prison. Toutefois, ces
manifestations sont timides et ne donnent lieu à aucune forme de
mobilisation de masse, comme ce fut le cas à Kiev. Cette situation nouvelle dure quelques mois jusqu'à la fin des élections.
La pratique de la fraude massive et l'absence d’observateurs dans les
bureaux de vote provoquent une confrontation sans équivalent entre
le régime et les juges qui dénoncent ces pratiques. Les protestations se
multiplient et dès la fin des élections législatives, les
manifestations sont de nouveau réprimées. Depuis que les juges se
montrent critiques envers les pratiques du régime au pouvoir, la grogne
prend une dimension particulière que certains appellent la révolte de
juges. 5/ La révolte des juges Depuis avril 2006, le régime se heurte de nouveau à des protestations
menées par des magistrats. Soulignons que depuis le début des années
90, les juges ont exigé, par la voix de leur association officielle,
l'indépendance de la justice par rapport au pouvoir exécutif. En 2000,
la Cour suprême constitutionnelle a jugé que toute élection devrait être
tenue, conformément à la constitution égyptienne, sous les auspices du
pouvoir judiciaire. Dans un rapport rendu public en juillet 2005, les
juges ont remis en question les résultats des élections, affirmant que
les mécanismes de supervision par les instances judiciaires n'avaient pas
été mis en place de façon efficace. Deux juges, Hicham el-Bastawissi
et Mahmoud Mekki[13], sont
alors accusés d'avoir porté atteinte à la justice pour avoir affirmé
que d'autres magistrats, favorables au pouvoir, avaient participé au
trucage de scrutins qu'ils supervisaient, lors des législatives et de la
première présidentielle multipartite dans le pays en 2005. Ces deux
vice-présidents de la cour de cassation égyptienne sont introduits
devant la justice et des manifestations presque hebdomadaires sont organisées
en soutien à l'action entamée par les magistrats. Les services de la police anti-émeutes sont de nouveaux mobilisés et la
répression revient, mettant fin à l'accalmie survenue durant la présence
des caméras du monde entier pour couvrir la campagne électorale. Le
11 mai 2006, la situation
prend un tour particulièrement violent : des dizaines de manifestants
sont passés à tabac, des centaines d'autres emprisonnés, plusieurs
journalistes sont agressés. Les États-Unis et l'Union européenne dénoncent
alors une “répression disproportionnée”. La presse de l’opposition, de son côté, met l'accent sur la violation
des droits de l'homme. Des photos de la police habillée en civil battant
des femmes ou des jeunes manifestants, font leurs apparition sur Internet.
Des cas de viol sont alors répertoriés et amenés devant la justice.
L'affaire des juges prend une allure de confrontation sérieuse et met le
pays devant une question de choix. Ce que beaucoup qualifient comme “une
révolte de juges”, est vécue par les magistrats comme un défi à
remporter. Les juges sont ainsi vus par les Égyptiens comme des héros
porteurs d’espoirs d’un vent de démocratie. Ils sont
devenus en quelques semaines un symbole d’espoir. Ces garants
de la justice se voient désignés comme les futurs gardiens d’un
possible futur démocratique, s'ils arrivaient à remporter ce défi seuls
devant Moubarak et son héritier. La grogne se généralise et la presse
gouvernementale commence à son tour à passer le cap. « Adieu donc
aux réformes», écrit le
politologue Mohammed al-Sayed Saïd, dans le journal gouvernemental
Al-Ahram du 18 mai 2006. La « crise des juges », écrit-il,
« a discrédité un régime dont la politique répressive,
illustrée par la prolongation, le mois dernier, de l'état d'urgence en
vigueur depuis 1981, n'a mis fin ni au terrorisme, ni aux affrontements
interconfessionnels, illustrations de la déliquescence de la
société égyptienne. » écrit Saïd. « Cela signifie que
la philosophie politique de Moubarak, appliquée pendant un quart de siècle,
n'a pas porté ses fruits. L'Égypte est revenue à la case départ,
c'est-à-dire aux grands défis qu'elle affronte depuis le milieu des années
70[14]. »
Mohamed Abdel Azim Docteur en Science
Politique Journaliste-EuroNews [1]
“Rice Criticizes U.S. Allies in Mideast
Over Democracy”, Washington Post, 20 juin 2005. [2] La secrétaire d’État Condoleezza Rice a rencontré, au Caire, Ayman Nour, en tant que président du parti libéral Al-Ghad, le 21 juin 2005. [3]
Le premier a lieu à l’étranger,
à Addis-Abeba (le 26 juin 1995). Le deuxième a lieu en Égypte, le 6
septembre 1999, dans la ville portuaire de Port Saïd. [4]
Saad Eddin Ibrahim, “Egypt needs
a President not a Pharaoh”, Daily
Times, Pakistan, 9 novembre 2004. Voir aussi :
Saad Ibrahim,
“Promises
To Keep In Egypt”,
Washington Post, 24 spetembre 2005, p. a23. [5] Abdallah El-Senaoui, “L’été de l’héritage”, Al-Arabi, Le Caire, 11 juin 2006. [6]
“Egypt
: Police Severely Beat Pro-Democracy Activists, One Activist Also
Sexually Assaulted”,
Human Rights Watch, Le Caire, 31 mai 2006.
[7] Mohamad Abdel Hakam Diab, “Égypte : le dossier de la torture et du viol devant l’opinion”, Al-Quds Al-Arabi, Londres, 3 juin 2006, (p. 19). [8] Hasaneen Krom, in Al-Quds Al-Arabi, Londres, 13-14 mai 2006, (p. 8), citant Al-Masri Al-Youm du 12 mai 2006. [9]
“Mubarak’s
Son Met Secretly With Cheney”, Salah Nasrawi, Associated Press, Le
Caire, 15 mai 2006. [10]
Peter Baker, “Mubarak’s Son Met With Cheney, Others, Secret Visit
Came After Cairo Unrest”, Washington Post, 16 mai 2006, (p.
A04). [11] Le mouvement est fondé en1928, par Hassan el-Banna, après l'effondrement de l’empire Ottoman, dans le but d'instaurer un État islamique égyptien basé sur l'application de la charia. Dès 1954, la confrérie islamiste est dissoute par les autorités. En 1957, Nasser, qui craignait pour sa personne, décide d'interdire le mouvement. [12]
Al-Quds Al-Arabi,
Londres, 26 mai 2006, (p. 8). [13]
Mahmud Mekki, Hisham Bastawisi, “When
judges are beaten, Democracy in Egypt must grow from the streets, not
be imposed by western self-interest”, The Guardian, 10 mai
2006. [14] Tangi Salaum, “Égypte : deux juges défient Moubarak”, Le figaro, 19 mai 2006.
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